Jean-Pierre Robin, chroniqueur économique au Figaro, constate ici à quel point les négociations en cours à Athènes entre les créanciers et le gouvernement Tsipras se trouvent compliquées par la situation économique grecque, bien plus catastrophique qu’on l’imaginait encore à la mi-juillet. Compromises aussi par les divergences de fond entre les positions française et allemande. Oppositions qui amènent à douter du maintien de la Grèce dans l’Euro, aussi bien que de la pérennité de l’Euro, au moins comme monnaie unique. LFAR
La bourse d’Athènes a chuté d’environ 20% en deux jours, depuis sa réouverture le lundi 2 août après cinq semaines de fermeture. Cette dégringolade, sans précédent depuis le krach mondial de l’automne 1987, aurait été sans doute encore plus sévère si les contrôles de capitaux ne restreignaient pas les ventes auxquelles les Grecs eux-mêmes sont autorisés à procéder. Alors que les investisseurs étrangers détiennent 60% des titres des entreprises grecques cotées en bourse, le plongeon exprime la défiance vis-à-vis de la Grèce et le délabrement de son économie.
La question se pose donc à nouveau : en dépit des propos lénifiants de Pierre Moscovici, le Commissaire européen, (« nous allons dans la bonne direction »), l’accord de principe signé le 13 juillet sur un troisième plan d’aide de 86 milliards d’euros est-il réellement viable ?
Ce programme vise avant tout à permettre à la Grèce d’assurer ses échéances financières les plus urgentes. La plus immédiate concerne le remboursement de 3,2 milliards d’euros à la BCE sur les titres de l’Etat grec que détient cette dernière et qui arrivent à échéance le 20 août prochain. Négocié par les créanciers désormais regroupés en quatre institutions (FMI, BCE, Commission européenne à laquelle s’ajoute le Mécanisme européen), sous la houlette des ministres des Finances de la zone euro, la démarche est essentiellement de nature financière.
Outre les remboursements que l’Etat grec ne peut effectuer, faute d’enregistrer un excédent budgétaire, faute également de pouvoir avoir accès aux marchés financiers qui lui sont interdits de facto, il s’agit aussi de recapitaliser les banques grecques. Ces dernières sont actuellement tenues à bout de bras par la BCE qui viole ses propres règles prudentielles, sinon il y a des mois que le système bancaire de la Grèce aurait explosé et serait en totale faillite.
Et last but not least, ces 86 milliards d’euros, sont censés financer sur les trois ans à venir toutes les dettes qui viennent à échéance, mais aussi les dépenses courantes que l’Etat est incapable d’équilibrer en levant des impôts.
Malheureusement, le jeu donnant-donnant (Athènes consent des réformes essentiellement budgétaires et fiscales pour obtenir les 86 milliards) fait plus ou moins l’impasse sur la situation réelle de l’économie. Or celle-ci s’avère bien plus dégradée qu’on l’imaginait encore il y a trois semaines quand fut élaboré « l’accord » du 13 juillet.
La déroute s’est opérée en trois étapes. D’abord les élections du 22 janvier : elles ont conduit au gouvernement Tsipras, lequel a tourné le dos aux mesures de rigueur de ses prédécesseurs.
Puis s’est produite une dégradation irréversible de l’économie et de la confiance, au fur et à mesure que la nouvelle équipe mettait en place son programme et dénonçait la pression des créanciers.
Et enfin, troisième temps, une dramatisation violente, avec l’annonce surprise, le 28 juin, du référendum où le peuple grec s’est prononcé (5 juillet) contre le nouvel accord qui venait d’être conclu les jours précédents avec les créanciers par l’équipe d’Alexandre Trispras elle-même. Ce dernier a fait campagne pour le « non » dénonçant sa propre signature au plan international !
Au moment des élections de janvier et alors que la Grèce avait enregistré une faible croissance de 0,4% en 2014, après sept années d’un recul ininterrompu conduisant à une amputation d’un quart de son PIB, le FMI tablait sur une augmentation de 2,9% en 2015. Ce scénario a très vite tourné court. Quand l’ensemble des pays de la zone euro renouaient avec l’expansion au premier trimestre (de 0,6% en France notamment), Athènes retombait dans la récession (recul de 0,2% du PIB). Les résultats du deuxième trimestre ne sont pas encore connus (ils le seront le 14 août). En revanche on sait d’ores et déjà que la production industrielle a reculé de 2% en avril, qu’elle s’est effondrée de 5% en mai, et que le mouvement s’est sans doute poursuivi en juin à ce même rythme.
Certes l’industrie n’est qu’une partie de l’activité économique (particulièrement faible en Grèce où elle ne représente que 10% du total), mais les autres secteurs (agriculture, services, commerce) subissent une atonie assez semblable. Les économistes du cabinet britannique Capital Economics tablent ainsi sur une chute du PIB de l’ordre de 2% au deuxième trimestre, laquelle risque de s’amplifier dans la seconde partie de l’année. Le PIB pourrait ainsi diminuer de 4% sur l’ensemble de 2015.
Un tel plongeon paraît aujourd’hui fort probable compte tenu de la déroute économique qui s’est enclenchée dès l’annonce du referendum du 28 juin. Car dans la foulée il y eu la décision prise par Alexis Tsipras de fermer les banques et la bourse et d’instaurer des contrôles de capitaux. Lesquels demeurent malgré la réouverture des banques et de la bourse d’Athènes. Or les dégâts sont considérables. Pénurie de crédits bancaires, assèchement des commandes publiques de l’Etat soucieux de payer les fonctionnaires et les retraites, mais beaucoup moins d’honorer ses fournisseurs, au total l’activité des PME et notamment du commerce aurait été divisée par deux selon un sondage de la fédération professionnelle du secteur (GSEVEE). Même si ce genre d’information ne saurait être pris argent comptant, surtout dans un pays où l’économie souterraine reste essentielle, la désorganisation fait des ravages.
L’effondrement de la confiance entre les Grecs eux-mêmes – PME et particuliers – est d’autant plus grave que cela tend à amplifier les effets mécaniquement déprimant des mesures d’austérité (sur les retraites ou la TVA par exemple), lesquelles sont par ailleurs nécessaires.
Comment sortir d’un tel cercle vicieux, alors que la Grèce aurait besoin d’un « new deal », d’une nouvelle donne, pour repartir d’un bon pied ?
Tel est le dilemme du « quartet » des créanciers : ils sont effrayés d’avoir à offrir 86 milliards d’euros, mais ils se montrent incapables de dessiner un scénario roboratif tellement la tâche de reconstruction de l’économie et de la société grecques semble pharaonique. Les quatre membres du quartet sont d’ailleurs loin d’être unis si l’on en juge par l’attitude du FMI : ce dernier se déclare à la fois partisan d’un allègement de la dette (les Européens s’en tiennent à un rééchelonnement), tout en annonçant qu’il est hors de question que le FMI mette de l’argent supplémentaire (ses propres règles et ses 189 pays actionnaires, dont les Etats-Unis, s’y opposent fermement).
Au sein même des pays Européens, les points de vue demeurent fondamentalement dissemblables. Wolfgang Schaüble, le ministre des Finances allemand, n’a toujours pas ravalé l’idée de faire sortir « temporairement » la Grèce de l’euro. « Sur ce point (du Grexit) il y a un désaccord, un désaccord clair » a admis Michel Sapin, son homologue français, dans une interview au quotidien de l’économie Handelsblatt. Notre ministre des Finances, qui est pour sa part totalement hostile au Grexit, reconnaît donc implicitement que la question est loin d’être définitivement réglée.
La différence de points de vue entre Schaüble et Sapin, entre l’Allemagne et la France, est à vrai dire fort simple et traditionnelle. Outre-Rhin on part des réalités de terrain, on considère que l’économie grecque est réellement inapte à vivre avec une monnaie surévaluée pour elle, sans doute de moitié compte tenu de sa compétitivité et du dépérissement de ses entreprises.
En France on s’en tient à une analyse formaliste, « si vous autorisez qu’un pays puisse sortir temporairement, cela signifie que tous les autres pays en difficulté vont vouloir se tirer d’affaire par un réajustement de leur monnaie », explique Michel Sapin.
Les deux points de vue sont parfaitement exacts et défendables. D’un côté l’éthique de la responsabilité et de l’autre l’éthique de la conviction, pour reprendre l’opposition célèbre de Max Weber. Schaüble le comptable pointilleux, Sapin le béat généreux.
Mais la tension n’en est pas moins intenable entre les deux, et il faudra bien finir par trancher. C’est pourquoi on suivra avec la plus grande attention les indicateurs de l’économie grecque, qu’il s’agisse de la santé de ses entreprises ou du chômage de ses habitants. •
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