L’ancienne ministre de la Justice publie lundi dernier ses Murmures à la jeunesse. Théophane Le Méné y a lu – pour Figarovox – des mots juxtaposés dans un livre creux. Et, nous a-t-il semblé, sa critique fait mouche. Elle est celle d’une société tendant vers le virtuel où « la paille des mots remplace le grain des choses * ». Ce qui est particulièrement le cas du domaine politique. LFAR
Lorsqu’il faut ajouter de la légende à la légende, on se laisse dire que les œuvres monumentales ont été accouchées dans un sursis que le temps n’a pas même su consigner. Le livre de l’ancienne garde des Sceaux se veut manifestement de cette engeance. Ministre de la Justice puis démissionnaire puis auteur à succès dans la même semaine, il y a quelque chose de christique chez Christine : vouloir reconstruire un sanctuaire en une poignée de jours, en publiant aujourd’hui un texte contre l’extension de la déchéance de nationalité – une mesure pourtant portée par celui qui la fit reine avant qu’elle ne décide de prendre le large.
Mais lorsque la peur des tourments qui poursuivraient jusque dans la tombe se fait prégnante, sûrement faut-il écrire. Alors on déroule des mots pour répondre aux maux. Prenant soin de ne jamais égratigner un président qui dispose tout de même encore du pouvoir de nomination, notamment au Conseil constitutionnel. Déclinant positivement un inventaire sans en avoir l’air. Refusant toute stigmatisation au bénéfice d’amalgames absolument délirants. Dissertant néanmoins sur la question de la déchéance de nationalité avec une exigence remarquable et des arguments intelligibles. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’on a tout dit sur la réelle efficacité de la mesure dès lors que l’on rappelle que les prétendants terroristes entendent se supprimer une fois leurs méfaits commis.
C’est précisément là où le bât blesse dans ce petit opuscule de moins de cent pages. C’est qu’il aurait pu en faire dix. C’est que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. C’est que tout ce qui est sage a déjà été dit et qu’il suffit simplement de le dire encore une fois. C’est qu’à multiplier les adjectifs, l’emphase, à convoquer tour à tour Hugo, Descartes, Montaigne, La Boétie, Weil, Camus, Glissant, Huysmans, Schœlcher, Lamartine, Arago, Clovis en même temps que le général Kellermann, le capitaine Dreyfus puis la chanteuse Barbara, Hemingway, Eluard, Frantz Fanon et Mohamed Ali, Guy Môquet et Danny le Rouge, et bien sûr Aimé Césaire, on finit par ne plus très bien comprendre où l’on va. C’est que l’on ne déplore pas l’absence de transcendance dans la République en célébrant la vacuité du « street art, du slam, des cultures urbaines » et de l’homo festivus « mort au champ de fête ». C’est que l’on ne se lamente pas d’une organisation terroriste qui « se moque des frontières, des langues, des cultures, des ancrages, des parentés, des destinées » lorsque précisément on se réclame de la « mondialité ». C’est que l’on ne prospecte pas les contradictions, c’est que l’on ne fait pas rendre gorge au vide lorsque l’on se plaît à s’entretenir avec lui. Même si les événements nous donnent le sentiment que « rien n’aura plus la légèreté d’une nuit câline s’attardant sous l’été indien » ; même si « l’air a l’air déplacé » ; même si on veut nuancer et affirmer: « On a beaucoup répété que nous étions sidérés. Je crois que nous sommes abasourdis ».
Soyons juste, il faut reconnaître à Christiane Taubira une intelligence, une culture et une verve auxquelles peu de ses pairs ne peuvent prétendre. L’épisode de la Princesse de Clèves, l’évocation de « 1793 » et de « Zadig et Voltaire » en témoignent à jamais. Mais user c’est abuser et la garde des Sceaux ne le sait que trop bien lorsqu’elle prévient, en introduction de ses Murmures à la jeunesse : « Nos mots d’adultes sont de bien pauvres mots. Si binaires, si sommaires. Si pauvres et figés ! Ils crachotent, hésitent, ressassent, radotent et, finalement, ne s’adressent qu’à nous-mêmes. » On songe alors à la scène d’Amadeus dans laquelle Mozart dit à Salieri qu’il y a « trop de notes » sur la partition et l’on murmure à notre tour: « il y a trop de mots ». •
Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire le livre, pardon, le pamphlet de notre ex-Garde des Sceaux mais après ce que vous en relatez et analysez, je me demande si je vais même dépenser les quelques euros qu’il pourrait m’en coûter en librairie. En tous cas, vous écrivez fort bien.. Je me permettrai une correction mais il se peut que je me trompe car la mémoire est parfois fantaisiste. Dans le film Amadeus que j’ai vu il y a des années, il me semble que c’est l’empereur d’Autriche qui fait remarquer à Mozart qu’il y a trop de notes dans sa musique, laissant ce dernier dans sa juvénile ardeur quelque peu interloqué.