par Dominique Jamet dans Boulevard Voltaire
Dominique Jamet met ici le doigt sur un obstacle majeur à la poursuite du projet de construction européenne : la séparation de plus en plus marquée du couple franco-allemand, dont la cohésion était pourtant la toute première condition. Certes, pour les besoins de son argumentation, Dominique Jamet simplifie beaucoup. Sur plusieurs points. Jamais, même au temps du traité de l’Elysée, l’entente franco-allemande ne fut une idylle, l’atlantisme de la République Fédérale contrecarrant la politique d’indépendance européenne que voulait De Gaulle; sous François Mitterrand, qui s’en était d’abord effrayé, la réunification des deux Allemagnes avait déjà largement commencé de rompre l’équilibre entre les deux pays; la création de l’Euro devait en compenser les effets : on sait que ce fut l’inverse qui advint … Sur un autre plan, Dominique Jamet force aussi le trait : certes au sein du couple franco-allemand et de l’Union Européenne, c’est Angela Merkel qui porte la culotte mais est-elle réellement cet homme fort du Vieux-Continent que l’on voit en elle ? Il est souvent fait reproche à l’Allemagne d’Angela Merkel de rester couchée devant l’hyperpuissance américaine malgré sa puissance industrielle, et de n’avoir de politique et d’ambition qu’économique… Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois … Dominique Jamet force aussi le trait lorsqu’il écrit qu’il y a aujourd’hui entre la France et l’Allemagne la même différence et la même distance qu’entre un porte-avions et un pédalo suiveur. Mais globalement, Dominique Jamet a raison : il est vrai que la puissance retrouvée et la prospérité exceptionnelle de l’Allemagne d’aujourd’hui, ajoutée au décrochage industriel et commercial de la France des trente dernières années, ont disjoint le couple et rendu bien plus difficile qu’autrefois la construction européenne. LFAR
Vaincue, pire que vaincue, défaite, occupée, ravagée, humiliée, haïe, morcelée, mise au ban de l’humanité, tandis que la France, après avoir été admise in extremis à la table des vainqueurs, prenait rang parmi les Cinq Grands, qui, en 1945, aurait parié un mark sur le retour de l’Allemagne dans le concert des nations ?
Lorsqu’en 1962 le général de Gaulle, fort de sa stature historique, de la grandeur retrouvée de la France, de sa prospérité, de sa force de frappe et conscient des données permanentes de la géopolitique, tendit la main de la réconciliation à Konrad Adenauer, chancelier de la RFA, l’initiative et la supériorité étaient de notre côté.
Quelques années plus tard, entre Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, puis entre François Mitterrand et Helmut Kohl, l’avantage démographique était du côté de l’Allemagne, l’influence internationale du côté de la France, la taille économique comparable et le tandem franco-allemand fonctionnait à merveille sur la base d’une entente personnelle et politique et d’un équilibre entre les deux peuples voisins, amis et alliés.
Vinrent les années Chirac et Sarkozy. Le couple, nous disait-on, était toujours en pleine lune de miel, l’Europe s’organisait et ne fonctionnait qu’autour de lui. Le moteur franco-allemand était toujours incontournable et déterminant, et l’Allemagne faisant de louables efforts pour ménager notre susceptibilité et se garder de tout orgueil, elle n’insistait pas sur le fait que dans la voiture, c’était elle qui tenait de plus en plus souvent le volant.
La crise grecque, entre autres mérites dont on se passerait, a celui de nous mettre en face de la vérité. Femme forte du Vieux Continent, Angela Merkel n’a tenu aucun compte du désir de compromis affiché par la France et son président. Elle a rassemblé derrière elle, sur une position intransigeante, ignorant les bêlements plaintifs de notre diplomatie, tous les États membres de la zone euro, sans même regarder derrière elle ce qu’il en était de la France, assurée qu’elle était que, comme d’habitude, Paris suivrait. S’il est encore permis de parler d’un couple franco-allemand, il est clair que c’est Madame qui y porte la culotte.
Le Parisien publiait hier les résultats d’un sondage plus cruel et plus éclairant que n’importe quel commentaire ou analyse. A la question : « Parmi les personnalités suivantes, laquelle a, selon vous, le plus d’influence sur les décisions prises par l’Union européenne », 67 % des personnes interrogées répondaient Angela Merkel, 14 % Mario Draghi, 10 % Jean-Claude Juncker 4 % Donald Tusk, président du Conseil de l’Europe. Et François Hollande ? 2 %.
Le roi est nu, et il a perdu sa couronne. Il y a aujourd’hui entre la France et l’Allemagne la même différence et la même distance qu’entre un porte-avions et un pédalo suiveur. Ces dernières années, le président français a pris du poids et la France n’a cessé d’en perdre. On aurait mieux aimé l’inverse. •
Dominique Jamet – Boulevard Voltaire
Journaliste et écrivain. Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d’une vingtaine de romans et d’essais. Co-fondateur de Boulevard Voltaire, il en est le Directeur de la Publication.
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