Par Péroncel-Hugoz
Durant le récent Ramadan, j’ai eu l’occasion de rencontrer un ancien haut fonctionnaire marocain, installé à Nice. Prié à son ftour, je fus surpris de l’austérité de sa table, et je crus bon d’en féliciter mon hôte, en évoquant les buffets pantagruéliques de ftours auxquels je participais naguère…
Durant le récent Ramadan, j’ai eu l’occasion de rencontrer un ancien haut fonctionnaire marocain, installé à Nice, pays de son épouse. Prié à son ftour, rupture vespérale du jeûne, je fus surpris de la relative austérité de sa table, et je crus bon d’en féliciter mon hôte, en évoquant les buffets pantagruéliques d’autres ftours auxquels je participai naguère. Ce qui m’attira la réponse suivante de ce musulman pratiquant : «Mais, monsieur, je suis simplement fidèle à nos propres traditions et je ne suis pas de ces Arabes ayant transposé chez eux les avalanches de plats, de sucreries, de cadeaux de vos fêtes de Noël qui du coup n’ont plus grand-chose de chrétien… ». Et toc ! Impossible de le contredire. Je voulus aussi savoir ce qui, en Ramadan, changeait dans les pratiques intellectuelles de ce sage : « Ne croyez pas que je me plonge chaque soir dans nos textes sacrés, non je les ai assez pratiqués dans mon jeune temps, je les connais, je m’y réfère parfois mais je ne les ressasse pas. Tenez, regardez ce que je suis en train de lire », et il me tendit quelques feuillets intitulés, à ma surprise, « Le Maroc dans la Première Guerre mondiale ». L’auteur ? L’historienne Bahija Simou, par ailleurs directrice des Archives royales à Rabat. La lecture de Ramadan de notre Marocain était une communication énoncée par Lalla Bahija, en juin 2015, à Paris, devant l’Académie des sciences d’outre-mer dont l’intervenante est le seul membre marocain actuel. Cette institution, fondée en 1922, est un peu le pendant exotique de l’Académie française même si elle est bien moins connue, étant plus studieuse que mondaine…
Parmi les fondateurs ou les membres fameux de cette ASOM, on compte aussi bien Lyautey que les frères Tharaud, Léopold Senghor, Félix Houphouët-Boigny, deux rois des Belges, un ex-président portugais, etc.
Ma curiosité étant piquée, dès le lendemain du ftour, je me procurai la communication de Mme Simou sur cette période cruciale si peu étudiée sous son angle spécifiquement marocain. Mon « coup de chapeau » va bien sûr à l’historienne et mon « coup de dent » à ces chercheurs marocains penchés sur des sujets encombrés et «historiquement corrects » : naissance de l’Istiqlâl ; révolte de l’émir Abdelkrim ; rôle de Ben-Barka dans le mouvement tiers-mondiste, etc. La geste des guerriers arabo-berbères lancés dans la Grande Guerre en Europe suscite peu de curiosité au XXIe siècle (avec quelques exceptions comme ce groupe d’élèves du Lycée Lyautey, à Casablanca, ayant travaillé à un album sur le rôle de ces preux de jadis). Ecoutons donc quelques-unes des découvertes de Lalla Bahija :
– En 1912, l’Armée chérifienne ne comptait plus que 1.400 soldats en état de combattre.
– Le sultan Moulay-Youssef, le 20 août 1914, durant la Nuit sacrée de Ramadan, incita ceux de ses sujets volontaires pour aller se battre en Europe, à se manifester. Avec l’accord des oulémas, le monarque décréta une amnistie en faveur des déserteurs ou réfractaires qui s’engageraient. L’Empire chérifien allait bientôt disposer de 40. 000 combattants dont 33. 000 furent dirigés vers le front franco-germanique.
– Dès l’été 1914, la bataille de Penchard, près de Meaux, fut gagnée au corps à corps par des Marocains novices contre les forces aguerries de l’Empire allemand. Le futur maréchal Juin écrivit : « Jamais les Marocains ne m’ont semblé plus confiants qu’à la veille de la grande bataille de la Marne où ils stoppèrent l’avance allemande ». A quel prix ! 1.150 victimes marocaines autour de Meaux. L’état-major français décrivit alors les fantassins de Chérifie comme « intelligents, manœuvriers, courageux, passionnément guerriers, résistants, sobres et bons marcheurs. Ils sont meilleurs tireurs que les Algériens, etc. ».
– Des spahis marocains furent envoyés dans l’Armée d’Orient du général Sarrail, contre l’Empire ottoman : en Macédonie, Bulgarie, Serbie et Albanie ; ces spahis eurent 140 tués.
– Lyautey, résident général de France à Rabat de 1912 à 1925, voulut plus tard faire participer le Maroc en tant qu’Etat à la Conférence de la Paix mais le gouvernement français refusa de peur que les autres protectorats dans sa mouvance (Tunisie, Annam, Tonkin, Cambodge, Laos) ne réclament plus d’autonomie. Lyautey obtint seulement la création de l’Ecole militaire de Dar-Beïda à Meknès, qui allait être « le Saint-Cyr marocain » et d’où sortiraient, après l’indépendance, les Forces armées royales qui s’illustreraient notamment en Syrie, en Afrique noire ou au Sahara marocain. •
Péroncel-Hugoz – Le 360
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