Ce sont toujours de très fines analyses que donne Jean-Michel Quatrepoint. Il réfléchit ici, pour Le Figaro, aux conséquences du résultat des élections régionales en Catalogne. A terme, outre la période d’incertitudes, palabres et désordres qui s’ouvre pour Barcelone et Madrid, il redoute une explosion des Etats-nations. Menace tout à fait réelle bien qu’elle ne se soit encore jamais traduite dans les faits en d’autres lieux dans des cas comparables (Belgique, Grande-Bretagne). Mais le risque d’explosion des Etats est aussi source d’infinies difficultés pour l’Union Européenne. Basée sur l’idéologie de l’effacement des nations, elle est pourtant, dans la pratique, paradoxalement fondée sur elles. Et le dogme de l’intangibilité des frontières est curieusement resté une règle dite incontestable alors même qu’on voulait les abaisser ! Ainsi, la sécession de la Catalogne poserait aussi à l’Europe de Bruxelles une série de problèmes assez inextricables qui menaceraient ce qui lui reste de cohésion. Dédié à ceux qui croient que l’Europe et le monde s’unifient, alors qu’ils se morcellent. LFAR
LE FIGARO – Les deux listes indépendantistes catalanes ont obtenu le score historique de 48% des voix aux élections régionales ce dimanche. Cette démonstration de force vis-à-vis de Madrid laisse-t-elle présager une indépendance prochaine de la Catalogne ?
Jean-Michel QUATREPOINT – Cette élection n’est pas une victoire des indépendantistes. Ils ont obtenu la majorité des sièges avec la CUP. Ce parti (extrême gauche) n’a pas grand-chose à voir avec M. Artur Mas et l’ancienne CiU (Convergence et Union, fédération catalaniste centriste). L’alliance des indépendantistes est hétéroclite: le parti d’Artur Mas a 30 sièges, ERC et Izquierda Unida, républicains de gauche ont obtenu 21 sièges, 11 sièges ont été obtenus par les indépendants. Les rapports de force sont les mêmes depuis quelques années. Les indépendantistes ont gagné en sièges mais pas en votes. Ils restent minoritaires. Les indépendantistes ont fait 48%, les anti-indépendantistes, 52%. La situation est bloquée.
La politique européenne des euro-régions a-t-elle un rôle dans cette montée en puissance de l’indépendantisme catalan ?
Oui. Pendant longtemps la Commission européenne et Bruxelles ont joué les régions contre les Etats-nations. A un point tel que s’est accrue l’utilisation des langues régionales ; le catalan est une langue officielle de l’UE, comme le basque. A multiplier les langues régionales, on a pu donner l’impression à ces régions qu’elles seraient plus efficaces en négociant directement avec Bruxelles, en sautant l’étape de l’Etat-nation.
Comment expliquer, à l’heure de la mondialisation et de la théorie des grands espaces, cette montée en puissance de ces revendications indépendantistes ?
On peut comprendre les problèmes propres des Catalans, comme ceux des Basques ; sous Franco, ils avaient été les principales victimes de la répression, car Basques et Catalans étaient les principaux opposants de Franco. Entre 1939 et 1973-74, ils ne pouvaient parler leur langue, on continuait à exécuter les militants. Mais par le Pacte de la Moncloa – accord signé en 1977, après la mort de Franco – les Espagnols ont décidé de ne pas se référer au passé, et de bâtir un Etat-nation dotant les régions d’une très grande autonomie. Depuis quelques années, le Parti populaire a une responsabilité car il n’a pas pris au sérieux les revendications des Catalans. Il était focalisé sur les Basques et l’ETA – les Catalans n’ayant, à la différence des Basques, jamais commis d’acte terroriste – sans s’apercevoir qu’en Catalogne, la montée irrédentiste était forte. Les antagonismes ancestraux ont resurgi à travers la langue qui a servi de vecteur aux idées indépendantistes en Catalogne, comme au Pays basque. Mais au Pays basque, où l’autonomie est plus importante que dans d’autres régions, les milieux économiques ont parfaitement compris qu’ils avaient intérêt à rester dans l’Espagne. Les Catalans se montrent un peu plus égoïstes. Ils ne veulent pas payer pour les Andalous et les régions moins riches. Cet égoïsme régional laisse place à une situation bloquée. Les positions se tendent.
Quels problèmes pose ce rassemblement hétéroclite des indépendantistes ?
Au sein des indépendantistes se posent plusieurs problèmes. Dans l’ancienne CiU, le parti d’Artur Mas, beaucoup étaient corrompus, à commencer par Jordi Pujol, qui l’a présidée de 1979 à 2004. Pour garder le pouvoir, ils ont fait alliance avec l’extrême-gauche. Cette dernière n’est pas du tout sur la même position en matière sociale et fiscale par exemple. Leurs revendications sont incompatibles avec les positions de centre droit de la CiU. Aujourd’hui, les antagonismes sont forts. Ciudadanos, un parti neuf, fondé en 2006 l’autre vainqueur des élections, a grimpé sur les décombres du parti populaire ; il est devenu la deuxième force politique de Catalogne.
En Catalogne, il n’y a pas que des Catalans. De nombreux Espagnols y vivent et y travaillent. Les Catalans avaient fait venir des travailleurs d’Andalousie, qui n’ont nulle envie de voir la Catalogne devenir indépendante. Les règles avaient déjà été durcies pour s’intégrer et travailler là-bas : pour tout emploi public, il faut parler catalan. Les professeurs de langues étrangères par exemple doivent enseigner en catalan. La barrière de la langue crée de la ségrégation à l’intérieur de la Catalogne.
L’indépendance est également prônée pour des raisons électoralistes et clientélistes. Elle provoquerait la création de milliers de postes à distribuer aux copains, dans les ambassades et autres représentations nationales.
Comment la position de Madrid peut-elle évoluer ?
Les Catalans ne deviendront indépendants que si Madrid donne son aval. La Catalogne ne peut décréter son indépendance unilatéralement. Un référendum est nécessaire, et il devrait se tenir dans toute l’Espagne. Un problème majeur se pose, celui de la répartition de la dette, surtout que la Catalogne est la région la plus endettée d’Espagne. Les milieux économiques s’inquiètent de la possibilité d’une indépendance. Les investisseurs ne prendront pas le risque d’investir en cette période d’incertitude totale. Prenons un exemple concret, celui de Vueling, la filiale low-cost d’Iberia. Le hub d’Iberia est à Madrid. Celui de Vueling est à Barcelone. Si jamais il y a un conflit, Vueling pourrait rapatrier son hub à Madrid, ou dans une autre ville d’Espagne. Sans parler du Barça. Il ne pourrait plus participer au championnat d’Espagne. Fini les “ classicos” contre le Real Madrid.
Quelle sera la réaction probable des autres partis, non indépendantistes ?
Le PP devra donner un peu plus d’indépendance budgétaire à la Catalogne. Les anti-indépendantistes qui ont longtemps laissé faire, commencent à redresser la tête. Tenez, aux Baléares, les gens parlent catalan… et ne réclament pas l’indépendance pour autant.
Le parti Podemos s’est révélé en échec complet dans ces élections pour lesquelles ils n’ont pas fait de choix clair. Une partie de leurs troupes a basculé du côté des indépendantistes. Ciudadanos est en train de monter car ce parti représente une alternative face au PP vieillissant et considéré comme « pourri ».
L’indépendance de la Catalogne aura-t-elle des répercussions sur la France ? On sait que certains, tels le parti EELV, lorgnent sur le département des Pyrénées-Orientales (rebaptisé Catalogne par ce parti)…
Evidemment. Les plus indépendantistes se trouvent à Gérone. Or, parmi eux, un certain nombre estime que la Catalogne va jusqu’à Narbonne. Si la Catalogne espagnole devient indépendante, elle créera des émules dans le pays catalan français. Elle donnera envie au Pays basque espagnol de réclamer son indépendance, et partant, le Pays basque français fera de même. Nous aurons un éclatement de l’Etat espagnol et des revendications nationalistes se renforçant en France. •
Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. Il a travaillé entre autres au Monde, à La Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir.
Son dernier livre, Alstom, scandale d’Etat – dernière liquidation de l’industrie française, est paru le 9 septembre 2015 aux éditions Fayard.
Il est vice-président du comité Orwell.
« …au Pays Basque…les milieux économiques ont compris qu’ils avaient intérêt à rester dans l’Espagne… » : j’aimerais qu’on m’explique en quoi les Basques ont intérêt à rester Espagnols. Autant je comprends que la Corse, qui ne vit que grâce au milliards d’euros de subventions versés par l’état, n’ait aucun intérêt à être indépendante, autant pour le Pays Basque, dont l’économie est une des seules en Espagne à être vraiment excédentaire, pourquoi aurait-il intérêt à payer pour les autres ?
Je trouve épouvantable qu’on ne raisonne, en ces domaines qu’en termes économiques, mais je crains bien que ce ne soit qu’ainsi que le sécessionisme est vu par la plupart des gens : une minorité – mais puissamment mise en valeur par les médias et la complaisance universelle – est identitaire, voire raciste, la majorité (des sécessionistes) suit parce qu’on lui a promis un plus gros gâteau.
Je n’aurais aucune objection – bien au contraire – si l’Italie, et surtout l’Allemagne, constructions récentes et malsaines, disparaissaient. Si ce ‘est qu’un éclatement de ces États, qui sont moins des nations que des fédérations entraînerait un prurit infernal chez nous.
Prurit qui trouverait des oreilles attentives lorsqu’on serinerait aux Alsaciens, aux Savoyards, voire aux Basques français, dont la situation économique est plutôt bonne, qu’ils auraient tout à fait intérêt de se débarrasser de la Creuse, de l’Indre, de la Haute-Marne (et de bien d’autres départements désolés).
Si vous lancez, dans un dîner parisien, que l’Ouest de la Capitale pourrait, uni à la majorité des départements des Hauts-de-Seine et des Yvelines et de quelques cités circonvoisines (du type Chantily, Compiègne au Nord, Fontainebleau au Sud), si donc vous suggérez que l’Ouest de Paris pourrait couper le lien avec les territoires pourris de Belleville, Ménilmontant et la Seine Saint Denis et se retrouverait ainsi avec un PIB digne des monarchies pétrolières, vous vous retrouvez avec des sourires rêveurs et pleins d’espérances…
Après tout, l’entre-soi des riches, c’est bien ce qui a poussé la Slovénie la première à quitter la Yougoslavie, construction chancelante et artificielle, mais qui maintenait à peu près tranquilles des peuples batailleurs.
Au moment où personne n’ose plus dire qu’il aime la France (en dehors des matches de football et de rugby), les revendications provinciales sont des risques majeurs.
Et c’est pourquoi je suis et demeure ardemment départementaliste, pour que les reins des baronnets soient cassés…
Tu sais ce qu’ils te disent les Corses…..
Toujours ce vieux fond de germanophobie. Vous qui admirez tant les « quarante rois qui ont fait la France » souvenez-vous que les dynasties mérovingienne, carolingienne et capétienne étaient toutes d’origine germanique, et que le nom même de la France lui vient d’un conquérant germain.
Et puis, n’oublions quand même pas ce que Maurras écrivait dans L’Action française (la vraie) du 10 juin 1912: «Ni implicitement ni explicitement, nous n’acceptons le principe de la souveraineté nationale, puisque c’est au contraire à ce principe-là que nous avons opposé le principe de la souveraineté du salut public, ou du bien public, ou du bien général » !
C’est l’avenir du fait de l’aveuglement de nos dirigeants et de l’europe autiste infeodee au mondialisme mourant.
Soyons forts et lucide!
Les origines des rois mérovingiens, carolingiens, capétiens sont germaniques ? Grand bien leur fasse ! Si la Gaule n’avait pas été irriguée par Rome, ces braves gens n’auraoient été que des chefs de tribu.
Et si Maurras dit ce qu’il dit en 1912, dans un contexte particulier, que voulez-vous que je réponde ? Notre maître a dit aussi de telles conneries dur Pétain la baderne, enrichisseur du statut des Juifs…
ah ! Si Maurras avait pu mourir en 34 !
C’est très curieux de voir comment à partir d’une réflexion sur une situation actuelle précise et en soi intéressante, on trouve moyen de naviguer en mode erratique, et de ressortir de vieux débats hors sujet, une citation de Maurras hors contexte, prise à mon humble avis à contre-sens, Pétain, l’antisémitisme et tout le bataclan. Soyons positifs et actuels, que diable ! Arrêtons d’opposer. Essayons de construire. La situation est, me semble-t-il, assez sérieuse pour que nous nous focalisions sur elle.
La quête de l’indépendance catalane est devenu un rituel qui fait vivre les cadres des partis républicains catalans. La région est endettée à mort, sa langue est purement régionale, ses perspectives économiques sont bouchées par le marasme méditerranéen, son PIB ne pèse pas lourd à l’echelle mondiale.
Une majorité de résidents (52% plus les abstentionistes) ne veut pas de ces foutaises claniques. La mode en passera.
Catoneo force un peu le trait mais, globalement je suis d’accord avec ses remarques. Comme catalan et provençal, le traditionalisme catalan m’est naturellement sympathique. J’aime la langue, la culture, l’art de vivre qui a plus ou moins perduré en Catalogne. Le nivellement y a eu moins de prise qu’ailleurs. Toutefois en proscrivant en Catalogne l’usage du castillan, les catalanistes ne font qu’ouvrir la porte – non pas à la langue de Shakespeare – mais à l’anglais basique universel. Il en sera de même en beaucoup d’autres domaines. Catoneo s’avance beaucoup en affirmant que l’indépendantisme catalan n’est qu’une foutaise dont la mode passera. Souhaitons qu’il ait raison.
Languedocien, je suis naturellement en empathie avec la Catalogne ; mais c’est le champ économique qui décide de l’indépendance, quoique ce mot-valise soit de plus en plus vide. Disons que l’optimisation des dépendances catalanes ne passe pas nécessairement par une rupture institutionnelle. Au pantographe de la mondialisation, le pays est trop petit, sauf à devenir « client » d’un pays plus grand ou d’un ensemble globalisant qui effacera les particularismes exaltés par la rupture.
Un cinquième du PIB espagnol ne fait pas un bien grand PIB , la région est en déficit et sa dette publique est financée par Madrid. On a connu des routes vers l’indépendance mieux pavées.