Camille Pascal met ici le doigt sur l’une des plaies du monde moderne qui, pourtant, y voit un progrès décisif. Les voyages, le tourisme pour tous, les échanges universels, la communication instantanée, favoriseraient l’édification des masses, l’unification du monde, la culture, la démocratie et … la paix. De même qu’internet. Ceci nous rappelle qu’à un journaliste naïf des Echos qui s’était réjoui à l’idée que bientôt plus d’un milliard de Chinois taperaient sur des claviers d’ordinateurs et s’achemineraient donc vers la démocratie, Georges Steiner avait répondu : « cela ne m’intéresse pas; ce qui m’intéresse c’est de savoir si une telle société sera capable d’engendrer un Shakespeare ou un Mozart; et puis je vous rappelle, Monsieur, que la démocratie cela produit aussi Adolf Hitler.» Cela nous rappelle aussi le jeune Cubain nigaud qui rêvait à l’ouverture des frontières de Cuba, pour prendre un avion qui le mènerait en Bolivie sur les traces de Che Guevara … Sur le fond, la critique du tourisme de masse que brosse Camille Pascal nous paraît amplement justifiée. LFAR
L’époque est à la mise en scène de l’“ego” des visiteurs dans les musées ou dans la nature, au détriment de l’expression des émotions.
L’homme très encombré d’un lourd bagage descendait avec peine d’un taxi parisien devant le tambour d’un grand hôtel de la capitale, mais il refusait énergiquement l’aide du liftier. Il voulait franchir seul les portes de cet établissement prestigieux où descendaient autrefois des altesses et aujourd’hui contraint d’accepter le tout-venant du tourisme international. Cette obstination non seulement étonnait un personnel dévoué mais contribuait à créer un petit encombrement sur ce trottoir encore élégant, car le petit homme avançait très lentement. Arrivé à sa hauteur, je constatai que son embarras venait de ce qu’il tirait ses énormes valises attachées les unes aux autres d’une seule main alors qu’il tenait dans l’autre une perche télescopique au bout de laquelle était fiché son iPhone. Ce touriste voulait, au terme d’un très long voyage, immortaliser son arrivée dans ce palace mythique et malheureusement rénové. En le laissant passer, lui et son train de bagages, je lui servais en quelque sorte de figurant pour une petite mise en scène qui n’allait pas tarder à se retrouver sur les réseaux sociaux. D’ici quelques instants, peut-être qu’une famille mongole ou taiwanaise pousserait des petits cris d’étonnement en voyant un Français en costume traverser un carrefour mondialement célèbre à la suite de leur petit cousin chargé, à lui seul, comme une caravane des steppes.
En refermant derrière lui la porte d’acajou et de verre gravé, le liftier me fit un petit signe en se frappant le front comme pour me prendre à témoin que les gens étaient de plus en plus cinglés.
Le cas est évidemment extrême, mais il suffit de se poster quelques instants dans un lieu particulièrement touristique ou d’entrer dans un grand musée pour prendre toute la mesure de la folie égotiste qui est en train de s’emparer de l’humanité voyageuse. Plus personne ne voyage pour regarder, pour admirer ou pour découvrir une civilisation, mais seulement pour faire un “selfie” devant une oeuvre d’art ou un lieu emblématique. Les plus beaux monuments produits par le génie humain ou les grands paysages naturels ne sont plus en réalité que la toile de fond de la mise en scène permanente de soi. J’ajoute à cela que le rituel exige désormais que chacun prenne les poses les plus insensées devant les lieux les plus remarquables pour que le film soit réussi… Plus personne ne regarde et tout le monde se regarde en train de tourner le dos à la beauté du monde.
Enfin, lorsque faire l’imbécile est impossible, car il est encore des lieux où il n’est pas autorisé de marcher sur les mains ou de monter sur l’autel pour mieux tirer la langue, les visiteurs auxquels l’idée de regarder avec les yeux ne viendrait même pas à l’esprit fixent le sol d’un air las en confiant à leur téléphone le soin d’enregistrer des images qui leur passent, au sens propre, au-dessus de la tête. Comme si la capacité que chacun possède aujourd’hui de produire ses propres images rendait insensible à toute émotion esthétique. •
Camille Pascal – Valeurs actuelles
Il y a quelques années, j’étais à l’Abbaye aux dames, Saintes et un quidam était monté sur l’autel assis sur le tabernacle, je l’ai fait descendre plus vite qu’il n’était monté! Mais n’y aurait-il plus d’homme religieux, respectueux et sensé dans notre pauvre France déchristianisé?