par Jean-Philippe Chauvin
Ce qu’est la honte et le scandale de la disparition programmée de l’agriculture française, la misère financière et humaine dans laquelle elle est laissée, le drame des millions d’emplois qui y ont été détruits, sacrifiés au dogme du libre-échangisme sans règles ni limites, la perte de substance et de qualité qui s’en suit pour la société française et sa civilisation, tout cela doit être dit et Jean-Philippe Chauvin nous semble avoir particulièrement raison de rappeler les responsabilités de la République dans tout ce sinistre processus. Si l’on veut rechercher les causes premières et les solutions ultimes au problème ainsi posé, on lira l’article de Pierre Boutang que nous reprenons plus loin : « Qui sera le Prince ? » Lafautearousseau
Les agriculteurs bretons sont, une fois de plus, sur les routes de l’Ouest pour défendre leur emploi, tout comme, dimanche 24 janvier, des milliers de personnes étaient à Brest pour la même raison, pour maintenir des emplois, ceux du Crédit Mutuel Arkéa, troisième employeur de la région avec 6.500 salariés, emplois aujourd’hui menacés par un projet de fusion avec la branche de l’Est du Crédit Mutuel que souhaite réaliser la Confédération nationale de ce groupe bancaire : c’est un vent de colère qui souffle à nouveau en Bretagne, et qui pourrait, une fois de plus, décoiffer Marianne…
Il faut être clair : depuis l’été, rien n’a vraiment changé pour le monde agricole, piégé par un système qui demande toujours des prix plus bas aux producteurs alors qu’ils ne rentrent déjà plus dans leurs frais de production. Le gouvernement n’arrive pas à faire entendre raison au monde des transformateurs, eux-mêmes frappés durement par la concurrence déloyale des abattoirs allemands (qui utilisent une main-d’œuvre étrangère à très bas coût, parfois moins de 600 euros mensuels), ni au secteur de la Grande distribution, du moins la partie la plus mondialisée de celle-ci. Le problème n’est-il que français ou européen ? Même pas, car c’est tout le système de la mondialisation qui, en définitive, est vicié, et qui détruit plus d’emplois qu’il n’en crée dans notre pays et dans nos régions. Une mondialisation globale qui n’est plus, désormais, que « la guerre de tous contre tous », au moins sur le plan commercial, économique et social. Cela signifie-t-il que l’internationalisation des échanges était forcément destinée à tourner ainsi ? Peut-être pas, et il me faudra en reparler…
Pour l’heure, la Bretagne souffre, une fois de plus, et elle doit se battre, à nouveau, pour « Vivre, décider et travailler au pays », comme le clamaient, il y a déjà plus de quarante ans, les affiches des militants bretons, y compris des royalistes de la Nouvelle Action Française, solidaires des ouvriers du « Joint français » de Saint-Brieuc en 1972 ou de ceux de l’industrie de la chaussure à Fougères en 1977. Un combat qui pourrait bien rappeler les responsabilités de la République centrale dans les multiples crises sociales qui affectent la Bretagne et, au-delà, notre pays tout entier… •
Pas du tout d’accord ! Les agriculteurs bretons – et beaucoup d’autres – sont tombés, tête baissée, dans le piège de la mondialisation, dont ils ont voulu avoir les avantages (l’ouverture de marchés internationaux) sans avoir les inconvénients (la concentration forcée des exploitations). En d’autres termes, ils sont demeurés bloqués sur leur micro-exploitations, en aucun cas rentables alors que ce sont des fermes dix fois, cent fois plus importantes qu’il leur faudrait pour pouvoir lutter sur les prix avec les méga-fermes d’Allemagne et des pays de l’Est.
Ou alors il aurait fallu basculer vers la haute qualité, le porc haut de gamme. Vous n’entendez pas les producteurs de cochons noirs du Périgord protester : la demande dépasse l’offre…
L’agriculture française doit choisir entre les exploitations industrielles (la ferme des « Mille vaches ») et la qualité. Mais produire, comme en Bretagne, du porc médiocre nourri aux tourteaux de soja (proximité des ports importateurs) , empuantisseur et pollueur de la nature dans des exploitations familiales n’a aucun sens…
L’analyse de Pierre Builly est imparable mais on peut se demander pourquoi le coopérativisme breton, à certains égards exemplaires, n’a pas engendré « la concentration forcée » – pour reprendre l’expression crue de PB ? C’est peut-être naïf mais la coopérative ne peut-elle concilier l’exploitation familiale à la base et la performance à l’exportation ? Peut-on éviter le dilemme ? Je n’en sais rien mais d’un point vue opératoire ne faut-il pas A LA FOIS
1/soutenir la « révolte » bien analysée par J Ph. Chauvin et l’orienter
2/ faire de la pédagogie au sein du mouvement paysan en Bretagne (et ailleurs) pour y faire partager l’analyse de PB
Les deux approches seront portées à la connaissance des syndicalistes agricoles (tant de la coordination rurale que de la confédération paysanne et même de la FNSEA) que nous connaissons. Merci à PB de nous adresser une analyse plus développée.
On se reportera utilement aux articles de M. Leucate (AF2000) qu’aux analyses d’Alexis Arette.
Le problème agricole français me paraît dépasser de beaucoup la question de savoir pourquoi et comment le coopérativisme breton n’a pas réussi.
Pierre Builly a tout dit : « Les agriculteurs (…) sont tombés, tête baissée, dans le piège de la mondialisation ». Par facilité, paresse, cupidité, goût de la subvention, pourrissement par l’assistance. Ils ne s’en dégageront pas par la concentration et le productivisme mondialisé où l’on trouve toujours, par le vaste monde, un plus « concentré » et un moins-disant que soi. Sortir de la spirale consumériste mondialisée, qui induit la baisse indéfinie des prix et de la qualité, produit la malbouffe, le chômage et l’indignité, devrait être, me semble-t-il, la grande ambition des agriculteurs français, mais aussi de l’Etat, si nous en avons un, de sa politique, et des Français dans leur ensemble s’ils sont un tant soit peu attachés à leur art de vivre, leur civilisation, ou tout simplement à ce qu’ils servent sur leur table pour se nourrir, mais pas seulement, et dont il faudrait éviter que cela devienne trop indigne. Il me semble que l’agriculture française ne peut s’en sortir – et, en un sens, nous avec – que par une ambitieuse politique de la qualité et, peut-être, une première intention : celle « d’exporter » d’abord en France, qui devient, en quelque sorte un pays de mission… Le sujet est vaste !