Encore une fois, ce n’est pas que ni France Inter ni Bernard Guetta nous passionnent. Mais ils sont un signe que l’observateur doit saisir, surtout si, en quelque manière – c’est notre cas – il ambitionne aussi être acteur.
A ce propos, la chronique de Bernard Guetta que l’on pourra suivre ici en vidéo ou lire, si l’on préfère, témoigne de cette sorte de désespérance dans laquelle, pour un bien ou pour un mal, sans-doute pour les deux, l’idée européenne, y compris pour ses plus chauds partisans, est en train de sombrer. Du moins celle qu’avaient forgée les européistes sur le mode de l’utopie, discréditant par là aux yeux et dans le cœur des peuples tout ce qu’un projet européen correctement construit pouvait avoir de nécessaire et de positivement enthousiasmant.
L’idée européenne semble bien être entrée dans le temps de la désillusion. Et l’on sait qu’une fois un tel sentiment installé, il devient presque impossible d’en sortir. Lafautearousseau •
L’émission du mercredi 20 janvier 2016
Compte à rebours en Europe
Pas plus de « deux mois », de deux mois à compter d’aujourd’hui. C’est le délai que le président du Conseil européen, Donald Tusk, donne à l’Union pour maîtriser le flot des réfugiés faute de quoi, disait-il hier, la libre circulation des biens et des personnes entre vingt-deux des Etats membres et quatre Etats associés, l’espace Schengen, l’un des principaux acquis de la construction européenne, ne sera bientôt plus qu’un souvenir.
Si c’était le cas, il faudrait rétablir d’innombrable postes frontaliers et procéder à une embauche massive de douaniers et de policiers, les correspondances aériennes deviendraient beaucoup difficiles, les files de camions provoqueraient partout des embouteillages et les travailleurs transfrontaliers risqueraient de perdre leur emploi car le passage d’un pays à l’autre deviendrait trop aléatoire. Si c’était le cas, c’est un très rude coup qui serait porté à l’unité européenne mais, par crainte des attentats ou désir de refouler les réfugiés, sept des pays de l’espace Schengen ont déjà rétabli des contrôles frontaliers, théoriquement provisoires mais que les gouvernements concernés hésiteront maintenant à lever tant la demande de sécurité est forte.
Deux mois, c’est peut-être exagéré mais, sur le fond, Donald Tusk a raison. Une course de vitesse est désormais engagée entre, d’un côté, le délitement de Schengen et, de l’autre, le renforcement des frontières extérieures de l’Union et le maintien des réfugiés syriens en Turquie, le pays par lequel ils gagnent la Grèce avant d’aller se heurter, dans le froid, aux frontières qui s’abaissent plus au nord.
Chaque jour va compter alors même que le déploiement en cours de garde-frontières européens en Grèce prend du temps et que la Turquie ne se hâte guère, malgré les promesses d’aides européennes, de contrôler ses côtes.
La partie n’est pas déjà perdue mais elle risque fort de l’être, oui, et cela serait d’autant plus consternant que le rétablissement des frontières nationales ne résoudrait rien. Il serait autrement plus long et coûteux de les fermer que de verrouiller les frontières extérieures de l’Union. Elles n’empêcheraient pas les réfugiés de venir s’échouer sur les côtes européennes et de rester ensuite en Grèce et en Italie qui auraient à les prendre en charge seules, sans solidarité des autres Etats membres. Ce ne sont pas non plus les frontières nationales mais le renseignement et la coopération policière qui empêcheront les attentats.
Les frontières nationales rassurent mais sont largement vaines alors que leur restauration viendrait freiner les échanges européens, porter de nouveaux coups à la croissance économique des 28 et casser un peu plus une dynamique unitaire déjà si mal en point.
L’Union est en panne. L’Union est mal aimée de ses citoyens. Tout au long de ces prochains mois, l’Union va vivre au rythme, des sondages sur le référendum britannique. L’Union, malgré tout, tiendra mais la dernière chose dont elle aurait besoin serait la fin de l’espace Schengen car, après cela, la pente serait bien dure à remonter.
l’Europe, dans sa construction, porte un péché originel : trop de pays , trop de disparité entre eux, trop vite agrégés. La création d’une monnaie unique aurait du compenser ces failles originelles par un resserrement des pays adhérents, il n’en a rien été. Au lieu de cela la supranationalité des organismes européens, en grande partie institués non démocratiquement, leurs édits imposés (afin de justifier leur existense et des rétributions de leurs composants, élus ou fonctionnaires ?) vécus comme des contraintes, voire des handicaps, dans le jeu économique international a jeté dans le camp de euroréfractaires la majorité des peuples d’Europe. Cette belle et grande idée va sombrer, elle renaîtra dans plusieurs décennies sur des bases nouvelles avec des homme et de femmes nouveaux, instruits de l’échec de la précédente expérience, mais bien peu de ceux qui sont vivants aujourd’hui vivront ce renouveau.