Humeur de Théophane Le Méné
Nicolas Sarkozy était dans les tribunes du Parc des Princes lors de la soirée du deuxième tour des élections régionales. Un choix étonnant dont Théophane Le Mené ne s’est toujours pas remis. Nous ne sommes pas sûrs que la circonstance mérite en soi-même tant d’attention ni d’agacement. Même si elle a fait amplement jaser le microcosme. Comme on le dit trivialement, Nicolas Sarkozy en a fait d’autres… Mais voilà justement l’occasion de le rappeler s’agissant de domaines et de circonstances d’une beaucoup plus grande importance … Que Théophane Le Mené ne manque pas d’évoquer. LFAR
C’était plus fort que lui. Quelque chose d’incoercible et que l’on peine à expliquer. Comme cette attraction à laquelle on ne saurait résister lorsque l’âge nous exempte de tout sens de la responsabilité. Comme ce penchant dans lequel on cède lorsque la désinvolture écrase la retenue. Comme ce stupéfiant qui annihile toute forme de raison dès lors qu’on y a goûté. On peut être enfant, dilettante ou stupéfait et verser dans la poésie, la littérature, l’aventure, le voyage et dans bien d’autres champs qui convoquent tout autant la légèreté que l’obsession. Mais à ceux qui se veulent premier magistrat de France, c’est la lourde cape de la responsabilité, de l’ascèse, de la circonspection ; et seulement elle. Malgré tout cela, Nicolas Sarkozy n’aura pu s’empêcher de se précipiter au Parc des Princes pour assister au match PSG-Lyon, alors même que tombaient les premiers résultats des élections régionales. Que la Normandie et l’île de France ne savaient pas si elles étaient bleues ou roses. Que la recomposition politique était visible en direct sur les plateaux de télévision.
Par goût de la provocation, on pourrait admirer cette liberté suprême qui confine à l’indifférence. Mais on remarquera que l’ancien président en fit un usage quelque peu déplacé lorsque devenu clef de voûte des institutions, il préféra prendre villégiature dans un yacht plutôt que dans une abbaye – il l’avait pourtant promis. Par goût des passions populaires et de la France gouailleuse, on pourrait objecter que Nicolas Sarkozy signifiait ici la beauté spécifique du football et l’humanité de ses héros, convoquant Albert Camus dont il est, dit-on, un grand lecteur («Tout ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois») ou bien encore Pier Paolo Pasolini («Le football est la dernière représentation sacrée de notre temps»). Mais il y a le football des gradins et le football des loges. Et puis il y a ce qu’en dit Eduardo Galeano dans «Football, ombre et lumière»: «L’histoire du football est un voyage triste, du plaisir au devoir. A mesure que le sport s’est transformé en industrie, il a banni la beauté qui naît de la joie de jouer pour jouer. […] Le football professionnel condamne ce qui est inutile, et est inutile ce qui n’est pas rentable.»
En définitive, par goût du réel, on se résoudra à constater que rien n’a changé chez Nicolas Sarkozy. L’homme n’a jamais réussi à épouser le sens du sacré, à assimiler le sens tragique de l’Histoire, sinon lors de la parenthèse enchantée de 2007. Sa passion pour le ballon rond un soir d’élection où l’on demande au peuple français de se prononcer en dit long sur sa conception de la politique. Et à revoir cette séquence pour le moins indécente, on ne peut s’empêcher de penser qu’à l’expression de la souveraineté populaire à laquelle on le sent décidément hermétique, Nicolas Sarkozy ne se sent dans son élément que dans le sport. Le malheur est que ce sport a été transformé par la fameuse jurisprudence de l’arrêt Bosman où la libre circulation des joueurs a bouleversé la sociologie du football, au point que les entraineurs sont devenus des coachs, les présidents de club, des nababs du pétrole ou de la finance ; les agents de joueurs, des grands frères ; et les joueurs eux-mêmes des voyous tenant d’une main l’escort et de l’autre la Ferrari. Incompréhensible donc, à moins que Nicolas Sarkozy entende toujours devenir président mais de la Ligue 1. •
Théophane Le Méné (FigaroVox)
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