Par Jean-Philippe Chauvin*
En matière d’écologie, comme sur d’autres sujets, notamment celui du régime, Jean-Philippe Chauvin poursuit une réflexion qui nous intéresse et intéressera nos lecteurs. Tel le pertinent article qui suit.
Il n’y a pas une semaine durant laquelle la presse n’évoque un nouveau drame environnemental, mais sans que cela ne suscite autre chose qu’une sorte de fatalisme bien-pensant ou moult déclarations désolées et lénifiantes, malgré quelques tentatives de réaction, vite étouffées par l’oligarchie médiatique ou, simplement, par l’oubli des informations de la veille. Ainsi, la sixième extinction animale et végétale, puis la vidange accélérée des océans, n’ont occupé quelques colonnes de journaux et quelques minutes d’écran que le temps d’une journée vite achevée, et ces informations reviendront l’année prochaine, entre une déploration sur le réchauffement climatique et une lamentation sur la bétonisation des campagnes, désormais véritables marronniers télévisuels et imprimés…
Et pourtant ! Ces questions sont bien urgentes et nécessiteraient une vaste mobilisation des Etats et des consciences, et les personnalités politiques qui veulent s’inscrire dans le temps long ne peuvent faire l’économie de réponses à réfléchir, à apporter, à envisager au regard des enjeux écologiques qui engagent toute la planète et ceux qui la peuplent. Mais il y a une grande difficulté qui tient à la nature même du système idéologique qui prévaut dans nos sociétés contemporaines, un système qui a plusieurs têtes comme l’hydre et qui semble inaltérable et obligatoire, système en définitive globalitaire et qui se pare de vertus qui n’en sont pas forcément…
Benjamin Franklin, celui-là même qui porte un beau prénom mais s’avéra un cruel individualiste au service de ce que jadis l’on nommait « Veau d’or », a résumé, en une formule célèbre, cette véritable révolution du temps, du sens de la nature humaine et de son inscription, de son action dans ce que les catholiques nomment « création », révolution qui s’est faite au détriment de cette dernière, en définitive : « le temps, c’est de l’argent ». Formule aux conséquences incalculables qui fait basculer le monde (si on la suit aveuglément) dans une logique « utilitariste » et matérialiste qui oublie tout ce qui fait, en définitive, le sel de la vie et la particularité humaine : quelle place, dans le monde franklinien, pour la beauté d’un coucher de soleil, éternellement renouvelée et éminemment gratuite, ou pour le plaisir d’une flânerie, d’une conversation ou pour la transmission de ces légendes, de ces traditions qui font les couleurs du monde ?
La notion de croissance est un élément de ce système et qu’il est parfois difficile de mettre en cause dans la dégradation de la planète : non qu’elle n’en soit pas responsable, comme le fameux « développement » théorisé par Rostow dans les années de l’après-guerre ou le « développement durable », oxymore qui connaît une grande gloire depuis le Sommet de Rio de 1992. Mais nos contemporains n’en veulent retenir que la définition purement économique quand elle est beaucoup plus que cela : c’est aussi une idéologie, celle du « toujours plus », celle du « désir infini dans un monde fini », et cette logique est infernale car elle épuise inéluctablement la planète comme le prouvent à l’envi (et jusqu’au plus profond dépit) les drames environnementaux et les études qui se penchent sur ceux-ci.
Pourtant, il en est qui ne veulent rien voir ni rien entendre aux souffrances de notre bonne vieille Terre d’accueil, et qui dénoncent sans retenue ni discernement tous ceux qui osent prôner une forme ou une autre de décroissance : ainsi Augustin de Romanet, dans le dernier numéro de la revue Commentaire, s’en prend-il à ceux-ci avec des arguments plus simplistes que ceux des « décroissants » qu’il moque, réduisant la question à une petite affaire d’arithmétique électorale en arguant que les listes portant nommément cette idée ont fait des scores dérisoires. Je suis bien placé pour savoir que notre système de représentation démocratique, s’il n’est pas forcément inutile, n’est pas le plus juste ni le plus légitime quand il s’agit d’évoquer les grands problèmes, et qu’il est surtout le moyen de « tenir le politique » beaucoup plus que de le fortifier face aux féodalités économiques et financières… Qui n’a pas d’argent peut difficilement se faire entendre, si ce n’est en cassant des vitres ou en faisant scandale, ce qui, parfois, brouille le sens du message porté par ces mouvements minoritaires condamnés à le rester longtemps, et cela quelles que soient la pertinence de leurs idées et propositions : le piège démocratique, diraient certains, mais qui participe à cette « fatigue civique » que les observateurs pointent depuis un bon bout de temps…
Mais Romanet a tort : si la croissance apparaît si peu contestée, ce qui d’ailleurs mériterait confirmation plus crédible que celle qu’il avance, elle n’en est pas moins dangereuse parce qu’elle ne sait pas se limiter d’elle-même quand la nécessité appellerait ce sens de la mesure, cet esprit de reconnaissance des limites naturelles et humaines qui permettent aux sociétés humaines de durer. Et le pape, par sa récente encyclique Laudate si’, a donné au concept de décroissance de belles lettres de noblesse, à la grande rage des « croissancistes » qui voient leur idéologie réduite à ce qu’elle est, c’est-à-dire une construction théorique qui s’émancipe du réel pour ne s’intéresser qu’aux chiffres et à « l’avoir » statistique en négligeant les contextes et les perspectives environnementales comme sociales.
Cette décroissance évoquée par le pape ne signifie pas qu’il faut en revenir à un âge des cavernes qui méconnaîtrait les savoirs techniques et leurs applications, qui ne sont pas forcément inutiles ou maudites, mais qu’il faut en revenir à l’essentiel sans négliger autrui, et les paysages, les fleurs ou les animaux qui les peuplent, sont ces autres qu’il ne faut pas oublier, ni mépriser, comme saint François d’Assise nous l’a enseigné en son temps en quelques leçons qu’il nous faut encore et toujours méditer et appliquer… •
Le blog de Jean-Philippe Chauvin
Oui sujet crucial. La réflexion conduite en divers cénacles est moins brouillonne qu’il n’y parait. Elle se conclut toujours par la même assertion un peu démoralisante car nous n’avons pas la réponse « il faut changer de modèle économique ».
Pourtant toutes oublient un paramètre fondamental et ce billet pertinent comme le souligne LFAR, ne fait pas exception, la démographie. La population mondiale était de 1,6 milliards en 1900, 3 milliards en 1960, et … 7 milliards, 50 ans plus tard, en 2011. Même sans une croissance débridée du parc automobile mondial, un minimum de consommation énergétique est nécessaire par tête, comme de consommation d’eau potable. Nous sommes très loin d’y répondre …
Croissance et modèle économique. La question se pose de plus en plus des variables que l’on met dans la croissance. Les universitaires professent qu’elle n’est chiffrable comme augmentation du PIB qu’à partir de 1850. Nous parlons donc des 170 dernières années. Ce qui détricote tout lien avec le changement de climat. Le maximum de la dernière glaciation est daté de – 20.000 ans. A cette date, le différentiel de masse d’eau donnait le niveau de la Méditerranée à 147 m au-dessous de ce qu’il est aujourd’hui. Et on peut prévoir un four pour la réunion planétaire du COP21.
Je ne suis vraiment pas d’accord avec Chauvin : mon mode de vie n’est pas négociable et il est hors de question que je renonce volontairement à un confort de plus en plus grand et agréable.
Plus on cherche, plus on trouve : les gogos qui nous prédisaient la fin du pétrole en l’an 2000 ont bonne mine aujourd’hui, où l’exploitation du gaz de schiste, les ressources des pôles Nord et Sud, les techniques de forage nous en promettent pour des centaines d’années.
Et que le nucléaire n’en est qu’à ses débuts…
Passéisme que ces billevesées écologiques…. Quand j’avais 20 ans, l’Homme rêvait de coloniser les planètes : c’est de la petitesse des aspirations d’aujourd’hui que naît le problème…
La seule chose qui soit pire que le gout de compliquer les choses est le celui de les voir et de les exprimer de façon simpliste….Effectivement les écolo-maniaques,idéologues sectateurs du catastrophisme planétaire (qu’ils sont couplé a u gauchisme politique) ont un amoncelé les inepties (Al Gore,dans son film de 2007 : »Dans 5 ans il n’y aura plus de glace au Pole Nord…… »)dont celles que vous dénoncez. Peut-on en conclure que la préoccupation écologique (la vraie….)est sans objet? Ce serait une folie,plus grande que celle qui a conduit nos politiques a l’abandonner a des gugusses grotesques, ambitieux et avides,mais du meme ordre de stupidité.
Les deux paramètres directeurs sont la démographie et le rapprochement des niveaux de vie. La planète peut-elle nourrir longtemps l’espèce humaine est un vaste débat, assez vain puisque les deux paramètres ne sont pas « réglables ».
Je pense que l’énergie nucléaire inventée par le génie de l’Occident est une réponse intelligente à la consommation croissante d’énergie, comme le fut jadis le pétrole dont un kilo montait une tonne à mille mètres, disait-on !
Les tentatives de décroissance resteront sur le mode « conférence » car il est d’immenses régions qui veulent absolument s’arracher à leur retard en augmentant leur économie par tous moyens, même sales.
Reste quand même la question des protocoles de mesure des PIB. C’est du grand n’importe quoi sur des bases fiscales comme aujourd’hui. Une belle catastrophe nationale et les coûts de réparations font s’envoler le PIB par les déclarations de TVA des intervenants.
Faut-il passer au Bonheur National Brut promu par le Bhoutan ? Mesurer le progrès sur la base d’indices de satisfaction individuelle se discute.
Reste la gestion des impacts sur une planète finie. Si les quatre grands empires s’accordent, les autres suivront. L’encyclique Laudato Si se place au commencement de la réflexion pontificale qui a besoin de mûrir au-delà des banalités. Mais une encyclique est un ouvrage grand public par définition et les idées sont adaptées au lectorat (voir les §.176 et suite pour s’en convaincre).
Les sociétés anciennes avaient spontanément compris qu’aucune vie sociale n’est possible sans prise en considération du milieu naturel dans lequel elle se déroule. La
reproduction durable a en fait été la règle dans toutes les cultures humaines jusqu’au XVIIIe siècle. Un exemple typique est donné par Colbert qui, réglementant les coupes de bois pour assurer la reconstitution des forêts, faisait planter des chênes pour fournir des mâts de navires 300 ans plus tard.
Les modernes ont agi à l’inverse. Ils n’ont cessé de se comporter comme si les « réserves » naturelles étaient multipliables à l’infini – comme si la planète, dans toutes ses dimensions, n’était pas un espace fini. A chaque instant présent, ils ont appauvri l’avenir en consommant à outrance le passé.
Et il a eu l’air malin, Colbert, quand, du Paradis où il se trouve sûrement, il a constaté que les navires n’avaient plus besoin de mats !
Il est vrai que, pour ceux qui aiment les forêts, ça permet des promenades…
Cessons de croire que les ressources terrestres sont si limitées que ça. On peut explorer, trouver de nouveaux procédés de construction, recycler bien davantage…
Le problème majeur (unique ?) est le cataclysme démographique et la migration des populations…
Les ressources terrestres sont limitées. Point barre. En regard, l’explosion démographique semble illimitées. Il y a là un problème majeur.
Le « confort » de type technologique, en effet, est incomparable.
La qualté de vie socio-civilisationnelle (pardonnez moi) s’est effondrée.
Mais non, mais non, ne vous affolez pas : il y a dans l’océan (dans les nodules polymétalliques) de quoi assurer des milliers d’années de prospérité à notre Humanité…
Ne tombez pas, Cédric, dans les mômeries écologistes…
Le Bon Dieu savait ce qu’il faisait…
La tendance sensiblerie et démagogie écolo n’est pas du tout mon truc. Donc, inutile de me faire la morale là-dessus.
Par contre, si je ne conteste pas le « confort » venu du progrès technologique, je considère que la qualité de vie sociale et la « civilisation » se sont éffondrées.
Mon écologie à moi se situe sur ce plan.
Pour le reste, je crois que les plus costauds trouveront toujours de quoi bouffer, se chzuffer, s’éclairer, se propilser, même à 10 milliards. Peut-être qu’il faudra se battre pour ça. C’est le progrès non ?
@Cédric : Nul ne vous contestera vos constats : la qualité du confort ne va pas de pair avec l’amélioration des relations sociétales. Mais n’y est pas non plus opposée : c’est ce que je voulais dire.
Et cessons de penser que les 10 milliards seront obligés de vivre selon nos critères : il dépend de nous qu’ils ne le fassent pas.
Vous pensez qu’une croissance indéfinie est à la fois normale et souhaitable, et qu’un avenir meilleur passe nécessairement par l’accroissement constant du volume de biens produits.
Peut-être confondez vous les termes de « progrès » et de « civilisation » en pensant qu’ils synonymes, comme le pensaient les colons, censés diffuser partout dans le monde les bienfaits de la « civilisation ».
Cette approche scientiste consistant à essayer de mesurer les civilisations en valeur, postule qu’il existerait un paradigme surplombant permettant de les hiérarchiser.
On admet qu’à côté des avantages qu’il procure, le progrès a aussi un coût. On voit bien que l’urbanisation sauvage a multiplié les pathologies sociales, et que la modernisation industrielle s’est traduite par une dégradation sans précédent du cadre naturel de vie. Le développement des sciences n’est plus perçu comme contribuant toujours au bonheur de l’humanité. Dans des couches de population de plus en plus vastes, on commence à comprendre que plus n’est pas synonyme de mieux.
Essayons de faire la part des choses entre l’avoir et l’être, le bonheur matériel et le bonheur tout court.
@cedric
Je suppose que nous sommes nombreux à partager votre réserve. Mais regardons objectivement les faits. L’actualité nous invite. L’Egypte achète deux bâtiments de guerre ultra sophistiqué, après avoir acheté des avions hors de prix, non moins sophistiqués. L’Egypte, c’est 82 millions d’habitants, dont la moitié, 40 millions vit avec deux dollars par jour !!
Le FT annonce à sa une le 24 Sept dernier que la Banque Mondiale remonte la limite du seuil de pauvreté. De 1.25 à 1.90 USD par jour. A un tel niveau de misère, est ce que cela a une importance ? La discussion des économistes porte désormais sur ce que l’on met dans le PIB ; à vrai dire nous n’en savons plus rien. Comment évaluer l’activité du numérique et où le ranger ? Dès lors parler de la croissance devient mystérieux. Mais une chose est certaine, et le pape François ne cesse de nous le dire, le travail humain est très malmené. Nous rappelons souvent cette mise en garde de Rockfeller vers 1950. Sauf à détruire le capitalisme, que le salaire des dirigeants d’entreprise ne dépasse pas 40 fois celui de leurs ouvriers. Or le salaire moyen du PDG américain est passé de 85 fois le salaire moyen d’un salarié en 1990 à 500 fois en 2000. L’évolution a été similaire en Europe, et particulièrement en France. Et je ne saurai pas donner le ratio en 2015. Face à un système économique mondial déboussolé, ne soyons pas sévère avec la notion de croissance. Tous les enfants de cette planète ne mangent pas à leur faim.
Mais, Jean-Louis Faure, je suis parfaitement d’accord avec vous. Si je comprends bien vous faire la critique d’un certain capitalisme, à la façon du pape François. Bien d’accord sur ce point. Je ne rejette pas toute croissance comme les écolos idéologues. Je conteste justement les formes qu’elle prend dans la société actuelle. J’ai l’impression que nous sommes du même avis.