Le discours prononcé par le pape François à la tribune des Nations Unies le 25 septembre a donné lieu à de nombreux commentaires. Entre ceux qui se sont réjouis d’entendre le pape donner un satisfecit à l’ONU et ceux qui regrettent que le discours fut trop « moraliste » et pas assez « politique », beaucoup a été dit. Mais peu de commentateurs se sont penchés sur les trois leçons d’économie que contenait ce discours fort riche. Ces trois leçons ont trait au fonctionnement des organismes financiers internationaux, à la façon de mesurer les performances économiques et au rôle des États.
Le fonctionnement des Organismes financiers internationaux
Il est nécessaire, a dit le pape, d’accorder à tous les peuples de participer aux décisions des « corps dotés d’une capacité d’exécution effective, comme c’est le cas (…) des Organismes Financiers et des groupes ou mécanismes spécialement créés pour affronter les crises économiques ». Si l’on peut d’abord penser au Fonds Monétaire International (FMI), on ne peut pas écarter le cas de la Banque Centrale Européenne (BCE) ni celui du Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Aucun de ces organismes, selon ce que nous dit le pape ne peut donc « imposer » à un État quel qu’il soit une décision que celui-ci ne pourrait pas accepter. Le pape a ajouté que « les Organismes Financiers internationaux doivent veiller au développement durable des pays, à ce qu’ils ne soient pas soumis, de façon asphyxiante, à des systèmes de crédits qui, loin de promouvoir le progrès, assujettissent les populations à des mécanismes de plus grande pauvreté, d’exclusion et de dépendance ». Certes, en prononçant cette phrase, le pape avait surtout à l’esprit le cas des « pays en voie de développement ». Mais, comment un Européen peut-il entendre cette recommandation sans penser en premier lieu à la Grèce et au diktat qui lui a été imposé par la « troïka » (FMI, Union européenne, BCE) ?
La mesure des performances économiques
Sur ce point, le pape commence par reconnaître que « la multiplicité et la complexité des problèmes exigent de compter sur des instruments techniques de mesure ». Ces instruments ne sont donc pas simplement utiles, ils sont nécessaires. Mais le pape ajoute que leur usage, à force de banalisation, peut conduire à deux dérives graves : une priorité absolue donnée au « travail bureaucratique » qui conduit à multiplier les normes, les processus et les contrôles au détriment de l’action proprement dite ; une confiance aveugle dans les constructions théoriques et a priori qui conduisent à se couper du réel. Car, nous rappelle le pape, une action économique n’est efficace que « lorsqu’on l’entend comme une activité prudentielle, guidée par un concept immuable de justice, et qui ne perd de vue, à aucun moment, qu’avant et au-delà des plans comme des programmes, il y a des femmes et des hommes concrets… ».
Le rôle de l’État en matière économique
Les gouvernants, nous dit le pape, « doivent faire tout le possible » pour permettre à chacun de vivre décemment. Et le minimum qu’ils doivent donner pour cela s’articule autour de trois besoins qu’il est impératif de combler : donner un « logement personnel » ; donner un « travail digne et convenablement rémunéré » ; donner accès à une « alimentation adéquate » et à une « eau potable ».
Il convient ici de ne faire aucun contre-sens. Les pouvoirs publics n’ont pas à mettre en œuvre des politiques de faux-semblants, comme ils savent si bien le faire. Donner à chacun l’accès à un logement personnel ne signifie pas obligatoirement qu’il faille accorder une « aide à la pierre », ni venir au secours du secteur du bâtiment. Le choix des mesures à prendre est affaire de circonstance et telle mesure qui paraît opportune à un moment peut fort bien ne plus l’être ultérieurement. Les questions économiques relèvent du domaine prudentiel et les mesures circonstancielles doivent toujours être adaptées aux situations concrètes. Celles qui ne sont plus adaptées doivent donc toujours être rapportées. Mais il ne faut pas non plus se tromper sur le but premier poursuivi et, en l’occurrence nous dit le pape, les pouvoirs publics doivent veiller à ce que chacun puisse bénéficier d’un logement personnel où il puisse accueillir sa famille.
Deuxième priorité : tous doivent pouvoir avoir accès à un « travail digne et convenablement rémunéré ». Dans son encyclique Laudato Si’, le pape avait rappelé de façon très concrète que « la création de postes de travail [par toute entreprise] est une partie incontournable de son service du bien commun » (§ 129). Mais créer un poste de travail n’est pas suffisant ; celui-ci doit être « digne », c’est-à-dire ne pas faire courir, même indirectement, à la personne qui l’occupe un danger moral, psychologique ou spirituel autant que physique. De plus, il doit être convenablement rémunéré, c’est-à-dire qu’il doit permettre à celui qui l’occupe de vivre normalement avec sa famille, selon son état. Si cela ne conduit à aucune course à l’échalote, cela suppose aussi que la famille ne doit pas être condamnée, pour vivre normalement, à suppléer le manque de rémunération par un crédit à la consommation. Mais être convenablement rémunéré ne signifie pas non plus que tout le monde soit en droit d’exiger de son employeur une rémunération qui lui permette de satisfaire tous les désirs artificiels entretenus et développés par une publicité agressive qui ne peut conduire qu’au surendettement.
Troisième priorité : l’accès à une « alimentation adéquate » et à l’« eau potable ». Là encore, le pape fait clairement référence à son encyclique Laudato Si’. Sans entrer dans le détail, il convient de remarquer qu’une « alimentation adéquate » est celle qui correspond aux besoins physiologiques de chacun et qui varie donc en fonction de l’âge de la personne, de la nature de ses activités et du climat de son pays (de la saison). Si une « alimentation adéquate » sous-entend une certaine diversité, elle ne signifie pas que certains peuvent s’arroger le droit de manger de tout en toute saison, en faisant venir à grands frais (et en gaspillant de l’énergie fossile) des produits qui pourraient manquer à ceux qui les produisent ou les conduire à produire des produits inutiles ou nocifs – pavot par exemple – destinés à l’exportation en lieu et place de cultures vivrières indispensables à l’échelon local.
Dans son discours à la tribune des Nations Unies, le pape n’a pas développé ces analyses qui, d’ailleurs, n’épuisent pas le sujet. Il s’est contenté de rappeler « le minimum absolu » auquel chacun doit avoir accès pour exercer sa dignité, « comme pour fonder et entretenir une famille qui est la base de tout développement social. Ce minimum absolu a, sur le plan matériel, trois noms : toit, travail et terre ; et un nom sur le plan spirituel : la liberté de penser, qui comprend la liberté religieuse, le droit à l’éducation et tous les autres droits civiques ». Il a donc mis chacun en garde contre toute « mauvaise gestion irresponsable de l’économie mondiale, guidée seulement par l’ambition du profit et du pouvoir ». •
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