Christian Millau. L’esprit français
Dans cet entretien donné à Valeurs actuelles, on retrouve la liberté d’esprit et le regard avisé de Christian Millau – qu’il a de longue date posé sur notre époque, sa littérature, ses écrivains. Ainsi, à sa manière, aura-t-il servi son temps, aura-t-il aidé à le comprendre, à l’éclairer de son goût et de sa lucidité. Si l’on nous y poussait beaucoup, nous dirions – mais sans méchanceté aucune – que l’influence qu’il a exercée un temps sur la gastronomie française et ses métamorphoses discutables, nous paraît beaucoup plus incertaine … Mais cela est une autre histoire. Ici, comme Emmanuel Macron, comme Maxime Tandonnet ou, à sa façon, Michel Houellebecq, Christian Millau constate qu’il manque à la nation une incarnation. Nous ne disons pas autre chose … LFAR
Journaliste, écrivain, président du prix littéraire des Hussards… Christian Millau est un esprit libre. Une liberté dont il use avec malice pour répondre à nos questions.
Quel regard portez-vous sur l’époque actuelle ?
À vrai dire, je ne suis pas d’un tempérament nostalgique. La nostalgie est un rideau qu’on fait complaisamment tomber sur un pamé qui n’a pas toujours été rose. Chaque époque y cède à son tour. et j’imagine qu’on regrettait Saint Louis sous Louis X le !lutin ! On parle des « Trente Glorieuses » mais on oublie la guerre de Corée, la crise de Cuba : nous avions la quasi-certitude que la guerre allait recommencer ! En revanche, je comprends qu’on puisse regretter des hommes ou des événements exception. nels. Je revois encore de Gaulle descendant les Champs-Élysées, le 26 août 194.1! Là, oui, on a le droit de céder un peu à la nostalgie… Tous ceux qui étaient là, ce jour-là, se souviennent d’une France vibrante comme elle ne le sera jamais plus. On peut se dire : « Ce jour-là. la France existait ».
Et maintenant ?
Maintenant, on essaie de se fabriquer des moments de communion nationale… La Coupe du monde de football en 1998, la célébration de « la France Black Blanc Beur : c’était à la fois touchant et un peu ridicule. Dans un registre bien plus dramatique, le « 11 janvier », dont l’esprit s’est aussitôt dissipé, si tant est qu’il ait existé! En fait, ce qui nous manque, c’est une incarnation. Les Français forment une nation ; la France, une patrie. Nous manquons de quelqu’un qui nous le rappelle par ce qu’il est et par ce qu’il fait. En Mai 68, on a jeté de Gaulle par-dessus bord. Depuis cette pantomime, nous vivons dans un désordre incroyable… C’est tout de méme inouï que l’on n’arrive pas à faire chanter la Marseillaise à des enfants dans une école ! Il serait bon que, chaque fois que la gauche vient chez nous au pouvoir, la France se déclare automatiquement en état de catastrophe naturelle.
L’époque est aux non-dits : après les attentats de janvier, on a vu que le gouvernement avait du mal à désigner l’ennemi…
C’est ahurissant ! Je suis très sévère sur les médias en général. On entend des choses incroyables sur les chaînes d’information, certaines par ignorance, d’autres par lâcheté : il y a des mots, des sujets qui sont tabous. Il s’est créé une forme d’inquisition qui traque tout ce qui ne correspond pas aux dogmes du politiquement correct. Mais les gens sont saturés de cette pensée de sacristie laïque.
Était-on plus libre d’exprimer ses divergences dans les années 1950 ou 1960 ?
Spontanément, je dirais oui, sans oublier cependant qu’il était très difficile de vivre de sa plume quand on n’était pas d’accord avec Sartre ou Aragon : il fallait se battre ! On parle beaucoup aujourd’hui des Hussards, que j’ai eu la chance de fréquenter assidûment. Mais ils vendaient très peu de livres, à l’époque ! La différence, c’est qu’on ne vous menaçait pas sans cesse de procès; en tout cas, on pouvait les gagner et, surtout, qu’on n’avait pas le sentiment de pécher contre la justice, l’humanité ou la planète, quand on était en désaccord avec la gauche. Ce sentiment du péché, c’est le génie de la gauche de vous le coller ! Aujourd’hui. on ose à peine ouvrir la bouche.
Encore le péché appelle-t-il le pardon. Or, on a l’impression que nos politiques ont la manie de la repentance : il faudrait battre sa coulpe en permanence…
Je suis d’accord pour dire qu’aujourd’hui, les politiques excitent les Français contre les Français. De Gaulle dont je parlais, a été haï, à droite connue à gauche. Il n’empêche qu’on s’inclinait devant cet homme, comme on pouvait s’incliner jadis devant nos souverains. On ne discutait pas la représentation de la patrie à travers de Gaulle. Aujourd’hui, on ne respecte plus la fonction présidentielle ni, d’ailleurs, les chefs d’entreprise qui font vivre ce pays !
Vous évoquez les llussards. Voyez-vous une relève à ces impertinents ?
Il y a encore, heureusement, des casseurs de tabous. je pense évidemment à Alain Finkielkraut, à Pascal Bruckner, à Luc Ferry ou même à Michel Onfray. À Zemmour aussi, même si je ne suis pas toujours d’accord avec lui. Il faudrait aussi citer Élisabeth Lévy, Denis Tillinac, Bruno de Cessole ou Fabrice Luchini. C’est pour cela que j’ai créé le prix oies Hussards, attribué à Sylvain Tesson cette année. Et ceux-là ont du succès de leur vivant ! C’est la preuve que les Français ne se satisfont pas du brouet médiatique, et c’est un signe d’espoir ! •
Ravi de vous avoir rencontré, de Christian Millau, Éditions de Fallois, 360 pages, 22 €.
Propos recueillis par Fabrice Madouas et Marion Cazanove
@LFAR : Je vous cite : « l’influence qu’il a exercée un temps sur la gastronomie française et ses métamorphoses discutables, nous paraît beaucoup plus incertaine … »
Eh bien je ne vous suis pas là-dessus, chers camarades. J’ai été féru des propos de Gault et Millau, dévorant leurs magazines et leurs guides : ils ont été les premiers à dire du mal des mauvais restaurants (dont le bien-pensant Michelin ne parlait pas : mensonge par omission !) et ont gagné là-dessus tous les procès qui leur ont été intentés.
Surtout ils ont permis que derrière Paul Bocuse, les frères Troigros, Roger Vergé, Michel Guérard, d’Alain Senderens (plus tard de Bernard Loiseau), la cuisine française se débarrasse des fonds de sauce douteux, qui cachaient la médiocrité du produit, des liaisons à la farine, de la surcuisson des poissons, etc.
Que de petits malins se soient précipités sur la « Nouvelle cuisine » pour en faire des assiettes dérisoires où le petit pois se cachait sous la perle caviar, je ne dis pas le contraire : il y a toujours des faiseurs et des profiteurs.
Cet « aggiornamento » culinaire a souffert comme l’aggiornamento liturgique, d’extrémistes et de farfelus, mais finalement, dans l’un et l’autre cas, aura été bienvenu !