Guillaume de Prémare : L’enjeu de la loi Taubira était culturel, il s’agissait de déconstruire l’ordre anthropologique naturel et symbolique qui fonde la société sur la famille et la famille sur la différence homme-femme, le père, la mère et l’enfant. Madame Taubira a joué cartes sur table en précisant qu’il s’agissait d’un « changement de civilisation ». Ce nouvel ordre symbolique et social est un symptôme fort de ce que Pierre Manent nomme « la souveraineté illimitée de l’individu ». Dans la dialectique des minorités, la fonction de la loi est d’assurer la reconnaissance sociale de l’individu dans toutes ses dimensions particulières. Il faudrait ainsi un statut pour tous, alors même que tous ont déjà un statut partagé, celui de personne et de citoyen. Chacun revendique de nouveaux droits qui ne reposent sur aucune réalité commune. La logique des minorités est une marche folle vers une égalité fictive essentialisée, qui mène à la guerre de tous contre tous. Et nous voyons bien que les principes communs de vie en société se délitent : tout le monde se demande aujourd’hui comment vivre ensemble. Mais la loi Taubira est loin d’être le seul facteur. L’engrenage de ce que Jacques Généreux nomme la « dissociété » a commencé depuis longtemps. Nous avons oublié que la loi est un cadre général qui se réfère à des réalités partagées et favorise le déploiement d’un bien commun.
En quoi le mariage gay a-t-il été le cache sexe d’un projet de société qui vise à diffuser la théorie du genre ? Quelles autres réformes sont venues confirmer ce changement de société ?
L’idéologie issue des études sur le genre vise à imposer l’idée d’indifférenciation entre l’homme et la femme. Il y a un lien substantiel avec le mariage homosexuel : si deux hommes ou deux femmes peuvent se marier et adopter des enfants – au même titre qu’un homme et une femme -, c’est qu’il y a équivalence des situations et indifférenciation entre homme et femme. Il y a une dialectique qui vise à opposer nature et culture ; et même à nier l’existence d’une nature humaine. Cette opposition est trompeuse parce que l’homme est par nature un animal social et culturel ; et sa dimension biologique est articulée à sa dimension culturelle. La nature humaine englobe tout cela. D’autre part, l’idéologie du genre diabolise la notion de stéréotype, attribuant à ce mot une connotation par principe négative, donc à déconstruire. « Stéréotype » est un mot grec qui signifie « modèle fort ». Un modèle fort n’est pas nécessairement négatif, au contraire. Le déficit éducatif actuel révèle le préjudice considérable causé par la chute des modèles forts, par exemple celui du père. Pour ma part, je soutiens qu’il y a de bons stéréotypes. Mais si le mariage gay est un « cache sexe » pour le Gender, il est, peut-être encore davantage, un cheval de Troie redoutable pour le marché des mères porteuses (la GPA). On s’appuie sur ce que l’on nomme « droit des minorités » et « égalité » pour introduire demain l’acceptabilité sociale et culturelle de l’externalisation de la grossesse. Cela ouvrirait un formidable marché de masse pour les firmes. La recherche du profit sans limites est indissociable des nouvelles mœurs de la postmodernité.
Le gouvernement a-t-il été sous l’influence de certains lobbies LGBT qui veulent en finir avec l’hétérosexualité et faire triompher la théorie du genre ?
D’une manière générale, la dissociété postmoderne dissout le politique dans la logique des lobbies. Cela consacre la loi du plus fort. Ultra-minoritaire, le lobby LGBT tire en grande partie sa force des firmes mondiales qui le financent et l’appuient sans relâche. Le militantisme homosexuel est en effet un instrument pour les firmes, comme je viens de l’expliquer pour la GPA. Le patron de Goldman Sachs a expliqué que le mariage gay est un « good business ». Nous avons vu comment les grandes firmes US avaient imposé, via la Cour suprême, le mariage homosexuel à tous les Etats américains en juin 2015. Le lobby LGBT est en quelque sorte un jouet dans les mains du capitalisme globalisé. Les nouvelles mœurs de la dissociété sont consubstantiellement les mœurs de ce capitalisme tardif ; qui n’a plus rien à voir avec le capitalisme entrepreneurial et familial de jadis. Il n’y a aucune contradiction à ce que les révolutionnaires de 68 terminent aujourd’hui dans les bras des puissances d’argent. Et « la souveraineté illimitée de l’individu » jette l’individu – pieds et poings liés – dans les bras du Marché tout-puissant.
En faisant des sujets sociétaux un enjeu majeur de sa politique, le gouvernement n’a-t-il pas plus servi ses propres intérêts que ceux de la communauté homosexuelle ?
L’axe Valls-Macron est, sur de nombreux points, interchangeable avec Juppé, Lemaire ou Sarkozy. Le gouvernement s’accroche donc à ce qu’il juge être des marqueurs de gauche, dits sociétaux. Mais cela n’a de gauche que le nom. D’une part parce que cela fait l’affaire des puissances financières, d’autre part parce que le « sociétal » n’a aucun ancrage dans les classes populaires. Quant au PCF et Mélenchon, c’est en partie parce qu’ils ont rallié les nouvelles mœurs qu’ils n’ont quasiment plus d’électorat ouvrier. Le PCF de Duclos et Marchais aurait probablement combattu le mariage homosexuel et dénoncé « les mœurs décadentes du capitalisme ».
S’il reconnait le mal de la loi Taubira, Nicolas Sarkozy n’aurait pas l’intention finalement d’abroger la loi sur le mariage pour tous s’il revenait à l’Elysée. Le revirement de Nicolas Sarkozy sur la question du mariage homosexuel ne risque-t-il pas de se mettre à dos la partie conservatrice de l’électorat de droite ? Autrement dit, y-a-t-il un pouvoir de nuisance de la MPT sur la droite et sur Sarkozy ?
Oui, La Manif Pour Tous a un pouvoir de nuisance sur les candidats de droite qui ne s’engagent pas pour la famille. Nous l’avons encore constaté aux dernières élections régionales. LMPT fait donc un bon travail. Cependant, Sarkozy ne s’est jamais prononcé sérieusement sur la loi Taubira ni engagé fermement à l’abroger. Pour moi, il n’y a ni surprise ni revirement mais parfaite continuité du personnage. Lors du meeting Sens Commun en 2014, il a acheté « pas cher » – comme il dit – des soutiens et des adhésions UMP, il a fait son marché parmi d’ex-LMPT. Il y a eu mépris de sa part et méprise de la part de ceux qui ont bien voulu y croire. D’une manière générale, je crois que les personnes de tradition socio-politique conservatrice vont comprendre progressivement que la droite qu’ils veulent – libérale au plan économique et conservatrice au plan familial – n’existe pas ou n’existe plus. La défense de la famille ne peut donner de résultat dans un cadre libéral, pour les raisons que j’ai évoquées plus haut. Elle doit s’inscrire dans le cadre d’un combat social et culturel plus large. C’est en rejoignant les préoccupations sociales d’un peuple rudoyé par ce que Laurent Bouvet appelle « l’insécurité culturelle » et par la machinerie économique globale que les défenseurs de la famille trouveront cette surface de contact avec la sociologie des profondeurs du peuple qui leur manque aujourd’hui. Faire ami-ami avec la droite est une illusion. •
Guillaume de Prémare est délégué général d’Ichtus, et ancien président de La manif pour tous. Twitter @g2premare
Tout a fait remarquable analyse! Quel dommage que LMPT ait laissé les medias lui imposer une Frigide Barjot comme figure de proue quand elle disposait de gens de cette qualité!
Quel dommage que Prémare gâche un peu sa conclusion en se rangeant sous la coupe du « libéralisme économique »…
Prémare utilise des tournures un peu compliquées. On pourrait dire : alambiquées. Pour ma part, j’ai compris sa conclusion à l’inverse de Pierre Builly.
j’ai beau relire cette conclusion il me semble qu’il fait le contraire!? Lis-je mal? je vais relire encore,faites -le aussi SVP
Anatole a raison : c’est moi qui ai lu trop rapidement !
Mille excuses.