Ancien avocat général, Philippe Bilger est aujourd’hui magistrat honoraire et président de l’Institut de la parole. Pour lui, les événements tragiques du 13 novembre ont enfin sonné le réveil du gouvernement socialiste sur les questions de sécurité.
La loi sur le Renseignement a été présentée comme une mesure-phare contre le terrorisme. Manuel Valls a même dit, en juillet, que « la France a désormais un cadre sécurisé contre le terrorisme et respectueux des libertés ». Est-ce un mauvais procès de dire qu’elle n’a pas permis d’empêcher les événements du 13 novembre ?
Même le pays le mieux armé ne peut échapper aux réalités criminelles. En ce domaine, le risque zéro est une vue de l’esprit. Dans la mesure où le pouvoir socialiste a découvert la nécessité de la lutte contre le terrorisme et qu’il lui a apporté les moyens nécessaires, je ne peux qu’approuver cette loi sur le renseignement même s’il aurait été naïf d’imaginer qu’elle allait tout régler. Depuis l’affaire Merah, si on avait bien voulu examiner le détail de tous les dysfonctionnements liés à la prévention contre le terrorisme, on aurait pu constater des carences dans la surveillance et une négligence dans le contrôle. Si l’on avait été exemplaire sur le plan des pratiques, une telle loi n’aurait peut-être pas été nécessaire.
L’arsenal juridique actuel vous semble-t-il satisfaisant pour lutter efficacement contre le terrorisme ?
Je ne vais pas critiquer une juridiction qui se montre de plus en plus vigilante. La voie législative est empruntée pour lutter contre le terrorisme. Cela dit, cette démarche n’a de sens que si les comportements des différentes administrations chargés de la mettre en œuvre sont exemplaires. Les services de renseignements eux-mêmes ont besoin d’une compétence et d’une rectitude qui leur permettront de donner toute sa vigueur à l’outil législatif.
L’accent n’aurait-il pas dû être mis sur la correction des défaillances des services de renseignement ?
Toutes les mesures ne peuvent pas être prises en même temps. Mais il faut désormais être exigeant : à partir du moment où l’on donne les moyens de travailler aux différents services, on ne doit plus tolérer les « imperceptions » et les négligences coupables. Il me semble que, depuis le 13 novembre, l’appareil d’état a pris conscience de la gravité de la situation : par exemple, depuis deux mois, 1 000 personnes jugées indésirables n’ont pas pu rentrer en France. Le processus pour atteindre un niveau de sécurité efficient se met en œuvre.
Le garde des sceaux, Christiane Taubira, ne devrait-il pas être au front en raison des derniers événements ?
Christiane Taubira est complètement en décalage par rapport à cette prise de conscience socialiste de la nécessité d’une politique sécuritaire renforcée. Je n’aime pas le terme « sécuritaire » mais force est de constater que la priorité est enfin donnée à l’exigence de sûreté contre le terrorisme. Il faut espérer que, dans un futur proche, on applique ces règles de rigueur, de cohérence et de sévérité à la criminalité et à la délinquance ordinaire. Ce qui serait suivre une action exactement inverse à celle menée par Christiane Taubira depuis qu’elle est au ministère. D’autant plus que la porosité entre le crime et le terrorisme n’est plus à démontrer : voyez les parcours personnels des assassins du 13 novembre.
Pour vous, l’action de François Hollande et du gouvernement semblent aller dans le bon sens…
L’attitude du président de la République sur la révision constitutionnelle est pertinente. à mon avis, il est suffisamment lucide pour comprendre qu’on ne peut plus se permettre de créer des niveaux supplémentaires de lutte contre le terrorisme à chaque fois que notre pays est attaqué. à un moment donné, le seuil maximum législatif sera atteint. En modifiant la Constitution, notamment par la prolongation de l’état d’urgence, on se donne les moyens de lutter de manière décisive contre le terrorisme, quel que soit le visage qu’il présentera à l’avenir. Cela coupe court au risque d’une escalade législative.
Autre mesure-phare proposée par le gouvernement : la déchéance de nationalité. Elle ne fait pas l’unanimité chez les socialistes…
Imaginez la portée, pour cette gauche dogmatique, de telles décisions ! Après avoir découvert le réalisme économique et financier, François Hollande découvre l’exigence de sécurité avec des mesures que la droite n’aurait jamais osé mettre en œuvre… La gauche sectaire, bien sûr, s’en indigne. De fait, le locataire de l’élysée illustre le zèle des nouveaux convertis. Quand ils découvrent la réalité, ces derniers basculent dans une forme de radicalité avec un élan d’une vigueur stupéfiante pour les gens « raisonnables ». Pour ma part, je m’en réjouis !
En tant qu’ancien magistrat, quelle est votre opinion sur la campagne menée pour le retour du juge Marc Trévidic au pôle antiterroriste ?
Marc Trévidic est un juge remarquable, qui a accompli un travail exceptionnel à l’antiterrorisme. Il est d’ailleurs le seul magistrat à être intervenu dans les médias depuis l’affaire Merah. C’est logique. Ceux qui sont actuellement en poste à l’antiterrorisme doivent respecter un devoir de réserve. Je regrette néanmoins l’impression qui est donnée d’une connivence entre les médias et le juge Trévidic. Comme si les 9, et bientôt 10, juges du pôle parisien ne faisaient rien de leurs journées et que le départ d’un homme, aussi remarquable soit-il, mettait à mal tout le système. On ne peut pas laisser penser de telles choses. Marc Trévidic doit tenir compte du fait qu’il faut renvoyer la balle à ceux qui sont désormais à sa place.
N’est-il pas regrettable pourtant qu’un magistrat compétent ne puisse rester en place plus de dix ans ?
Peut-être qu’un jour ce principe sera révoqué. Il n’en reste pas moins qu’il est gênant, comme l’ont fait les députés Les Républicains, de demander la révision d’une loi pour un seul homme alors que les mêmes pourfendaient, à juste titre, les lois de circonstances votées contre Hersant ou pour Tapie… Cette volonté de recourir à un homme providentiel traduit l’angoisse qui a saisi la population française. Cependant, pour faire face à la réalité judiciaire quotidienne de l’antiterrorisme, il est indispensable de mobiliser les magistrats en place et de ne pas tenir pour rien ce qu’ils réalisent. Souvenez-vous de la campagne de promotion autour d’Eva Joly, alors juge d’instruction. On s’est aperçu à quel point elle était catastrophique. Certes, les circonstances sont différentes mais le processus est identique. •
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