Le 24 septembre dernier, Bernard Lugan a publié sur son blog la très intéressante analyse qui suit. Analyse remarquablement documentée, comme toujours, mais analyse qui, d’autre part, évoque ce qui pourrait être un avenir libyen, en tout cas moins chaotique que l’actuelle situation. Laquelle nous est évidemment préjudiciable à maints égards. Voilà qui concerne par conséquent notre propre avenir. A suivre !
Le 14 septembre 2015, un coup de tonnerre a retenti dans le ciel serein des certitudes démocratiques européo centrées quand le Conseil suprême des tribus de Libye désigna Seif al-Islam Kadhafi comme son représentant légal. Désormais, voilà donc un fils du défunt colonel seul habilité à parler au nom des vraies forces vives de Libye…
Les abonnés à l’Afrique Réelle et les lecteurs de ce blog ne seront pas surpris par cette nouvelle puisque, depuis 2012, je ne cesse d’écrire :
1. Que la pacification de la Libye ne pourra se faire qu’à partir des réalités tribales.
2. Que le seul à pouvoir reconstituer l’alchimie tribale pulvérisée par l’intervention militaire de 2011, est Seif al-Islam que son père, le colonel Kadhafi, avait pressenti pour lui succéder, et qui est actuellement « détenu » par les milices de Zenten.
Mes analyses ne procédaient pas du fantasme, mais du seul réel qui est que :
1. En Libye, la grande constante historique est la faiblesse du pouvoir par rapport aux tribus. Au nombre de plusieurs dizaines, si toutefois nous ne comptons que les principales, mais de plusieurs centaines si nous prenons en compte toutes leurs subdivisions, ces tribus sont groupées en çoff (alliances ou confédérations).
2. L’allégeance des tribus au pouvoir central n’est jamais acquise.
3. Les bases démographiques des groupes tribaux ont glissé vers les villes, mais les liens tribaux ne se sont pas distendus pour autant.
Le colonel Kadhafi fonda son pouvoir sur l’équilibre entre les trois grands çoff libyens, à savoir la confédération Sa’adi de Cyrénaïque, la confédération Saff al-Bahar du nord de la Tripolitaine et la confédération Awlad Sulayman de Tripolitaine orientale et du Fezzan à laquelle appartiennent les Kadhafda, sa tribu.De plus, à travers sa personne, étaient associées par le sang la confédération Sa’adi et celle des Awlad Sulayman car il avait épousé une Firkèche, un sous clan de la tribu royale des Barassa. Son fils Seif al-Islam se rattachant donc à la fois aux Awlad Sulayman par son père et aux Sa’adi par sa mère, il peut donc, à travers sa personne, reconstituer l’ordre institutionnel libyen démantelé par la guerre franco-otanienne. Mais pour comprendre cela, encore faut-il se rattacher à la Tradition lyautéenne des « Affaires indigènes » et répudier l’approche universaliste des « cerveaux à noeud » du quai d’Orsay.
Aujourd’hui, les alliances tribales constituées par le colonel Kadhafi ont explosé; là est l’explication principale de la situation chaotique que connaît le pays. En conséquence de quoi, soit l’anarchie actuelle perdure et les islamistes prendront le pouvoir en Libye, soit les trois confédérations renouent des liens entre elles. Or, c’est ce qu’elles viennent de faire en tentant de faire comprendre à la « communauté internationale » que la solution passe par les tribus… Certes, mais la Turquie et le Qatar veulent la constitution d’un Etat islamique et la justice internationale a émis un mandat d’arrêt contre Seif al-Islam…
Le 12 octobre, avec son habituel sens de la clairvoyance, sa célèbre hauteur de vue et son immense connaissance du dossier, BHL expliquera certainement cette évolution de la situation libyenne aux auditeurs de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense nationale) devant lesquels il doit prononcer une conférence de « géopolitique ». Il est en effet bon que les plus hauts cadres civils et militaires sélectionnés pour intégrer cet institut prestigieux, puissent écouter les analyses des experts les plus qualifiés… •
Au début du mois de novembre, aux éditions de l’Afrique Réelle, sortira mon livre intitulé « Histoire et géopolitique de la Libye des origines à nos jours » dans lequel, sur la longue durée, est mise en perspective la marqueterie tribale libyenne, clé de compréhension de la situation libyenne actuelle. Ce blog en rendra compte.
En attendant le livre de Bernard Lugan, à venir en Novembre, la curiosité nous pousse à faire un détour vers les archives de LFAR, au mot clé, Libye. Et l’on est alors, pour tout dire admiratif devant la quantité de billets, leur pertinence, leur à-propos, dès que la folle équipée de la France fut décidée par monsieur Sarkozy. Dont les connaissances étaient celles de monsieur Hollande aujourd’hui sur la Syrie. Mon petit doigt me dit qu’il a du mal à trouver le sommeil ; Saif al-Islam était le détenteur de tous les mouvements de fond de son père, quelques milliards de dollars.
Et aussi le blog de Gilles Munier en Juillet dernier « Libye : une parodie de tribunal condamne à mort Saif Kadhafi »
Par Bill Van Auken (revue de presse : wsws.org – 30/7/15)*
Mardi, un tribunal contrôlé par une milice islamiste à Tripoli a condamné le fils de Mouammar Kadhafi, le chef de l’État libyen assassiné, et huit autres à mort par peloton d’exécution.
Abdallah Senoussi, l’ancien chef des renseignements de Kadhafi, et deux anciens premiers ministres, Baghdadi Mahmoudi et Abuzed Dorda sont également parmi les condamnés à mort.
Huit autres anciens responsables ont été condamnés à la prison à vie dans le procès de masse, tandis que sept ont été condamnés à des peines de prison de 12 ans. Quatre ont été acquittés.
Saif Kadhafi, largement considéré comme le deuxième personnage le plus puissant de l’ancien régime, a été fait prisonnier alors qu’il tentait de fuir la Libye en novembre 2011. Après six mois de guerre, des États-Unis-OTAN avaient réussi à renverser son père, qui avait été capturé, torturé et assassiné par des miliciens islamistes le mois précédent.
Hillary Clinton, la secrétaire d’État à l’époque, maintenant la favorite pour l’investiture démocrate à l’élection présidentielle, s’est vantée du meurtre horrible et a déclaré en riant : « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort. » On croirait lire du Juppé ou du Fabius. Avec de telles analyses, qui n’a pas envie de suivre les Américains ?
Subsidiairement peut on rappeler que l’IHEDN dépend du Premier Ministre. Qui a pris la décision de Valls ou de Le Driant, ou dans quelle loge, de faire entrer BHL sur l’estrade ? Espérons que la cession concernée des auditeurs aura d’autres occupations ce jour là …