« la patrie n’est pas qu’un artifice juridique » : C’est ce qu’affirme Mathieu Bock-Côté dans cette chronique *.
La nationalité, dit-il, relève au contraire d’une réalité historique et identitaire plus profonde. Conception traditionnelle avec laquelle nous sommes en accord de fond. LFAR •
À sa manière, l’année 2015 a été terriblement logique. Elle a commencé pour la France sous le signe de l’agression islamiste, avec les attaques contre Charlie Hebdo et le marché Hyper Casher. Les attentats du 13 novembre ont confirmé que de telles agressions étaient en fait des actes de guerre, et qu’ils étaient menés au nom de l’islam radical, même si le premier réflexe politique a consisté à dénoncer un terrorisme générique plutôt que le terrorisme islamiste. Ces attentats étaient menés généralement par des « Français », ou du moins, par des individus qui avaient la nationalité française. Fallait-il parler dès lors d’une guerre contre la France, ou d’une guerre civile ne disant pas son nom ? À tout le moins, il fallait bien reconnaître l’existence d’un problème ne relevant pas seulement de l’exclusion sociale dont la France serait coupable.
Il n’est pas étonnant que l’année se termine avec une discussion sur la déchéance de nationalité des terroristes. Ce débat en sous-tend un autre : la nationalité n’est-elle qu’un artifice juridique ou réfère-t-elle à une réalité historique et identitaire plus profonde, dont elle est la traduction politique et institutionnelle ? Peut-on comprendre quelque chose à la nation si on l’enferme dans les seules catégories du contractualisme moderne ? On a beau répéter qu’elle se confond avec les valeurs de la République, on constate bien que ces dernières ne suffisent pas à caractériser la spécificité française. Les nations ne sont pas toutes interchangeables et à moins de consentir à leur dissolution dans une forme de grand peuple mondial, il faut chercher à comprendre en profondeur l’identité de chacune d’entre elles. Il faut renouer avec la culture.
C’est à cette lumière qu’il faut analyser le déploiement de la question identitaire dans la vie politique française, et plus largement, dans celle de toutes les sociétés occidentales. Elle permet de penser la part invisible de la citoyenneté moderne, et plus largement, de la modernité politique. Depuis plusieurs années, des intellectuels ont cherché à la faire valoir en rappelant les droits de l’histoire et de la culture dans la définition d’une communauté politique. En faisant valoir ces évidences étouffées par le progressisme dominant, ils subirent des attaques médiatiques à répétition et même quelques procès. Certains pans de réalité ne sont tout simplement plus admis dans la vie publique, puisqu’ils représentent un désaveu sans ambiguïté de l’impasse du modèle diversitaire.
On a beau redouter plus que jamais les amalgames dans le système médiatique contemporain, cette peur des associations malheureuses ne tient plus lorsqu’il s’agit de stigmatiser publiquement les représentants d’une certaine dissidence conservatrice, qui sont systématiquement ramenés à Vichy. Soudainement, la prudence lexicale ne tient plus, et il s’agit surtout d’exclure le plus possible de la vie publique ceux qui ne participent pas au consensus multiculturaliste et progressiste. De même, on hystérise le débat public en laissant croire à un retour des années 1930, ce qui est une manière d’écraser la situation présente sous une comparaison historique effrayante. Cela permet évidemment aux accusateurs de se réclamer de la mémoire de l’antifascisme et de s’enduire de vertu médiatique. La stratégie est éculée mais n’est pas inefficace.
On ne doit pas oublier que pendant une bonne partie de l’année 2015, le système médiatique s’est questionné ouvertement sur la prétendue hégémonie culturelle et intellectuelle des conservateurs et des réactionnaires dans le débat public. On s’inquiétait de leur progression, on leur prêtait la capacité de manipuler l’opinion à partir de leurs quelques tribunes médiatiques, comme s’ils disposaient d’un pouvoir d’hypnose à grande échelle. On oubliait, au même moment, que ces quelques voix étaient finalement bien rares dans un paysage médiatique où domine encore l’orthodoxie néo-soixante-huitarde. Mais c’est justement parce qu’elles étaient rares qu’on les entendait autant. Le progressisme a tellement l’habitude de l’hégémonie qu’il lui suffit d’être contesté pour se croire assiégé.
C’est le drame d’une nation qui s’est laissée intoxiquer par la rectitude politique : plus on l’attaque et plus elle se sent coupable. Plus on l’agresse et plus ses élites s’en prennent à ceux qui en appellent à la riposte politique et à sa renaissance historique. On en revient alors à la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux : on peut y voir une rupture non seulement politique, mais philosophique, dans la mesure où elle réintroduit dans la nation certains éléments qui ne relèvent pas du simple artifice juridique. On dit de la mesure qu’elle est symbolique mais c’est justement pour cela qu’elle semble plébiscitée par l’opinion, qui devine bien ce que représente cet enjeu, même si elle ne parvient pas nécessairement à l’expliciter. Peut-on s’attendre à ce qu’en 2016, le réel fasse définitivement éclater la gaine de la rectitude politique ? C’est moins certain. Une nation ne sort pas facilement de ses mauvaises habitudes. •
* FigaroVox
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie et chargé de cours aux HEC à Montréal. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire (Boréal, 2007). Mathieu Bock-Côté est aussi chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada.
C’est une excellente présentation du fond du problème identitaire : l’enracinement dans une culture historique, soit par les origines, soit par l’adhésion, contre la nationalité vue comme simple régularisation juridique sans adhésion profonde à ce qu’elle doit signifier.
Très intéressante lecture de la nationalité, de l’appartenance à une nation, et non pas simplement de la « possession » d’une nationalité. Que n’aimerait-on lire plus souvent et entendre sur les médias majoritaires une analyse aussi fine.
Ceci dit, le temps long de l’histoire travaille dans le bon sens, la génération 68 aux affaires arrivera bien en bout de course. Il faut espérer que cela ne soit pas trop tard…