Le réel revient au grand galop. Nos politiques y sont confrontés : patrie, nation, frontières, État, voilà à quoi se rattachent les peuples.
L’état d’urgence, décrété par François Hollande après les attentats du 13 novembre en application de la loi du 3 avril 1955, a été voté une première fois par le Parlement les 19 et 20 novembre 2015 à une quasi unanimité pour une prolongation de trois mois, soit jusqu’au 26 février 2016. Le gouvernement, au regard de la situation, se voit dans l’obligation en ce début février d’en demander encore la prorogation jusqu’à la fin mai. Il pense qu’il pourra, à ce moment là, utiliser, le cas échéant, la nouvelle règle constitutionnelle en préparation qui lui évitera les éternelles discussions de la vie démocratique. Christiane Taubira qui était opposée à cette réforme, a démissionné le 27 janvier, laissant le ministère de la Justice à Jean-Jacques Urvoas qui, lui, était déjà totalement impliqué dans la rédaction de la nouvelle loi. C’était une question de cohérence.
L’état d’urgence
On s’en souvient : François Hollande, lors de son discours à Versailles devant le Congrès, avait annoncé sa décision de constitutionnaliser l’état d’urgence pour en faire une arme permanente à la disposition des pouvoirs publics.
Pour faire bonne mesure et obtenir l’approbation nécessaire de la droite à une telle réforme constitutionnelle qui exige l’accord des 3/5e du Congrès, François Hollande avait cru bon de joindre au texte concernant l’état d’urgence, un autre qui visait la déchéance de nationalité des binationaux convaincus de crime terroriste ou, selon l’expression du projet de loi aussi étrange qu’inconnue en droit pénal, « constituant une atteinte grave à la vie de la nation ». Crime ou délit, a-t-il été précisé, ce qui étend le champ des applications de la loi.
Ce faisant, Hollande pensait se rallier une large et suffisante majorité de parlementaires et se gagner l’opinion des Français, acquis dans leur ensemble à ces deux mesures.
Et voilà que tout se complique. Sa gauche se rebiffe une fois de plus. Taubira en sera l’égérie ! Elle l’annonce. Les magistrats et les robins de tous états font entendre un sourd grondement de protestation, car l’autorité judiciaire, à les entendre, serait bafouée dans ses prérogatives : n’est-elle pas constitutionnellement la gardienne de la liberté individuelle ? La Ligue des droits de l’Homme, le Conseil de l’Europe, l’Onu elle-même signifient leur inquiétude.
Le problème de la déchéance de nationalité
Enfin, des gens fort sérieux, de droite comme de gauche, ont fait savoir publiquement leur désaccord. à quoi sert l’état d’urgence, disent les uns ; il y a un arsenal de lois suffisant pour réprimer le terrorisme, sans qu’il soit besoin d’installer le pays dans un état permanent d’effervescence.
Quant à la déchéance de nationalité, disent les autres et quelquefois les mêmes, en ne visant que les binationaux, elle créerait une discrimination inutile entre les Français selon leur origine ; elle n’aurait aucun effet dissuasif sur des criminels décidés à passer à l’acte ; et elle mettrait la France en porte-à-faux dans ses relations internationales.
Les conseillers de l’Élysée et de Matignon, la commission des lois de l’Assemblée nationale, sous la présidence d’Urvoas, ont donc travaillé sur une rédaction qui puisse obtenir la majorité requise. La binationalité et autres questions de citoyenneté seront ainsi renvoyées à des textes d’application. Il est question de « réhabiliter » la peine d’indignité nationale, applicable à tous les citoyens, pour assurer ainsi « l’égalité devant la loi » !
Le président et le Premier ministre sont maintenant, tous les deux, obligés de réussir leur coup. Car, au-delà de toutes ces arguties juridiques, comment ne pas soupçonner une intention électorale en vue des élections présidentielles de 2017 ? Dans tant de débats aussi discordants que superficiels, on joue avec le droit et les mots sans se soucier de la vérité politique.
François Hollande se met à parler de patrie, mot qui lui était parfaitement étranger, à lui comme à ses pairs. Or, à aucun moment dans ses propos, il ne la désigne sous ses traits singuliers ; il est évident qu’il ne la comprend pas, qu’il ne la sent pas ; il n’en communique ni l’amour ni le respect. La patrie pour lui, c’est équivalemment la République, une abstraction, et la République en fait, c’est sa chose à lui ; il se l’est appropriée. Valls a la même conception idéologique et totalement subjective ; il suffit de l’écouter pour savoir que dans son esprit domine une équation de la simplicité radicale d’un fondamentalisme religieux : France = République = Valls !
Ils sont tous pareils, dans le même état d’esprit, à droite, à gauche, au centre. Lisez leur bouquin à chacun, quel qu’en soit le titre : partout le même narcissisme républicain ! L’intelligence, c’est moi ; l’action, c’est moi, l’État fort, c’est moi ; la liberté, c’est moi ; la sincérité, c’est moi… moi, moi, moi ! Pas des hommes d’État, des moi, tous du même acabit.
Patrie et nation
Or la patrie a, d’abord, une signification charnelle : elle est la terre des pères ; elle est un sol, un territoire, un paysage, un patrimoine incorporé aux lieux aimés ; elle parle des générations qui se sont succédé, d’un art de vivre, de la religion, des mœurs et du labeur de nos familles. Bref, tout ce que la République a décidé – et encore récemment – de ne plus connaître, voire de supprimer. Et la nation dit, d’abord, la naissance : c’était vrai déjà dans les acceptions du langage courant dès le XVIe siècle. La nation, avant d’être un contrat, est un fait. Nous appartenons tous à une nation et ce caractère distinctif marque à tout jamais notre origine et, sauf exception, détermine notre avenir. Il est possible, sans doute, de changer de nationalité, de s’insérer dans une autre nation ; encore faut-il le faire en respectant cette donnée de fait qu’est la nation. Il n’est pas besoin d’évoquer Taine, Renan, Barrès, Maurras ou Péguy pour adhérer d’esprit et de cœur à ces claires certitudes, le plus beau partage qui nous soit échu et qui établit en France notre communion historique. Car l’histoire est là, prégnante.
Le grand problème de nos dirigeants, c’est qu’il y a longtemps qu’ils ont jeté cet héritage aux orties. Ils sont internationalistes, mondialistes, européistes. En même temps qu’attachés au jacobinisme d’État le plus archaïque qui justifie leurs prébendes ! D’où leur indifférence profonde pour la paysannerie qui se meurt, pour l’artisanat de chez nous, pour tous les métiers de nos pays, pour nos industries et notre écologie vraie qui est constituée de terroirs, de clochers, de traditions, de populations qui ne sauraient être submergées par l’étranger. Vendre des Rafale et des Airbus, ça ne suffit pas !
Leurs lois s’inscrivent toutes dans la médiocrité d’une défense républicaine et non dans l’élan d’une reconquête française. Comment dans ces conditions avoir une politique intérieure de sécurité et de justice, quand tout n’est plus que clientélisme de parti et de syndicat et quand des banlieues entières, bientôt des villes, telle Calais, sont littéralement abandonnées à cause de leur incurie ? Comment opérer les réformes nécessaires quand l’esprit public est perverti ? La réforme du travail ? Allons donc, un rapport de plus pour le vieux Badinter ! Plus gravement, comment faire la guerre, la soutenir dans la durée, s’obliger au sacrifice nécessaire, quand les moyens sont continuellement rabotés ? Comment mener une politique extérieure quand on ne sait même plus ce que sont les intérêts du pays et quand on renie l’âme de la France ? Comment enfin sauver nos finances quand plus aucune décision souveraine n’est possible qui mette à l’abri des cataclysmes à venir ?
Leur œuvre aboutit au néant, mais ils tiennent la République et sa loi. Ils sont contents ; ils sont comme des enfants gâtés. Ce sera leur joujou jusqu’au bout. •
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