par Jean-Louis FAURE
Il nous semble que l’information sur la dévastation des prix du pétrole est outrancièrement déséquilibrée. Seul semble intéresser en effet le bénéfice qu’en retirent les consommateurs, prix à la pompe, fuel de chauffage et avantages pour les pays importateurs d’énergie (serait autour de 1 point de PIB pour la France, soit 20 milliards d’Euros pour un PIB de 2.000 mds d’Euros environ). Peu d’autres développements.
Mais une presse un peu plus attentive nous fournit des chiffres particulièrement alarmants qui doivent nous inciter à un examen pertinent de la situation internationale. Nous nous servons principalement dans le Financial Times (FT), où nous lisons
• Que l’on est passé de 115 USD / baril à l’été 2014 à moins de 30 USD aujourd’hui (en 18 mois).
• Le 24 Déc 2015 le journal annonce qu’un baril à 100 USD n’est plus attendu avant 2040.
Devant le refus obstiné des Séoudiens de réduire leur production, il est annoncé que les prix plongent en dehors de tout contrôle. Le but de Riyadh est de conserver ses parts de marché quel qu’en soit le prix. Objectif affiché par l’institut de prévision financière séoudien JADWA pour 2016 (lien http://www.jadwa.com/en).
La totalité des projets retardés ou annulés se montent à 400 milliards USD, alors que la réduction n’était « que » de 100 mds en mai dernier, ce qui montre assez la vitesse de propagation de la crise. Le consultant américain Wood Mackenzie fait une liste de 68 projets gelés dans le monde. Sont concernés la mer du nord, le Kazakhstan, l’Australie, l’Angola, le Canada, les USA. L’industrie compte autour de 65.000 emplois brutalement perdus (FT du 14 Janvier 2016). Outre les compagnies pétrolières elles-mêmes, toute la sous-traitance (importante dans cette activité) est directement atteinte et lutte pour sa survie. Quelques comparaisons : ces 400 mds sont le PIB de l’Argentine, de la Pologne, le double du PIB du Portugal ou de l’Algérie, le quart du PIB de l’Inde. Le Venezuela nous dit « nous sommes terrorisés ».
Les Séoudiens considèrent réussir leur pari en mettant à genoux les producteurs américains d’huile de schiste.
Et l’Iran n’a pas encore rénové et relancé sa production.
Pays producteurs touchés :
Canada, Venezuela, Russie, Algérie, liste non exhaustive. Saignée dramatique pour le budget de beaucoup d’entre eux.
Raymond Barre disait que l’économie n’aime pas le désordre. Devant cette situation catastrophique, nous ne voyons pas dans notre beau pays, qui s’en préoccupe au sommet de l’État, entre deux commémorations et la préparation des prochaines présidentielles … •
Le FT est très expicite effectivement. Ce matin en titre :
IEA warns oil market could ‘drown in oversupply’
Ramped-up Iran production will offset cuts, warns energy watchdog.
La déstabilisation du marché va être gravement amplifiée et accélérée par la décision de l’Iran de relancer sa production, même avec des précautions de pure forme :
https://next.ft.com/content/a528278e-bd87-11e5-9fdb-87b8d15baec2
Sanctions on Iran’s oil industry cut its exports from 2.5m barrels a day in 2011 to little over 1m b/d, putting severe strain on its economy. The country has assembled a flotilla of 25 supertankers filled with heavier crude and condensate oil it struggled to sell during the period of sanctions and market glut.
Satellite tracking showed none of the ships had set sail by Monday afternoon, however, confirming Iranian statements that it would try to avoid swamping an already oversupplied market.
“Iran is not interested in entering the market in a disorderly manner, which is self-defeating. However, it is also not interested to sacrifice further, to benefit those who gained from its absence,” said one former Iranian oil official. “It is a delicate balance.”
Balance délicate entre excès d’offre et demande freinée par le ralentissement de la croissance modiale.
A l’origine de la chute du prix du pétrole,il y a le désir du 1er producteur mondial, l’Arabie Séoudite(assise sur d’énormes réserves) de conserver ses parts de marché, en faisant baisser les cours du brut en-dessous du prix de revient du pétrole de schiste découvert et exploité en abondance au North- Dakota et au Texas.La Grande-Bretagne en a découvert aussi en grande quantité peu profonde dans le Surrey.
Les pays les plus pénalisés par cette baisse drastique sont les gros producteurs-qui n’équilibrent leur budget que grâce à leurs ventes pétrolières- comme la Russie,le Vénézuela,le Nigéria ou même la Chine.
Quant à la France,elle a stupidement interdit toute recherche de pétrole et de gaz de schiste-grâce aux écolos,-opposés au fractionnement des couches par injection d’eau sous pression-,alors que ses réserves en cette matière première-comme celles de la Grande-Bretagne(et de la Pologne)seraient loin d’être négligeables.
En ce qui concerne la France, je ne vois pas de problème inquiétant pour notre pays qui est importateur de la quasi totalité de ses besoins en pétrole. Les consommateurs ne se plaindront pas d’un pétrole moins cher, à condition que l’Etat ne relève pas les taxes sur les carburants pour maintenir les mêmes prix élevés à la pompe qu’avec un baril à plus de 100 dollars. Par ailleurs, la chute des cours du brut peut momentanément consoler les partisans de l’exploration de l’huile de schiste en France, qui pouvait se justifier sur le plan de la rentabilité économique avec un baril à 100 dollars et plus, mais sans doute pas avec un baril à moins de 30 dollars. Les coûts d’extraction de l’huile de schiste aux USA sont si élevés par rapport au cours actuel du baril que les compagnies pétrolières actives sur ce marché aux USA arrêtent ou suspendent leurs exploitations.
A mon humble avis, toutes ces manifestations d’inquiétude avec un baril de pétrole aussi bas qu’actuellement, résultent d’une campagne de lobbying de tout le secteur pétrolier pour protéger leurs intérêts. Mais tout le monde n’est pas obligé de partager leur avis.
Le montant de nos importations n’est qu’un petit chapitre d’un grand livre. Nous avons une industrie de prestataires touchés de plein fouet, pour ne citer de mémoire que Technip, Maurel& Prom, Schlumberger. Et beaucoup d’autres. Il faudrait donc faire un bilan très large, et nous avons de quoi nous inquiéter.
En outre continuons à croire que la France a un poids certain dans la communauté internationale. Restera-t-on indifférent à des crises générées par cette turbulence qui va mettre beaucoup de temps à s’équilibrer ? LJD vient de parler de l’Algérie, nous sommes en plein dans le sujet. C’est en ce sens que l’on peut déplorer une grande légèreté de nos responsables politiques qui ne disent rien sur le sujet. Mais peut on être surpris?