Natacha Polony revient sur la polémique suscitée par les propos de Ségolène Royal sur le Nutella. Entre « tartines d’hypocrisie » et « malbouffe en pot » Natacha Polony n’a pas tellement envie de choisir … Ni d’établir une hiérarchie … A notre avis, elle a raison. Qu’on lise sa chronique !
Il est assez rassurant de penser que nous pouvons, en ces temps de crise économique, sociale, civilisationnelle, nous offrir le luxe d’une polémique aussi éclatante que dérisoire. Un drame diplomatique, un scandale international: la ministre de l’Écologie, invitée d’une émission à haute teneur politique, a osé critiquer le Nutella, fleuron du patrimoine italien, par ces mots dénotant une analyse économique pointue: il faudrait, selon Ségolène Royal, cesser d’en manger « parce que c’est l’huile de palme qui a remplacé les arbres et donc c’est des dégâts considérables ». Devant le tollé, elle a fini par s’excuser et saluer les « progrès » faits en la matière.
Il ne faut jamais négliger les grands émois collectifs. Ils révèlent souvent que le sujet est moins anodin qu’il n’y paraît. En l’occurrence, la polémique Nutella nous parle non seulement d’écologie, mais aussi de responsabilité politique, de patriotisme économique, de liberté individuelle et de fonctionnement médiatique. Rien que ça !
« Mais vous pouvez couler une boîte avec ça », répond Yann Barthès narquois à la ministre amatrice d’exemples chocs. Personne, bien sûr, n’a de crainte pour la firme Ferrerro. Mais il est étonnant de voir une ministre affirmer puis se rétracter aussi vite. D’autant que, malgré tous les arguments sur l’amélioration de la filière, sur le fait que cette huile végétale consommerait moins de surface agricole que les autres, la question de la destruction de la forêt primaire dans les pays en développement ne saurait être évacuée si facilement. Comparer la couverture forestière de la France (29 %) et celle de la Malaisie (60 %) pour en conclure que nous n’avons pas de leçons à donner n’a aucun sens : les forêts de feuillus d’Europe n’ont rien à voir avec le poumon végétal que constituent les jungles d’Asie ou d’Amérique centrale. Surtout si l’argument suivant consiste à défendre pour ces régions du monde un développement calqué sur le nôtre sous prétexte qu’il serait générateur de croissance. C’est au contraire aux pays occidentaux qu’il reviendrait de revoir leur modèle de développement pour cesser de vivre au crédit des populations pauvres de la planète et des générations à venir. Un pape l’a d’ailleurs souligné récemment… L’assertion de Ségolène Royal était parfaitement caricaturale, ce n’est pas pour cela qu’elle avait tort.
Deuxième sujet soulevé par cette polémique en forme de poupée russe: l’Italie, qui s’est insurgée contre l’insulte faite au Nutella, a ceci d’intéressant qu’elle est un pays qui pratique le plus naturellement du monde un protectionnisme alimentaire salvateur. Dans les épiceries de la péninsule, vous chercherez en vain des produits français. Les Italiens ont gardé un mode d’alimentation qui fait la part belle aux produits locaux et reste, surtout – et sans doute à cause de cela – parfaitement hermétique à la toute puissance de la grande distribution. Un lien, sans doute, avec la permanence des identités régionales dans un pays où la langue même est multiple. La France, pays sinistré sur le plan alimentaire (et sur celui du petit commerce), serait bien inspirée d’y regarder de plus près.
Mais le plus amusant est de voir ressurgir le chœur de ceux qui hurlent à l’infantilisation, comme si Tocqueville s’était réincarné dans un pot de pâte à tartiner. La prétendue pâte à tartiner aux noisettes en contient à tout casser 13 % (goûtez-en donc une vraie, avec 50 % de noisettes…). Les 20 % d’huile de palme (derrière les 55 % de sucre) pourraient être bien plus que 20 %? Peu importe, nous sommes des consommateurs adultes et il nous appartient de faire nos propres choix. C’est oublier que la liberté ne vaut que pour l’individu qui peut exercer son libre arbitre. Est-ce le cas des gamins gavés de publicités dans lesquelles une mère prétend donner à ses enfants ce « délicieux petit déjeuner plein de bonnes choses » ? Est-ce le cas de consommateurs peu à peu habitués à ne même plus savoir ce qu’ils ingurgitent et que la réclame flatte dans leurs pulsions les plus archaïques ?
Kenneth Rogoff, ancien économiste en chef du FMI, a récemment alerté sur l’épidémie mondiale d’obésité, n’hésitant pas à prôner des mesures radicales comme l’interdiction de certains aliments industriels. S’est-il attiré les sarcasmes de la planète médiatique ? Pas plus que le pape François quand il a tenu un discours assez proche de celui que tiennent la plupart des penseurs de la décroissance. Mais de même que les adorateurs du Pape se garderont de suivre le modèle économique qu’il préconise, les chantres du FMI ne mettront en danger la grande distribution et l’agro-industrie par des mesures de protection de populations vulnérables comme les enfants de milieux défavorisés, premiers touchés par le fléau de la malbouffe. Ça vaut une petite polémique. •
Natacha Polony – Le Figaro
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