La République Charlie, place du même nom
Par Jacques Burnel
Sous ses deux formes, adjectivale et nominale, le mot « République » a littéralement envahi le discours des médias, des pouvoirs publics et du personnel politique. Or, explique Frédéric Rouvillois dans un livre jubilatoire (Être ou ne pas être républicain, Le Cerf, 237 p., 14 euros), si les républicains sont partout, la République est nulle part…
« Le terrorisme ne détruira pas la République ; c’est la République qui le détruira » ; « La riposte de la République sera totale » ; « Les associations qui s’en prennent aux valeurs de la République seront dissoutes »… Du président François Hollande au Premier ministre, Manuel Valls, en passant par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, les propos martiaux de nos dirigeants politiques, réagissant à la tuerie de masse du 13 novembre, ont été salués unanimement. Tout juste quelques rares observateurs ont-ils pu faire remarquer qu’ainsi placés sous les auspices de la République, ils avaient l’immense avantage d’exonérer ceux qui les prononcent de toute forme de responsabilité dans ces tragiques évènements. Événements dont la nation en deuil pourrait légitimement tenir rigueur à ses représentants…
Au début de l’année 2015, en d’autres circonstances dramatiques, les Français l’avaient appris à leurs dépens : certains clichés mobilisant mécaniquement la pensée (le « pas d’amalgame » avait alors fait florès) peuvent être utilisés comme des armes dialectiques qui paralysent la pensée. Il suffit d’entendre les mots magiques pour que chacun s’incline et passe son chemin. Circulez, il n’y a rien à voir ! Et dans cet arsenal d’expressions toutes faites et de mots qui enivrent, le terme « républicain » n’a pas d’équivalent. Exemple : pourquoi s’est-on cru obligé de parler de mobilisation « républicaine » au lendemain de l’attaque contre Charlie Hebdo et pas de manifestation « royale » ou « monarchique » en 2004 après les attentats de la gare de Madrid ? C’est cet « usage invraisemblable et littéralement diluvien du terme « républicain » » qui a poussé le professeur de droit public et historien des mentalités, Frédéric Rouvillois, à s’interroger sur la signification de ce mot pour le moins redondant dans la parole publique. Suffrage universel, pluralisme, éducation, universalisme, laïcité : dans un livre au titre réjouissant – Être (ou ne pas être) républicain -, il passe en revue les critères habituellement admis du « républicanisme ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le piédestal sur lequel on a placé la République vole en éclats. Reste un concept creux, usé jusqu’à la corde, mais qui ôte immanquablement toute substance au débat politique contemporain. La pantalonnade de cour d’école autour de la nouvelle dénomination de l’ex-UMP l’atteste : chacun accuse l’autre de s’approprier un terme censé appartenir à tous.
UN MOT QUI RENVOIE À TOUT ET SON CONTRAIRE
Pourquoi alors, répété comme un mantra, demeure-t-il aussi envahissant ? La « forme républicaine du gouvernement », comme il est dit dans la Constitution de 1958 sans que l’on sache de quoi il retourne exactement, est-elle menacée ? Mais même s’il continue à vivre intellectuellement, notamment dans les pages de ce magazine, le royalisme est politiquement mort depuis longtemps. Du Parti communiste au Front national, des souverainistes de droite aux fédéralistes de gauche, des plus libéraux aux plus étatistes, les républicains revendiqués sont partout. D’ailleurs, fait justement remarquer Rouvillois, le mot « République », res publica, la chose publique, synonyme le plus souvent d’État ou de communauté de citoyens, se retrouve dans les écrits officiels de la monarchie, mais aussi dans le langage courant de l’Ancien Régime. Monarchie et République ne s’oppose donc pas nécessairement, pas plus d’ailleurs que République et dictature, la première s’accommodant volontiers de la seconde. En témoignent de nombreux épisodes de notre histoire, du Comité de salut public au « Gouvernement de défense républicaine » de Waldek Rousseau en 1899. Songeant à la République romaine et à ses dictateurs, Mussolini ne disait-il pas que le fascisme est essentiellement républicain ? « Faute de définition claire, note notre auteur, on est obligé de reconnaître que tout le monde a le droit de se qualifier de républicain, dès lors que le mot de « République », auquel renvoie ce qualificatif, a lui-même recouvert à peu près toutes les hypothèses imaginables. »
UNE RELIGION DE SUBSTITUTION
Contrairement à ce que la répétition compulsive du mot voudrait laisser croire, il n’existe donc aucune définition de la République. Ni comme régime politique, ni comme doctrine ou comme philosophie hormis quelques vagues références à la devise abstraite de la Révolution française et à « l’esprit » des Lumières. Bref, « la République », comme essence, est une vue de l’esprit. Rouvillois dit : une légende. De fait, dans sa version française, qui est spécifique, cette légende s’est construite sous la Ille République et au moment de l’affaire Dreyfus quand elle s’est en quelque sorte figée en une « construction mythologique » et même en une « religion de substitution ». Une tentation que le régime républicain a eue dès son origine : en 1793, les Hébertistes ont institué le culte républicain de la Raison et Robespierre celui de l’Être suprême ; Michelet parlait d’ailleurs des Jacobins, le parti républicain par excellence, comme du « parti-prêtre »…. Mais c’est sous la Ille République que l’éducation fut conçue comme un conditionnement des esprits, un dogmatisme destiné à républicaniser le pays… et à lui faire oublier qu’il y avait eu une France avant 1789. La République, conclut Rouvillois, est un mot vide et sacré. Vide, parce qu’il renvoie à tout et son contraire. Sacré, car il exclut tout ce qui n’est pas lui : cela risquerait de « brouiller le récit légendaire, de le rendre incohérent, d’affaiblir son rôle mobilisateur »…
Ainsi « la République », cette ancienne notion désignant le bien commun qui fut utilisé dans les ordonnances d’Henri IV et de François Ier, est-elle devenue, par glissements successifs, la religion républicaine d’un petit clergé qui sermonne, catéchise et excommunie au nom de « valeurs » à la fois absolues et contradictoires. En ce sens, elle est anti-démocratique puisqu’elle s’apparente à une prébende et justifie toutes les prévarications. Est-ce un hasard si ce qu’il est convenu d’appeler les « élites » – médias, pouvoirs publics, personnel politique -, ne disent presque jamais « la France » mais presque toujours « la République » ? « République » : ce mot-posture qu’en période de crise elles psalmodient en attendant le miracle… •
Jacques Burnel – Politique magazine
Pour protester contre tel ou tel événement dramatique, comme cela a été le cas après les attentats de janvier, nos gouvernants (nationaux, régionaux ou locaux) aiment organiser des marches « républicaines ». Il s’agit en général de défilés qui se font dans le désordre le plus complet : pas d’ordonnancement de la marche derrière le drapeau, pas de cohérence dans le défilé, les gens marchent qui par trois, qui par six ou sept, par petits groupes même pas serrés comme le serait un troupeau de moutons, encore moins en rangs ordonnés et homogènes : la vraie pagaille, effectivement « républicaine », un vrai symbole !
Jacques Burnel, citant Frédéric Rouvillois a parfaitement raison de parler de la République comme d´un mot vide et sacré. Ce mot,que l´on retrouve également dans les écrits des philosophes des Lumières, n´exclut pas le régime monarchique, et il doit sa viduité aux excès, qui en le politisant à outrance, à droite comme à gauche, lui enlèvent toute substance et toute légitimité.. Le Danemark où je vis et qui est une monarchie constitutionnelle, n´a pas besoion de la république pour désigner un régime parlementaire, lequel n´est pas affligé comme la France, d´ atteintes inacceptables à la souveraineté populaire.
À propos du mot sacré, maintenant: oui, nous avons là un essai de donner à la république francaise une véritable essence, alors qu´elle n´est que le fruit d´une histoire cristallisée dans un mythe peu glorieux. Rappelons-nous les analyses de Carl Schmitt et ses théories sur la théologie politique, qui explique comment le politique reprend le langage du sacré dont il devient une manifestation laîcisée.
Gérard Lehmann, Université de Danemark Sud (SDU)
… » la République comme d´un mot vide ET sacré… « …..
Je dirais plutôt : la République, un mot vide DE sacré… ce qui expliquerait cet acharnement à vouloir la sacraliser !
Il suffit de se rappeler toutes les » guignoleries » ( dans le sens sanglant du Grand Guignol ) que les révolutionnaires ont imposées un temps comme, leur fameuse » déesse Raison « …. et autres balivernes.
République : la chose à tout le monde. La chose a muté en putain. La classe politique est son proxénète. Le concept est si creux qu’il n’y a plus rien à sauver.
Il faudra repartir des fondations en coopérant dans les communes, pays, provinces et remonter un Etat juste et strictement périmétré autour du nécessaire…
D’ici là, quid du royalisme « politiquement mort » ?
C’est peut-être la chance du royalisme français d’être « politiquement mort ». S’il participait du et au Système, il serait pourri comme lui.
Si on lit et si on écoute autour de nous, hors de nos cercles habituels, l’on constate qu’Il reste intellectuellement présent, latent, sous-jacent.
Les princes sont en sommeil politique mais n’ont pas perdu la conscience de ce qu’ils sont. Ce qui aurait pu arriver. Et il n’est pas absurde, aujourd’hui, d’imaginer des circonstances qui rendraient nécessaire d’y recourir. Directement ou via une de ces phases intermédiaires, dont l’Histoire donne des exemples.