La renaissance d’une église, plus belle restauration de l’année
REPORTAGE – Murée pendant 170 ans, l’église du prieuré de Longefont revit depuis 2015 grâce à l’obstination de ses propriétaires. Ils ont été récompensés par le Grand Trophée de la plus belle restauration, décerné par Propriétés Le Figaro, Le Figaro Magazine, la Fondation pour les Monuments Historiques, en partenariat avec La Demeure Historique.
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C’était le 5 août 2015. Agnès et François Chombart de Lauwe avaient fait signe à leur entourage, à l’occasion de la dédicace de Notre-Dame de Longefont, l’église du prieuré fontevriste dont ils sont propriétaires, dans l’Indre, entre Saint-Gaultier et Le Blanc, près d’Oulches. Après huit ans de travaux, le bâtiment, érigé au début du XIIe siècle, à une époque où la France, animée d’un puissant regain de foi, se couvrait d’un blanc manteau d’églises romanes, avait enfin retrouvé toute sa beauté. Jouant avec les vitraux de l’abside, le soleil estival faisait danser ses rayons de joie sur la pierre claire, tandis que les chantres de la cathédrale de Bourges louaient le Seigneur en grégorien et que l’abbé de Notre-Dame de Fontgombault, venu tout spécialement pour l’occasion, célébrait l’Eucharistie. Puis ce fut au tour d’Irène, l’une des filles d’Agnès et François Chombart de Lauwe, d’entamer, seule, l’Ave Maria de Caccini. Sa voix de soprano juste accompagnée au piano, en sourdine, montait comme une prière dans l’église. Ce jour-là, un vent d’allégresse souffla sur le prieuré de Longefont. Ne dit-on pas que celui qui construit une église sur la terre a droit à un appartement au paradis?
Construire une église, ou plutôt la reconstruire, pierre par pierre…
C’est le défi qu’Agnès et François Chombart de Lauwe ont entrepris de relever en 2007. A cette époque, Notre-Dame de Longefont était loin de présenter le même aspect qu’aujourd’hui. Il ne restait finalement pas grand-chose de l’église de l’Abbatia Longi Fontis(abbaye de la Grande-Fontaine), prieuré féminin fondé dans les années 1110 par Isambert, seigneur de Cors, qui le donna à Robert d’Arbrissel, fondateur du puissant ordre de Fontevrault. Epargnée par les guerres de Religion puis par un incendie criminel qui ravagea le prieuré en
1638, l’église accueillit les prières ferventes des religieuses durant près de sept cents ans avant d’être brutalement fermée en 1792, à la suite de la Révolution française. Certaines des moniales retournèrent dans leur famille ; d’autres, moins fortunées, prêtèrent serment à la République, en échange d’une rente qui leur permettait de vivre. Triste époque! Pour Notre-Dame de Longefont, c’était le début de la fin. Certes, des offices y furent encore célébrés de temps à autre mais par manque de soins, le bâtiment ne tarda pas à se détériorer. La voûte finit par s’effondrer en 1830. On combla alors l’église, jusqu’au sommet des colonnes extérieures, avec des monceaux de terre et de gravats. Ses portes furent murées. La pluie, le vent, la végétation et les arbres achevèrent de condamner l’édifice à l’état de ruine, attendant, telle la Belle au bois dormant, le réveil de son prince charmant.
C’est un coup de gel, durant l’hiver 2005,qui changea la donne
La partie haute de l’une des deux portes romanes donnant accès à l’église s’effondra subitement. François Chombart de Lauwe ne put résister plus longtemps à l’envie qui le taraudait depuis toujours de dégager le passage et de voir ce qui se trouvait derrière ces murs qu’il avait toujours connus. Et puis, une petite voix intérieure, mystérieuse et insistante, ne cessait de lui répéter: «Papa, il faut creuser l’église!» Aidé de son fils et de quelques-uns de ses amis, il commença à creuser dès l’été 2006, s’improvisant expert dans le maniement de la pioche et de la truelle. Drôle de reconversion pour ce centralien, ancien dirigeant d’entreprise!
Les premiers coups de pioche sont fructueux: la joyeuse équipe découvre, enfouis sous la terre, 19 chapiteaux romans. Une trouvaille totalement inattendue! «Il a fallu porter les chapiteaux un à un, avec des méthodes d’Egyptiens, pour les mettre à l’abri. Chacun d’eux pesait 200 kilos! raconte François Chombart de Lauwe. Conscients d’être tombés sur de véritables merveilles, nous avons décidé de faire appel à une entreprise spécialisée. Il y avait 600 m3 de terre à extraire de l’église. Si nous avions voulu tout dégager par nous-mêmes, en y consacrant toutes nos vacances, cela nous aurait pris plus de vingt ans…» A l’aide de piolets, de pelles et de brosses, les artisans de l’entreprise de maçonnerie Christian Polo (venue du sud de Poitiers) s’attaquent au chantier.
Et là, stupeur: ils découvrent 26 autres chapiteaux
Soit un total de 45 avec ceux trouvés précédemment, superbement sculptés de serpents, dragons, monstres et autres créatures hybrides. Certains d’entre eux présentaient même des traces de polychromie. Tous avaient été soigneusement démontés et placés sous quelques centimètres de terre à la suite de l’effondrement de la voûte. «Autant de chapiteaux romans réunis, c’était de l’inédit total, s’exclame François Chombart de Lauwe. Une véritable merveille!» Les travaux de déblaiement mettent au jour la beauté de l’intérieur de l’église, finalement beaucoup mieux conservé que les parties extérieures: outre des fresques, 36 colonnes sont découvertes dans le chœur et l’abside, en place et en bon état ; certaines sont même marquées de la croix de consécration. L’emmarchement du chœur est dégagé, de même que les voussures romanes des deux portes.
Puis un beau jour, on découvre l’autel maçonné, et sa table que quelqu’un avait un jour délicatement déposée le long du mur. «Mon beau-père répétait toujours qu’il fallait trouver le trésor de Longefont, raconte Agnès Chombart de Lauwe. Il tapotait sur les pierres en disant à ses petits-enfants: “Creusez donc, cela sonne creux!” Il n’avait pas totalement tort…»
Pierres de taille, moellons, tailloirs sont soigneusement répertoriés, analysés et stockés à même le sol dans un espace baptisé le «lapidaire». Un minutieux travail d’anastylose est alors mené durant deux mois: les pierres sont étudiées une à une, méthodiquement, en vue d’identifier l’ajustement des différents éléments architecturaux, et de restituer chaque partie de l’église avec ses pièces d’origine. «Nous n’avions aucun plan, aucun dessin, aucune archive permettant de reconstituer les pièces de ce gigantesque puzzle, rappelle Agnès Chombart de Lauwe. Ce sont les pierres, vieilles de 900 ans, qui ont parlé!»
Un vieux clou de fer forgé retrouvé au sommet d’une colonne permet de déterminer avec précision la hauteur à laquelle replacer les chapiteaux et, par déduction, l’ensemble de la restitution. Mais selon quel ordonnancement? «Très vite, on s’est aperçus que chaque chapiteau trouvait sa place dans la construction par la géométrie de la pierre dans laquelle il avait été sculpté, reprend-elle. En effet, si la partie sculptée est disposée au sommet d’une colonne, son prolongement dans la maçonnerie doit correspondre au mur situé derrière.»
Au total, huit années ont été nécessaires
Huit années pour mettre en valeur cet ensemble architectural superbe, au terme d’un gigantesque travail de restitution que récompense Le Grand Trophée de la plus belle restauration remis cette année à Agnès et François Chombart de Lauwe. Le montant des travaux qu’ils ont entrepris s’élève à plus d’un million d’euros, dont 70 % apportés par leurs soins (735 980 euros), le reste de la somme provenant de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) et du conseil général (10 %).
On peine à croire, en voyant cette paisible église romane du XIIe siècle nichée dans son écrin de verdure, qu’elle était à terre il y a encore quelques années. En 2015, l’édifice avait retrouvé toute sa pureté, son élégance… et même une protectrice en la personne de sainte Philomène, à qui sont attribués nombre de
grâces et miracles. Depuis un peu plus d’un an, cette princesse grecque martyrisée à l’âge de 13 ans sous le règne – terrible pour les chrétiens persécutés – de l’empereur Dioclétien (284 à 305 après J.-C.), veille sur l’église de Longefont, ses reliques, offertes par des amis des Chombart de Lauwe, y ayant été religieusement déposées sous la pierre d’autel.
Il ne manquait plus à l’édifice que des vitraux. Leur réalisation a été confiée au maître verrier Pierre Le Cacheux, qui a suivi de près les souhaits des propriétaires des lieux. La Drac leur a laissé carte blanche, estimant que c’était une affaire qui regardait la famille.
«Nous voulions de la couleur, expliquent ces derniers. Et aussi ajouter une note personnelle au projet.» La Samaritaine au puits, le miracle de la tempête apaisée, le baptême du Christ… Comme un fil conducteur, l’eau et le bleu sont omniprésents dans les vitraux, comme un écho à la Grande Fontaine ou «Font-Bleue» qui jaillit en contrebas de l’abbaye et, après avoir cheminé en minces ruisselets dans la prairie, tel le sang dans les veines, va rejoindre la Creuse. «L’eau, c’est la vie, résume Agnès Chombart de Lauwe. La vie de l’homme qui jaillit de la Font-Bleue et parcourt les vitraux ; mais aussi la vie divine qui nous est offerte par le baptême. L’eau, comme la vie, nous est donnée. Elle s’écoule. Un jour ou l’autre, elle nous est reprise, mais avec le Christ qui tient le gouvernail dans la tempête, nous n’avons pas d’inquiétude à nous faire!»
L’un des vitraux, situé derrière l’autel, attire tout particulièrement l’attention.
On y voit une jeune fille dans les bras de la Sainte Vierge, accueillie avec tendresse et une infinie douceur:
c’est Mathilde, la troisième fille des Chombart de Lauwe, brutalement décédée en janvier 1998, à l’âge de 17 ans et demi. «Ce vitrail, nous l’avons baptisé Le Songe d’Evrard,explique François Chombart de Lauwe. Evrard est l’un de nos gendres. Le 26 décembre 1997, il s’est réveillé en nous disant qu’il avait rêvé que Mathilde avait la tête posée sur les genoux de la Vierge. Quelques jours après, elle tombait dans le coma.»
Sur la cheminée du salon, une photo de Mathilde. Ravissante, gaie, intelligente. Née avec une malformation cardiaque qui la condamnait d’avance (elle ne vivrait que sept semaines, pensaient les médecins à l’époque), elle mordait la vie à pleines dents, trouvant le temps, entre ses études au lycée Saint-Louis (en Maths sup), de sortir avec ses amis, de visiter Rome, d’assister aux JMJ lors de la venue du pape Jean-Paul II à Paris… Un événement qui l’avait bouleversée. Elle aimait aussi particulièrement venir à Longefont. «C’est un lieu que j’adore, confiait-elle à son journal intime dont elle noircissait les pages avec passion, allant jusqu’à écrire sept volumes entiers. J’aimerais beaucoup amener des amis ici et leur faire partager ce sentiment de bonheur et de bien-être qui m’étreint quand je me promène au soleil dans le potager ou que je m’assieds un instant au pied de la chapelle.» Un jour, alors qu’elle était perchée sur le haut des vieilles fortifications de l’ancienne abbaye, qui domine superbement la Creuse, elle avait dit à ses
parents, en regardant l’église de Longefont caressée par la lumière du soir qui semblait vouloir réveiller ses vieilles pierres de leur torpeur: «Un jour, je voudrais me marier ici.» Le sort en a décidé autrement: «J’ai été prévenue de son décès quelques mois auparavant,confie Agnès Chombart de Lauwe. J’étais à Lourdes où je m’occupais des malades, dans le cadre du Pèlerinage national. Un soir, je suis allée prier seule à la grotte et tout à coup, j’ai ressenti une impression étrange. Une voix m’a murmuré: “Prépare-toi, Agnès, la vie va basculer.” Deux jours plus tard, alors que j’étais rentrée à Longefont, Mathilde s’effondrait dans ma chambre, victime d’un malaise. Ah non, pas déjà! ai-je supplié le Seigneur.» Mathilde est morte quelques mois après.
C’est pour elle, en sa mémoire, que les Chombart de Lauwe ont entrepris de redonner vie à leur église. Habitant le manoir prieural (XVIIIe) situé à quelques mètres, ils s’y rendent désormais tous les jours ; et l’été, lorsque leurs 17 petits-enfants les rejoignent pour les vacances, c’est ici, après avoir nagé dans les eaux généreuses de la Creuse, que l’on vient se ressourcer le soir et prier. En famille.
Le Grand Trophée de la plus belle restauration
Le Grand Trophée de la plus belle restauration est décerné pour la cinquième année consécutive par Propriétés Le Figaro, Le Figaro Magazine et la Fondation pour les Monuments Historiques, en partenariat avec La Demeure Historique. Il récompense un projet exceptionnel de restauration d’un monument, d’un parc ou d’un jardin privé bénéficiant d’une protection au titre des Monuments historiques. Un chèque de 30 000 euros est remis au lauréat. Le jury, présidé par Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro, est composé d’experts et de passionnés du patrimoine: Benoît Bassi (président de la Fondation pour les Monuments Historiques), Antoine Courtois (directeur de l’atelier Mériguet-Carrère), Frédéric Didier (architecte en chef du château et de la ville de Versailles), Dominique Flahaut de la Billarderie (membre du comité exécutif de la Fondation pour les Monuments Historiques), Jacques Garcia (architecte, décorateur, propriétaire du château du Champ-de-Bataille), Jean de Lambertye (président de La Demeure Historique), Yves Lecoq (humoriste, auteur de Fou de châteaux, Editions du Chêne), Olivier Marin (rédacteur en chef de Propriétés Le Figaro), Jean-Louis Remilleux (producteur de l’émission «Secrets d’histoire») et Jean-René Van der Plaetsen (directeur délégué de la rédaction du Figaro Magazine).
La Fondation pour les Monuments Historiques voit loin
Créée en 2008, sous l’égide de la Fondation de France, la Fondation pour les Monuments Historiques est un acteur récent, mais puissant, dans le monde du patrimoine architectural et paysager français. La vocation de cette fondation que préside Benoît Bassi peut être résumée ainsi: assurer la pérennité des monuments historiques pour les transmettre aux générations futures. Depuis 2009, la Fondation a attribué 1,2 million d’euros à près de 100 projets de restauration de monuments et de jardins privés et publics, ainsi qu’une soixantaine de bourses d’études à des étudiants en métiers d’art de la restauration et en recherche.
Fondation pour les Monuments Historiques, hôtel de Nesmond, 57, quai de la Tournelle, 75005 Paris (01.55.42.60.04 ; www.fondationmh.fr ).
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