Par Philippe Bilger
Philippe Bilger estime, dans l’excellente tribune qui suit, que le dossier à charge consacré à Michel Onfray par Libération honore davantage cet intellectuel qu’il ne le disqualifie. En réalité, la réflexion de Philippe Bilger tendrait plutôt à démontrer l’insignifiance de Laurent Joffrin, personnage peu sympathique, suffisant, et en fin de compte relativement négligeable. Mais, dans le Figaro magazine de cette semaine, Eric Zemmour écrit une lettre remarquée « à Michel Onfray, mon nouvel ami ». Et ainsi se forme, par delà leurs différences, parfois leurs oppositions, leurs personnalités contrastées, une pléiade d’intellectuels que réunit leur refus du formatage que voudrait imposer le Système. Et que réunit aussi, malgré tout, leur commun attachement à un certain nombre de réalités historiques, culturelles, charnelles aujourd’hui menacées. Certes le dit Système tient encore les principaux leviers de commande. Mais face aux crises qui s’avancent et aux oppositions qui se forment, il n’a, comme on dit dans le langage populaire, qu’à bien se tenir ! LFAR
Libération a publié « Nos réponses à Michel Onfray » sur « Migrants, FN, Médias » et a consacré quatre pages – en sélectionnant des extraits d’un entretien paru le 10 septembre dans Le Figaro – à lui répliquer, à le contredire.
En page 2, en gras et en caractères immenses, cette affirmation: « Comment Michel Onfray fait le jeu du FN ».
C’est Laurent Joffrin qui a assumé la lourde et ingrate charge de cet exercice et, comme c’était prévisible, il a donné encore plus de force et de vigueur à l’argumentation prétendument choquante de ce philosophe.
Si Michel Onfray était vaniteux, il pourrait s’enorgueillir de cet hommage pervers qui fait parler de lui et le place, à nouveau, au centre d’un débat qu’il n’a pourtant pas initié.
Je suis persuadé que le quotidien du 15 septembre a été énormément vendu, ce qui autorise l’interprétation évidente que la personnalité, les propos et l’aura de Michel Onfray ont beaucoup plus attiré les lecteurs que « Nos réponses » de Libération. L’absurdité du procès que sa pertinence.
Il est vrai que sont navrantes cette page 2 présentant comme une certitude ce qui est tout au plus une élucubration indécente, et les deux pages suivantes où Laurent Joffrin s’essouffle à demeurer à la hauteur, même critique, même partiale, de convictions face auxquelles il rend les armes en croyant les vaincre.
Aucune de ses répliques n’est décisive et on a de la peine pour lui, tant il cherche désespérément à trouver des motifs pour instiller de la contradiction à l’égard de propos à la limpidité rude, âpre et sans fard.
On est obligé de s’interroger sur les causes d’un tel masochisme médiatique, entraînant Libération dans un gouffre de banalité idéologique: Michel Onfray, avec lequel on est en désaccord, fait forcément le jeu du FN !
Je savais qu’un jour la pensée convenue se servirait de cette pique qui n’a plus le moindre effet corrosif tant c’est devenu un poncif que de «sortir» le FN quand on est dépassé et que l’impuissance vous guette. Je ne peux pas ne pas voir dans cette étrange entreprise menée par un quotidien vantant pourtant sa liberté et son anticonformisme la manifestation d’une connivence, entre le pouvoir et lui-même. Il n’est pas indifférent en effet que le journal prenne la relève du Premier ministre qui s’était ridiculisé en enjoignant à Michel Onfray d’avoir tort avec BHL et avec la gauche plutôt que raison avec Alain de Benoist.
Il n’est pas anodin non plus que dans le corps de l’une de ses piètres rectifications, Laurent Joffrin cite, pour le soutenir, BHL dont le comportement boutefeu, notamment pour la honteuse catastrophe libyenne avec ses suites terrifiantes, avait été dénoncé par Onfray de manière plus que cinglante.
On a donc à l’évidence, dans ces quatre pages, la mise en oeuvre d’un processus moins destiné à battre en brèche les affirmations d’Onfray qu’à donner un signal complaisant et soumis à ceux qui ne supportent pas ses éclats et son insupportable sincérité et lucidité.
Comment ce pouvoir et ceux qui le servent pourraient-ils admettre d’être ainsi déboussolés ? Comment un homme, dont le destin et les constances intellectuelles ont manifesté qu’il avait le droit de blâmer la gauche de ne plus l’être, se permet-il en même temps des fulgurances, des provocations et des évidences dont les esprits libres, de droite et de gauche, font leur miel ?
Il y a dans cette alliance entre une légitime dénonciation, selon Onfray, et une adhésion courageuse à la vérité du réel, quoi qu’il en coûte, une logique, une rectitude, non pas une contradiction mais une concordance, impossibles à accepter pour des dogmatiques et des idéologues préférant se crever les yeux et l’esprit en faisant silence plutôt que d’observer, réagir, protester et cibler les responsabilités.
Michel Onfray est un intolérable mystère pour les sentiers battus et les tiédeurs d’aujourd’hui, il a l’aplomb de ne rien renier de ce qu’il a été et de ne pas s’excuser en permanence de ce qu’il a l’audace – parce que le déplorable est de devoir considérer qu’il y a en effet un risque – de nommer, de décliner et de pourfendre.
Quand Laurent Joffrin, sans enthousiasme ni élan, défend les médias dont Onfray souligne le caractère manipulateur, parfois, et la criminalisation qu’ils opèrent de toute réflexion profonde, notamment sur les migrants, il adopte une posture qui serait comique si elle ne prêtait pas à conséquence au quotidien, pour l’information, la politique et la société.
Ce qu’on reproche à ce philosophe est la liberté de sa pensée et de son expression. Pensant juste, il dit ce qu’il pense. Rien de plus mais c’est beaucoup aujourd’hui. C’est un honneur fait à Michel Onfray que ce numéro pour détourner de lui. Mais qui lui donne raison. •
Philippe Bilger est magistrat honoraire et président de l’Institut de la parole. Son dernier livre Ordre et Désordres vient de paraître aux éditions Le Passeur. Retrouvez-le sur son blog Justice au singulier.
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“D’abord nous remercions chaleureusement le Prince Jean de ses vœux pour notre pays et de répondre…”