ANALYSE. Plus la situation se dégrade et plus les problèmes deviennent impossibles, plus les candidats agitent des idées. Alors que le mal essentiel est dans les institutions.
PAR HILAIRE DE CRÉMIERS
Un président de la République qui se croyait plus intelligent que tous les autres, déclara, en plein choc pétrolier, sur le ton suffisant qui le caractérisait : « La France n’a pas de pétrole, mais elle a des idées ». D’avoir des « idées » n’a pas empêché la France de Giscard de décliner. Ce fut sensible à l’époque même, quoique dissimulé sous l’apparence d’une croissance mécanique qui permettait encore aux affaires de tourner.
Mitterrand, aussi, eut des « idées » ; il avait l’art de les présenter. Il y avait celles qui étaient destinées à l’électeur et celles qui faisaient le fond de commerce des politiciens, des conseillers – tel Attali -, des financiers qui tournaient autour de lui, et des jeunes loups de la politique qui s’imaginaient déjà de grandes carrières ; Fabius, Hollande, l’ineffable « Ségolène » en étaient. Tous surent se servir dans cette mangeoire à « idées » qui avait l’avantage d’abonder en provendes et en prébendes. Il n’est pas sûr que Mitterrand, in pectore, partageât avec sa cour la conviction qu’il était officiellement nécessaire d’afficher envers cet amas grossier d’« idées » contradictoires qui cumulaient les sottises du socialisme le plus théorique – sous le nom de programme commun de la gauche – et les vices d’un libéralisme aussi profondément amoral qu’a-civique. L’homme passait de l’un à l’autre, en fonction du moment, avec un parfait cynisme. La France avec pareilles « idées » descendit encore d’un cran. Il est probable que Mitterrand, enfermé dans son orgueil secret, au témoignage d’un Bénouville qui était resté toujours son ami, en souffrit ; il avait reçu, jeune homme, une excellente formation. « Que veux-tu ? J’ai voulu réussir », confessa-t-il un jour ingénument à un autre vieil ami qu’il avait connu chez les étudiants d’Action française.
Chirac s’essaya aux « idées », lui aussi. Tour à tour, libéral, social, voire socialiste, en fait radical-socialiste à l’image de ses maîtres dont « le petit père Queuille » était le plus illustre représentant. Sans conviction, il jouait de effets de la syrripathie naturelle qu’il provoquait. Se « idées » ne servirent à rien ni dans un sens ni dan l’autre. Sa cohabitation avec Jospin cassa l’État de manière plus grave que celles sous Mitterrand avec lui-même ou avec Balladur : l’État perdit sa cohérence. L quinquennat lui retira la durée : il s’affaiblissait de la têt tout en continuant à grossir dans sa masse selon la mécê nique institutionnelle démocratico-républicaine qu personne n’a jamais pu réformer. La velléité d’indéper dance française au moment de la deuxième guerre d’Ira n’aboutit à rien de concret. Il lia définitivement Paris à Bruxelles et soumit la France à l’Allemagne ; son discours de Berlin en 2000 avait la signification d’un manifeste d’allégeance intellectuelle, économique, politique et culturelle au génie allemand, selon la plus vieille tradition républicaine et radicale ; fille avouée du kantisme, la République n’était-elle pas sortie historiquement des mains adroites de Bismarck ? La France renonçait à son intelligence et à sa volonté ! Elle perdit sa liberté.
DES PAQUETS D’« IDÉES »
Sarkozy prétendit les lui rendre. Ça tonnait comme des canons. Beaucoup de bruit sinon pour rien, pour pas grand-chose. Quelques dispositions législatives soulagèrent les patrimoines et aidèrent les entreprises; une certaine liberté de ton par rapport aux principes intangibles de la République pouvait faire croire à ur volonté de rendre à la France ses forces spirituelles et matérielles. Cela ne dura qu’un temps. La crise financière venue des États-Unis et le ralliement simultané à ces mêmes États-Unis, la soumission à « l’idée » européenne, devenue, dans les faits, une « idée » allemande et dont le traité de Lisbonne fut le sceau d’une parfaite perfidie démocratique, l’incapacité d’agir en conséquence en toute liberté française par rapport à l’espace Schengen et à la zone euro, enfin et surtout l’impossibilité pour un chef de parti, quel qu’il soit, de transformer de l’intérieur l’esprit des institutions, puisque lui-même en fait partie, cet embrouillamini généralisé mit fin tristement à toutes les prétentions sarkoziennes. Les vagues espoirs d’un redressement avaient été ratiboisés en quelques mois par le jeu naturel des institutions. S’imaginer qu’en faisant loi sur loi, le régime changerait, se révélait une « idée » fausse. Une fois de plus !
« Enfin Hollande vint qui le premier en France » se crut celui qui était élu pour réaliser le bonheur des Français. Il ferait, disait-il, tout le contraire des autres qui, pourtant, avaient caressé le même rêve ! C’était un paquet d’« idées » ! Mariage pour tous, subventions pour tous, diplômes pour tous, enfin tout pour tous, sauf les hautes instances de l’État qui, elles, étaient réservées, comme il se doit, aux hiérarques du socialisme labellisé dont le peuple de gauche ne pouvait que reconnaître l’évidente supériorité. Un cri de guerre héroïque contre la finance devait donner une stature historique au « camarade François », bon bourgeois par ailleurs, comme chacun sait, et aimant ses aises. Les choses tournèrent autrement. La manifestation des Français qui refusaient l’anéantissement de l’institution du mariage et de la famille se heurta aux défenses acérées des institutions républicaines. Hollande gagna en apparence cette partie, mais il perdit toutes les autres, car le même mécanisme institutionnel empêchait de la même façon quelque redressement que ce fût. Tout alla, tout va de mal en pis. Alors, dans cette déroute généralisée, Hollande ne songe plus qu’à une chose : se représenter à la présidentielle !
Ainsi le veut l’esprit des institutions. Sinon, ce sera le tour de Valls qui, Premier ministre, ne pense lui-même qu’à « cela », tandis que s’avancent sur le même chemin les autres « camarades » de gauche, tous bons bourgeois de la République. Et qu’ont-ils à offrir, tous ? Eh bien, des « idées », des paquets d’ « idées », encore et toujours des « idées » !
DES INSTITUTIONS À LA DÉRIVE
À droite et au prétendu centre, c’est pareillement la course aux « idées », aux « projets », comme ils disent, avec un sérieux qui ne peut faire que sourire. Sarkozy lance ses « idées » une à une comme des flèches sur ses concurrents ; Juppé commence à débiter les siennes avec la solennité que requiert leur vacuité ; Fillon s’y est déjà mis avec livre à l’appui et Le Maire cause et Mariton y va… Leurs « idées » ne servent à rien qu’à les promouvoir, eux, et aucune ne visent au coeur du mal français qui tient essentiellement à des institutions dont ils veulent tous s’emparer alors qu’elles ne sont plus du tout adaptées aux nécessités actuelles. La France n’est plus ni gouvernée ni représentée. Elle a besoin d’un État fort et responsable, de fonctions régaliennes exercées avec compétence, d’administrations correctes, de familles saines, de métiers organisés et libérés, et d’une vraie représentation de ce qu’elle est. Les partis et leurs « idées » ont tout « bouffé ».
La réaction qui apparaît aujourd’hui dans le peuple français, lassé et irrité, et dont l’intention de vote « Front national » est l’une des plus évidentes manifestations, ne saurait déboucher que si, un jour, elle se traduit autrement qu’électoralement, dans des institutions nationales vigoureuses, cohérentes et durables. Tout le reste n’est que mots qui volent, qu’« idées » qui trompent et, pour tout dire d’un mot, programmes de saltimbanques. n
Hilaire de Crémiers, Directeur de Politique magazine
Analyse évidente on ne pourra rien faire si on ne sort pas du système dont cette europe nous a enfermé;pour cela il faudrait avoir un président qui puisse avoir le courage de le faire rapidement car l’ abime semble proche.
Mais comment sortir du « système » ? Le « système » c’est la république ! Peut-on en sortir ? « La république gouverne mal mais se défend bien », jamais les apparatchiks socialo-maçonniques du « système » n’abandonneront leur « nonos » ! A moins qu’il faille encore aller plus loin dans la déchéance mais jusqu’où sans risquer d’y perdre son âme ?
Un système bloqué ! Le pays est étouffé par une fonction publique pléthorique qui capte toute la valeur ajoutée de l’activité. Rapprochée de ses voisins, la France aurait deux millions de fonctionnaires en trop, sureffectif qu’elle finance sur la Dette ! Que font les 38000 fonctionnaires du Ministère de l’Agriculture puisque la PAC est à Bruxelles ? Que font les 13000 fonctionnaires de la Banque de France puisque la monnaie est à Francfort ? Etc…
Cette dette nous coupe tout élan, son service étant l’un des premiers postes budgétaires.
C’est cela le Système français, une petite Union soviétique qui a réussi, disait Vàclav Havel.
Or, les fonctionnaires tiennent à la fois la haute administration (normal), l’exécutif et le législatif. Ils sont inexpugnables et se battront jusqu’au dernier contribuable pour perpétuer leurs privilèges le plus longtemps possible.
La mauvaise influence de l’Europe, toussa, c’est pour les croyants. Notre cancer est franco-français.
Que nous soyons atteints d’un cancer franco-français n’est guère contestable. Dans l’ordre des causes, cela s’appelle la République. L’accroissement indéfini du nombre des fonctionnaires (d’Etat ou autres) en est un développement. Et ce n’est pas très neuf, même si ça s’aggrave.
Cela dit, il ne faut pas en conclure que nous sommes les seuls cancéreux du monde actuel. Pour ce qui est des fonctionnaires inutiles, Bruxelles n’est pas mal non plus. Les siens ajoutent sans doute le mal au mal.
Après tout, si le cancer français était un cas unique, l’on pourrait, sinon se rassurer, du moins en relativiser l’importance. Mais lorsqu’on on observe l’état du monde, situation par situation, on se dit que c’est plutôt à un chaos généralisé que l’on a affaire. Et que cela ne se réduit pas au cas des fonctionnaires français en surnombre, lequel n’est d’ailleurs, lui-même qu’un épiphénomène du Système français.
Ne soyons pas mono-centrés !