Sébastien Lapaque pose cette question [Le Figaro, 18.02.2016] : « Pourquoi les Français plébiscitent Michel Houellebecq » et il y répond du point de vue de la littérature et des écrivains. Sous l’angle politique – et / ou civilisationnel – son anticipation, en forme de roman, d’une situation politique qui pourrait devenir celle de la France, peut aussi être considérée comme une sorte de satire, de mise en garde ou d’alarme. Ce roman nous paraît avoir aussi joué ce rôle. LFAR
Soumission est le roman qui s’est le mieux vendu en France en 2015. L’écrivain ne laisse personne indifférent et ses œuvres sont traduites dans de nombreuses langues.
Enfin une bonne nouvelle. D’après les statistiques de quelques spécialistes du marché de l’édition, penchés sur les livres comme d’autres le sont sur les canassons, Soumission, de Michel Houellebecq, est le roman qui s’est le mieux vendu en France en 2015. 590.000 exemplaires, nous jure-t-on. Sans compter les ventes en Belgique et en Suisse… Qu’en dit-on à Bruxelles et Genève ? Michel Houellebecq devant Fred Vargas, Guillaume Musso et Marc Lévy. Un écrivain devant les écrivants.
L’année 2015 avait pourtant mal commencé, avec une tuerie islamiste à Charlie Hebdo qui arracha à notre affection l’économiste dissident Bernard Maris et quelques dessinateurs insignes. Aucune origine n’est belle, jurait un écrivain provençal. Grâce à Dieu, la fin de l’an 2015 a été consolatrice, avec une statistique admirable : Houellebecq seul en tête. Cet honneur et cet avantage ne sont pas fortuits. Dans Soumission, bon livre qui n’est pas son meilleur roman selon notre cœur (notre faveur va à Extension du domaine de la lutte et à La Carte et le Territoire), l’auteur de Rester vivant ne raconte pas l’histoire de la marquise qui sortit à cinq heures mais celle de la prise du pouvoir en France d’un parti musulman au terme de l’élection présidentielle de 2022. Avec l’aide de François Bayrou, de surcroît : je ne critique pas le côté farce, mais pour le fair-play, il y aurait quand même à dire… Chacun est libre de recevoir à sa guise les prédictions de l’écrivain. Quelque chose nous laisse penser qu’il faut se méfier des dons divinatoires des imaginatifs. Attention aux yeux, ça brûle !… Il y a toujours quelque chose de révélateur dans l’improbable augure d’un romancier qui voit ce que l’homme a cru voir. C’est un prophète, du grec prophanai: celui qui rend visible la parole.
« Un sismographe hyperémotif »
À lire Demain est écrit, de Pierre Bayard (Minuit, 2005), personne ne jurerait que c’est un concours de circonstances qui a fait coïncider la parution de Soumission et l’attaque terroriste de Charlie Hebdo – avec la mort de Bernard Maris, qui venait de publier Houellebecq économiste (Flammarion, 2014). Cet événement est l’essence même de la littérature. Et c’est ainsi que Michel Houellebecq est grand. « On peut en effet supposer que les textes littéraires entretiennent une relation de proximité particulière avec le fantasme et qu’ils sont ainsi porteurs de ses lignes de faîte, avant même qu’il vienne s’incarner dans la réalité », écrit Pierre Bayard. Michel Houellebecq est l’exemple le plus frappant d’un écrivain ayant trouvé son inspiration la plus authentique dans un événement qui allait lui succéder. Aucune surprise pour ceux qui le lisent depuis toujours. Avec Marcel Proust, il donne tort à ceux qui pensent qu’un grand romancier ne doit pas être intelligent. Au contraire. Trop sensible, trop intelligent : de cette rencontre surgissent des merveilles. L’auteur de La Poursuite du bonheur (La Différence 1991) est un sismographe hyperémotif capable de voir venir les tremblements de terre avec deux siècles d’avance.
Au-delà de nos frontières
Clown blanc d’un genre très particulier, Houellebecq est un écrivain qu’il faut savoir bien lire pour bien l’entendre. Comme Georges Bernanos, il émeut d’amitié ou de colère, mais ne laisse personne indifférent. On l’aime ou on le hait. Avouons ici notre point de vue. Nous l’aimons. Parce que Houellebecq, c’est beaucoup plus que Houellebecq. Pour ceux qui voyagent un peu dans le monde, à Berlin, à Milan, à New York, à São Paulo, à Mexico, à Pékin ou à Sidney, il est celui qui a remis en marche le compteur arrêté à Sartre et Camus. Pardon pour Le Clezio et Modiano, mais, au-delà de nos frontières, l’écrivain français d’aujourd’hui, dans toutes les langues du monde, c’est Houellebecq ; pardon pour Manuel Valls, qui a cru pouvoir (un mot qu’il adore) dissuader les Français de lire Soumission en s’improvisant critique littéraire, prouvant qu’il n’avait aucun point commun avec son supposé maître Georges Clemenceau, ami de l’art et des artistes. « La France, ça n’est pas Michel Houellebecq, ça n’est pas l’intolérance, la haine, la peur. » Et ta sœur ?
Promenez-vous dans le monde, entretenez-vous avec les écrivains, les artistes et les individus qui sont la grâce et l’âme de leur pays. La France, c’est Houellebecq. •
Les époques de crise profonde font surgir les écrivains prophétiques qui annonceront l’avenir dans des romans prémonitoires. On a eu Orwell, on a eu (on a toujours) Raspail et son Camp des Saints et on a Houellebecq avec Soumission. Et bien sûr, ils font hurler la meute de ceux qui ne veulent pas voir. Surtout parce qu’en acceptant de voir, ils devraient se reconnaître coupables.