La crise, Acte 2, selon Jacques Atali
Certes, nous ne pensons pas que toute prédiction de Jacques Atali doit nécessairement être prise pour argent comptant. Il a trop souvent revêtu les habits du prophète ou du gourou et les faits l’ont trop souvent démenti, pour qu’on puisse tenir les dites prédictions – ou prévisions ! – pour automatiquement sûres. Toutefois, si l’on expurge sa présente analyse de ce qu’elle peut avoir de très incertain, sa réflexion lorsqu’elle s’attache aux réalités nous paraît au contraire pertinente et de bon sens. Au titre des éléments très incertains, il faut ranger l’idée selon laquelle le monde pourrait échapper à la crise à venir « à condition de mettre en place des mécanismes de coordination, de réorientation et de surveillance planétaires. » Cette condition ne peut être remplie. Elle est de l’ordre du rêve. En temps de crise, plus encore que jamais, ce sont les intérêts particuliers qui s’activent, se durcissent et s’affrontent. La globalisation ne les a pas amoindris ni harmonisés. Tout au contraire. En revanche, la critique que fait Atali d’une économie mondiale aujourd’hui principalement fondée sur l’accroissement indéfini et court-termiste de la dette et de la masse monétaire, avec les conséquences gravissimes qu’il peut en résulter à plus ou moins court terme, nous paraît être de simple bon sens. Atali agite souvent des rêves fumeux. Mais il a aussi une expérience ancienne et très concrète du et des pouvoirs. LFAR
Pour avoir écrit ici le 4 février dernier (voir L’Express N•3318) qu’une nouvelle crise économique mondiale menaçait, et en avoir révélé les signes avant-coureurs, j’ai déclenché d’innombrables ricanements. L’analyse est encore plus vraie aujourd’hui : le monde s’approche d’une grande catastrophe économique. Et personne n’en parle.
Nul ne voit, en particulier, que ce qui se joue en Chine peut entraîner, par contagion, une dépression planétaire si nous n’agissons pas vite, de façon préventive. L’évolution chinoise était prévisible : sa croissance à 10% par an ne pouvait être durable et le ralentissement était inévitable. De plus, la Chine n’est plus compétitive, au cœur d’une Asie dont nombre de pays s’éveillent à leur tour. L’Empire du Milieu n’a pas su, comme l’ont fait les Etats-Unis et le Japon en leur temps, créer des firmes de taille internationale, avec des marques mondiales. La catastrophe de Tianjin aggrave cette menace dans des proportions considérables, paralysant une ville de 15 millions d’habitants, l’un des premiers lieux d’exportation et d’importation du pays, et rappelant, après d’autres événements du même genre, combien ce pays souffre des censures que lui imposent les exigences d’un parti unique.
Les conséquences de cette situation peuvent être désastreuses pour le régime. La récession a, en effet, entraîné une baisse de plus d’un tiers de la valeur de la Bourse, où les 200 millions de membres de la classe moyenne ont investi la moitié de leur épargne, mise en réserve pour financer les frais de santé et d’éducation familiaux, ainsi que leurs retraites, que l’Etat ne couvre pas. De plus, si la croissance continue de ralentir, c’est l’exode rural qui va s’essouffler, réduisant la demande de logements et menant l’immobilier à l’effondrement, ce qui détruira l’autre moitié de l’épargne de la classe moyenne. Et rien n’est plus dangereux, pour tout régime, que de ruiner sa classe moyenne, ossature de tout ordre social.
La manipulation du taux de change ne suffira pas à enrayer cette chute. Au contraire, même, elle peut l’aggraver en mettant la Chine en situation de dépendre du bon vouloir des spéculateurs internationaux, et en incitant d’autres pays à agir sur leur taux de change pour rétablir leur compétitivité.
Au total, la récession chinoise, si elle se confirme, entraînera celle du Brésil, qui provoquera celle des Etats-Unis puis la nôtre. Cette menace, aujourd’hui négligée, sera bientôt d’actualité. Au plus tard lors du G7 d’Istanbul, en septembre, les dirigeants occidentaux devront débattre d’un éventuel plan de relance. Seulement voilà : nos Etats ne disposent plus, comme en 2008, de marges de manœuvre budgétaires, et nos banques centrales n’ont plus la possibilité, comme en 2010, de diminuer leurs taux d’intérêt.
Alors, que reste-t-il pour relancer la croissance ? La solution la plus folle, la plus facile, serait d’imprimer encore plus de billets, comme on le fait déjà aux Etats-Unis, au Japon, en Grande-Bretagne et dans la zone euro. Cela finirait par ruiner les épargnants, c’est-à-dire les seniors, aujourd’hui grands vainqueurs d’un monde sans enfants, sans pour autant donner du travail et des perspectives de croissance aux plus jeunes.
Nous avons encore tous les moyens d’empêcher un tel scénario et, même, de ne pas se contenter d’une stagnation sans création d’emplois, qui semble pourtant être aujourd’hui la meilleure hypothèse. L’économie mondiale a les possibilités d’une très forte croissance, d’un genre nouveau, à condition de mettre en place des mécanismes de coordination, de réorientation et de surveillance planétaires ; de penser l’économie en fonction de l’intérêt des générations suivantes ; de lutter contre les rentes économiques, financières, sociales et politiques ; et de favoriser les innovations de toutes natures. Cela suppose de l’audace, de la confiance, de la transparence. Toutes choses que les politiques, quels que soient les régimes, détestent par-dessus tout. •
L’Express – Le blog de Jacques Atali
Jacques Attali ne manque ni d’expérience(s) ni de relations ni d’intelligence des situations.: toutes qualités d »où s’induisent des réflexions politiques justes (nous l’avons accompagnés dans sa dénonciation des bureaucraties départementales; dans sa magistrale défense de la francophonie; dans son analyses sur la naissance du capitalisme; dans sa dénonciation de la courte vue de la classe politique). Cette louable lucidité (qui explique nous puissions travailler avec lui) vole en éclat dès que l’on passe sur le « terrain sociétal » : n’est-il pas apologiste de l’euthanasie au nom de « l’égalité socialiste » devant la mort. Bref il faut trier et pour cela il faut bien élaborer un référentiel, une grille de lecture, dispenser une formation « doctrinale ». Beaucoup de petits maîtres penseurs s’y exercent pour lesquels Jacques Attali est sans doute LE diable. Mais un diable qui plus qu’un autre « porte pierre ».
Pour apprendre à trier le bon grains de l’ivraie il suffit de se rendre au Camp Maxime Real del Sarte dont les programmes destinés aux jeunes concilient une approche empirique des phénomènes sociaux (on y reconnaîtra ainsi que Jacques Attali a des jugements pertinents) avec l’organisation d’un ordre conforme à la nature sociale (et on reconnaîtra que le même Attali a des visions fausses !). La vie n’est pas simple !
Excellente analyse. La vie n’est pas simple. Il faut trier. Les diables portent pierre, eux aussi. Relire à cet égard la parabole du bon grain qui est tout sauf manichéenne. Enfin, les diables intégraux n’existent probablement pas.
Merci. Non seulement faire le tri, mais, c’est à la mode, faire un tri sélectif. On retiendra l’étude majeure d’Attali « La francophonie et la francophilie moteurs de la croissance durable »
Le seul fait de rapprocher francophonie et francophilie rompt heureusement avec l’idéologie linguistique totalitaire (l’abbé Grégoire et Pol Pot étaient francophones). C’est pourquoi sans être « attaliste » on peut utiliser cette étude (rapporteurs : Adrienne Brottons, inspectrice des finances et Angélique Delorme, Conseil d’Etat). citation « La révolution française et les conquêtes napoléoniennes provoquèrent un élan nationaliste dans la plupart des pays d’Europe, s’accompagnant d’un recul de l’usage du français en Europe ».
Bien vu non ? Même si Attali est libéral … comme Macron. Non vraiment la vie n’est pas simple !
rappel.Commentaire du Times quand Attali a quitté la présidence de la BERD: »Nous voyons partir Attali sans regret.Il incarne tout ce que nous detestons chez les Français:l’arrogance alliée a l’incompétence…. ».Certes dans un « crunch » d’arrogance les Anglais seraient vainqueurs a tout coup,mais…..Pourtant il est vrai que, surtout depuis quelques années,Attali pose souvent de bonnes questions et analyse parfois juste. Souvent aussi il enfonce avec solennité des portes ouvertes..C’est le cas du risque que court l’économie mondiale.C’est une évidence absolue que nous vivons ,depuis l’effondrement de l’idéologie communiste comme puissance mondiale (La Chine a rompu avec cette utopie,n’en conservant que le cadre disciplinaire) une nouvelle forme de la troisième guerre mondiale,qui a commencé le 8 mai 1945 : la guerre économique. Les USA en avaient fixé les règles (pour 1000 ans?…..) et organisé le controle du système a leur profit.Des ennemis/concurrents ont émergé.La Russie,qui renait des cendres de l’Urss,la Chine,bien sur,et l’Inde,dont on ne parle pas assez(Son avenir est,il est vrai,,incertain).L’Europe s’est mise hors-jeu,bien controlée par un réseau d’anciens(L’est-on jamais vraiment?) de Goldman-Sachs..Qui peut imaginer que ces joueurs planétaires vont mettre de coté,en organisant un système comme celui évoqué par Attali, l’eternel objectif de toute guerre:la domination.Les achats d’or par la Chine en sont une preuve éclatante.