Philippe Bilger peint notre République sous les traits d’une « ado attardée ». Une République qu’il nomme aussi prépubère. Nous ne le contredirons pas. Il a raison.
Verlaine, lui, l’avait vue au contraire déchue, en immonde vieillarde lui inspirant un terrible sonnet qui insulte Marianne dans des termes fort gaillards, comme seul un poète y est autorisé. Poème, en effet, antirépublicain à l’extrême.
« Ado attardée », République prépubère ou immonde vieillarde ? On peut sans-doute l’envisager sous l’un ou l’autre aspect.
Voici, en tout cas, la vision de Paul Verlaine. Iconoclaste, il est vrai, mais dont l’auteur n’en est pas moins l’un des plus grands poètes français. •
Buste pour mairies
Marianne est très vieille et court sur ses cent ans,
Et comme dans sa fleur ce fut une gaillarde,
Buvant, aimant, moulue aux nuits de corps de garde,
La voici radoteuse, au poil rare, et sans dents.
La bonne fille, après ce siècle d’accidents,
A déchu dans l’horreur d’une immonde vieillarde
Qui veut qu’on la reluque et non qu’on la regarde,
Lasse, hélas ! d’hommes, mais prête comme au bon temps.
Juvénal y perdrait son latin, Saint-Lazare
Son appareil sans pair et son personnel rare,
A guérir l’hystérique égorgeuse des Rois.
Elle a tout, rogne, teigne… et le reste et la gale !
Qu’on la pende pour voir un peu dinguer en croix
Sa vie horizontale et sa mort verticale.
Paul Verlaine, sonnet, Invectives, Buste pour mairies (1881)
Verlaine, un génie clairvoyant