Par Richard de Seze*
Richard de Seze partage son émerveillement pour la ville d’Avignon, narrée par le spectacle de son et lumière Luminessences qui a lieu du 12 août au 3 octobre 2015 au Palais des Papes d’Avignon. Allez-y donc, vous qui habitez la Provence et les terres voisines ou vous qui y passez. C’est notre conseil. LFAR
En Avignon, les murs du Palais des Papes parlent. Ils racontent leur histoire : les Papes et Jean Vilar, Mistral et les Rois, Avignon et la Mort. Ils racontent ce qu’ils ont vu et abrité, du plus magnifique au plus sordide, du plus incroyable au plus beau. Loin de mettre à plat l’histoire, de niveler les époques, d’effacer les références, ils parlent avec la tranquille assurance de leurs sept siècles d’existence, sacrifient volontiers l’écume des dernières années pour se concentrer sur ce qui doit être inoubliable, sur ce qui doit être sauvegardé. Comme le dit Jaccottet,
« L’ouvrage d’un regard d’heure en heure affaibli
N’est pas plus de rêver que de former des pleurs,
Mais de veiller comme un berger et d’appeler
Tout ce qui risque de se perdre s’il s’endort. »
Réveillés en 2013, sortis de leur torpeur, les murs ne rêvent plus mais font pleuvoir sur les spectateurs un déluge d’images et de sons, comme s’ils avaient décidé de restituer en à peine trois quarts d’heure la quintessence des siècles où Avignon florissait. Dans la cour, chaque mur se fait écran mais aussi fenêtre ouverte sur ses trésors. Ils racontent leur construction, ils montrent les manuscrits, ils évoquent les fantômes, ils peuplent chaque mètre carré de figures, de couleurs, d’animaux qui bondissent, d’arbres qui s’épanouissent et d’immenses queues de paon ; les étoiles pleuvent, le feu jaillit, les eaux montent. Un bleu céleste qui n’a rien à envier à Chartres transforme chaque paroi en page cependant que chaque fenêtre est soulignée d’arabesques et supporte un saint, un archer ou un lion: des partitions dorées relient les miniatures qui ont pris vie et la musique éclate.
Les Luminessences sont un spectacle immersif d’une qualité rare. La technique de la projection vidéo est transcendée, avec des images d’une précision stupéfiante, appliquées avec minutie sur des reliefs de quelques centimètres. L’inventivité est permanente: les murs sont présents ou s’effacent, révèlent ce qu’ils contiennent ou s’amusent à devenir une architecture fantastique à la Piranèse, le fleuve du récit prenant plaisir à toujours surprendre en mobilisant rarement deux fois les mêmes effets. “Féérique” serait parfait s’il n’était pas galvaudé car toute la démarche ressemble à un conte, où les objets sont animés, où les visions surgissent, où les génies agissent. L’idée même d’un monument prenant la parole pour se raconter, fantasque à souhait, s’incarne dans cette narration si spéciale, qui tient à la fois de l’exposition et du film pédagogique, de l’évocation historique et du témoignage.
Les quatre murs sont indépendants, le récitatif unifiant la perception pendant qu’on tourne sur soi-même, attentif à suivre la course d’un motif ou à découvrir ce qui se passe dans son dos. Plongés dans un bain d’images, réellement au cœur de l’action, les spectateurs passent d’Avignon sous le soleil à une bibliothèque fantastique ou à des murs qui s’écroulent. Le commentaire souligne ce qui doit être compris, n’hésite pas à être mélodramatique et insiste avec sagesse sur un devoir de mémoire, sur la nécessité de s’inscrire dans une histoire qui dépasse les spectateurs et leur présent. Un enseignement et une émotion que peuvent partager cette année les touristes étrangers puisque le spectacle leur est proposé en anglais trois fois par semaine, une attention rare et pourtant si nécessaire.
Les spectateurs – les participants, plutôt, car on ne peut se contenter d’être spectateur – comprennent tous la leçon et ce qui a été réveillé et suscité ne risque plus de se perdre. Ils portent désormais en eux le Palais qui les a accueillis, la France, Avignon, sa foi et ses papes. C’est ce que vise explicitement le créateur, Bruno Seillier, attentif à souligner le ciment spirituel de cette aventure de pierres. Cofondateur d’Amaclio, qui produit et réalise ce spectacle, il vise toujours à toucher le cœur et à solliciter l’intelligence. Au total, avec La Nuit aux Invalides et Les Ecuyers du Temps à Saumur, dont il est également l’auteur, il a séduit et convaincu plus de 330 000 spectateurs en 3 ans. Car la sensation d’émerveillement ne doit pas s’arrêter (et ne s’arrête pas) aux effets, elle doit en pénétrer les causes. Embrassant sept siècles, le texte d’Avignon réussit à exposer les racines, historiques et religieuses, sans pour autant en figer le développement: la magie du lieu, révélée en 1947 par Jean Vilar, est présentée comme le juste prolongement de son génie spécifique, lentement distillé et transformé pourvu que les hommes en aient conscience. Chesterton évoquait « La tradition [qui] signifie donner des votes à la plus obscure de toutes les classes, à nos ancêtres. C’est la démocratie des morts. La tradition refuse de se soumettre à la petite et arrogante oligarchie de ceux qui n’ont fait que de naître .» Les Luminessences retissent un lien social aussi précieux qu’oublié: celui qui nous lie à notre passé et peut étoffer notre présent.
Les Luminessences d’Avignon, tous les soirs du 12 août au 3 octobre 2015 au Palais des Papes d’Avignon, www.lesluminessences-avignon.com
Richard de Seze, consultant en communication dans une agence parisienne, fait partie du groupe Jalons. Il est le co-auteur, avec Basile de Koch, du Cahier de vacances catho, paru en 2015 aux éditions du Cerf.
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