Entretien dans Boulevard Voltaire
Ces propos pourront choquer les lecteurs de Maurras qui se souviendront qu’il définissait le binôme « capitalisme et tradition » comme fondement de toute civilisation. Il est évident que le capitalisme dont il est question ici est un autre concept, une autre pratique. Celui dont le même Maurras avait annoncé la tyrannie, en conclusion de l’Avenir de l’intelligence. Et qui engendrerait l’âge de fer, l’âge barbare, où nous sommes aujourd’hui. En bref, le règne de l’Or. Il s’agit ici du capitalisme défini comme marchandisation du monde. Et c’est pourquoi, malgré l’aspect paradoxal qu’il pourra avoir pour certains, comme d’ailleurs l’enseignement du pape François, nous croyons qu’en l’occurrence de Benoist a raison. LFAR
Avec sa dernière encyclique, qui a fait grand bruit, le pape François s’est apparemment rallié à l’écologisme le plus radical, ce qui ne doit pas vous déplaire. Mais n’est-il pas dans son rôle quand il s’inquiète du sort de la création ?
Le pape François n’est pas le premier souverain pontife à exprimer un souci écologique. Le grand précurseur en la matière est évidemment François d’Assise, dont le pape n’a pas hésité à rappeler qu’il parlait de « notre Mère la Terre ». Mais il est de fait que, dans l’encyclique Laudato si’, il va plus loin que ses prédécesseurs, que ce soit pour dénoncer le « mythe du progrès » (n° 60), l’orientation actuelle de l’économie (n° 128) ou le fait que « l’être humain et les choses ont cessé de se tendre amicalement la main pour entrer en opposition » (n° 106). Je trouve cela très positif.
Théologiquement, les choses sont un peu plus compliquées. Le christianisme s’est certes très tôt séparé des gnostiques, qui estimaient que ce monde était intrinsèquement mauvais. Mais la théologie chrétienne, fondée sur la distinction de l’être créé et de l’être incréé, ne reconnaît pas de sacralité intrinsèque au monde. Or, c’est parce que le monde a été désacralisé que Descartes a pu poser l’homme comme « maître et possesseur de la nature ». La tradition chrétienne place par ailleurs l’homme au sommet de la création, ce qui lui donne des droits sur elle. La Genèse lui assigne le devoir de « dominer sur toute la Terre » (1,26). On a récemment cherché à traduire ce verbe de façon plus souple, par « diriger de façon responsable, être le gardien de », mais cette manière de faire sollicite le texte. Le terme original est radah, qui signifie bien « dominer » au sens de soumettre, subjuguer, assujettir, fouler aux pieds, comme le montrent ses autres occurrences dans la Bible (Lév. 26,17 ; Nombres 24,19 ; Néhémie 9,28, Psaumes 49,14, etc.).
Pareillement, lorsque ce même pape condamne capitalisme et libéralisme, ne met-il pas ses chaussons rouges dans les pas de ses augustes devanciers ?
En ce domaine, en effet, il n’innove pas radicalement. La critique du libéralisme, notamment, est déjà présente dans la doctrine sociale de l’Église. Au Vatican, cette critique remonte au moins à l’encyclique Rerum novarum (1891) et à sa condamnation d’une « concurrence effrénée » aboutissant à la « concentration, entre les mains de quelques-uns, de l’industrie et du commerce ». Ce qui est nouveau en revanche, et ce dont je me réjouis, c’est que le pape ne se borne plus à dénoncer les « dérives », les « excès », les « mauvaises applications » du système capitaliste. Il ne se borne pas non plus à faire appel à la conscience morale, au « juste salaire », au paternalisme ou à la charité. Il tranche net et sans détours. Il l’a redit récemment en s’adressant aux mouvements populaires de Bolivie : le système capitaliste est intrinsèquement mauvais, car il contredit les « droits sacrés » que résume le principe « terre, toit, travail » (terra, techo, trabajo). Il est « intolérable » parce qu’il implique la toute-puissance de l’argent, que Basile de Césarée qualifiait de « fumier du Diable ». Bref, il constitue une « structure de péché ».
Conformément à la leçon des Évangiles (les premiers chrétiens exigeaient la mise en commun de tous les biens), le pape François a choisi l’« option préférentielle en faveur des pauvres ». Il a bien compris que le capitalisme, avant d’être un système économique, est un « fait social total », porteur d’une anthropologie qui lui est propre. De même a-t-il bien compris que les réformes sociétales que la gauche veut appliquer aujourd’hui n’ont rien de « socialiste » ni même de « gauchiste », mais procèdent de la même conception de l’homme qui est à la base du libéralisme économique et de la société de marché, une conception qui fait de l’axiomatique de l’intérêt et de l’orientation vers la logique du gain le fondement même du phénomène humain, le réduisant ainsi aux seules lois gravitationnelles du désir et de l’intérêt.
Ce qui est assez amusant, c’est de voir les chrétiens les plus réactionnaires, qui se réfèrent à tout instant au pape pour condamner le mariage homosexuel, la PMA pour tous et la « culture de mort », regarder ailleurs ou l’inviter à « s’occuper de ses messes » quand il condamne sans équivoque la marchandisation du monde et le système du profit. Comme si le pape, à défaut d’être infaillible sur le sujet, était nécessairement incompétent en économie ! Comme s’il devait rester muet sur le monde actuel, sur les effets dévastateurs du libre-échange, sur les privatisations, sur le système qui « tue » et qui « exclut » ! Dom Hélder Câmara, dont le procès en béatification a été engagé en 2013 au Vatican, disait déjà : « Quand je donne à manger aux pauvres, on dit que je suis un saint, mais quand je demande pourquoi ils ont faim, on me traite de communiste. ». Aux États-Unis, il a suffi que le pape condamne la société de marché pour que les Américains voient en lui Karl Marx ressuscité ! D’autres, en France, l’ont accusé de « messianisme terrestre », d’« altermondialisme larvé », de « zapatisme », et que sais-je encore. Les héritiers de Thiers et de Guizot veulent bien qu’on leur parle de « pauvreté évangélique », mais à condition qu’on ne leur demande pas d’en suivre l’exemple…
Qu’un Alain de Benoist puisse dire du bien du Vatican, ça vaut le détour en tout cas ! Vous qui n’avez notoirement pas d’atomes crochus avec le monothéisme en général et le christianisme en particulier, cela ne vous pose pas de problème ?
Cela ne m’en pose aucun. Je suis un intellectuel engagé, pas un intellectuel partisan. Je juge des idées en fonction de ce que je crois être leur valeur de vérité, non en fonction de la personne qui les émet ou du lieu à partir duquel elles sont émises. Simple question d’honnêteté. •
Boulevard Voltaire
Bravo à Alain de Benoist pour son honnêteté intellectuelle et bravo à LFAR d’avoir repris cet article.
L’écologie est une chose, les thèses du GIEC autre chose. Sauf erreur de ma part le document du Pape valide implicitement les thèses du GIEC. Ces thèses exprimées dans les modèles climatiques sont fausses. Les prévisions qui ont été faites par le GIEC dans les rapports précédents ne se sont pas réalisées à ce jour. In fine la nature aura raison. Comment avec des modèles qui n’ont pas été capables de prédire les évènements de maintenant peut-on prétendre prédire comment seront les choses en 2100? L’histoire retiendra que le Pape s’est mêlé de science et qui n’a pas choisi la bonne hypothèse.
Je souscrit totalement aux propos d’Yves LETOILE quant à la fausseté et la malhonnêteté des thèses développées par les experts auto-proclamés du GIEC . Quant au Saint Père, il ferait bien mieux de s’occuper du refroidissement de la foi plutôt que du réchauffement de la planète. Il y a là bien plus d’urgence !
Je crois que les deux Yves ci-dessus ont parfaitement raison de pointer le caractère contestable et contesté, probablement très idéologique et partial, des travaux du GIEC.
Cela étant, je leur ferai observer que le thème du réchauffement climatique n’est pas celui que commente Alain de Benoist dans l’encyclique du pape François.
Nous sommes là hors sujet, si je puis me permettre.
vous avez tout a fait raison. Allons plus loin .Ce n’est pas parceque le Giec ment, interdit toute contestation et reçoit l’appui du « Système » que l’avenir de la « Nature » n’est pas inquietant . Certes les écolomaniaques et les écolopolitiques arriveraient presque a nous degouter de l Ecologie,comme les féministes poussent chaque jour les partisans des vrais droit des femmes au « machisme »,comme les européistes nous rendraient anti-européens si nous ne savions pas bien distinguer entre notre Europe et la leur, etc….Le problème est qu’il faut faire le tri. Dans le domaine environnemental la falsification règne,comme ailleurs.Il y a 15 ans les écolos affirmaient qu’il n’y avait plus que 150 baleines en Méditerranée.Une équipe de chercheurs en compta 1800 dans leur zone de reproduction,au large de la Sardaigne.Le thème fut simplement abandonné par les « defenseurs de la Nature »….Quant a l’évolution terrifiante du Capitalisme mondial,il serait desespérant que le Pape s’en desinteresse….