La nouvelle grande mosquée d’Alger, Djamaa El Djazaïr en construction
C’est un entretien d’un très grand intérêt avec Boualem Sansal qu’Alexandre Devecchio a publié dans Figarovox, le 23.02. Ce n’est pas que nous fassions totale confiance à Boualem Sansal. Publier les réflexions d’un auteur, d’un intellectuel, ce n’est ni faire son éloge, ni, nécessairement prendre son propos pour parole d’Evangile. Nous savons, en outre que Sansal est une personnalité ambiguë. Et qu’il ne cesse pas d’être une énigme, même pour de fins connaisseurs des pays d’Afrique du Nord. Mais il s’agit ici du devenir de l’Algérie, bombe à retardement, inquiétante à plus d’un titre. Et au premier chef pour la France qu’une explosion du système algérien menacerait de façon sans doute gravissime. Nous avons dit, ici, à plusieurs reprises, notre inquiétude face à cette menace à laquelle il paraît assez clair que la France ni l’Europe ne se préparent. C’est ce dont Sansal traite ici et nous conseillons de le lire, certes avec esprit critique, mais aussi avec une véritable attention. Lafautearousseau
Dans son roman d’anticipation 2084, le grand écrivain algérien imaginait un monde dominé par l’islam radical. Il se montre tout aussi pessimiste pour l’avenir de l’Algérie.
LE FIGARO – Alors que le président Bouteflika reste très affaibli, l’Algérie est confrontée à un début de crise économique…
Boualem SANSAL – Bouteflika, pendant ses seize années de règne, a acheté la paix sociale en faisant vivre les Algériens au-dessus de leurs moyens sans même avoir besoin de travailler. Cette gestion financière et psychologique catastrophique pourrait déboucher sur une crise multidimensionnelle à la fois économique, politique et religieuse. Les journaux n’en parlent pas, mais il faut savoir qu’il y a des émeutes quotidiennes en Algérie. La seule réponse du pouvoir est d’« arroser » la population. Pour l’instant, celle-ci en profite. Mais la manne n’est pas infinie. Que se passera-t-il lorsque celle-ci sera épuisée ?
En cas d’aggravation de la crise, comment le pouvoir peut-il réagir ?
Ma conviction est que le pouvoir est indestructible. Il résistera à tout parce qu’il n’hésitera pas à réprimer avec violence comme le fait Bachar el-Assad en Syrie. S’il se sent débordé, il fera tirer sur la population. Si cela ne suffit pas, il internationalisera l’affaire en y mêlant les islamistes. Le problème politique sera transformé en problème religieux et exporté hors des frontières algériennes jusqu’en Europe, et singulièrement en France. Le scénario d’une escalade de la terreur sur le modèle syrien me paraît tout à fait crédible.
L’Algérie peut-elle être également menacée par Daech ?
Les islamistes étrangers, ceux de Daech ou d’al-Qaida, sont en embuscade. Mais il faut aussi compter avec les islamistes algériens. Ces derniers ont fait un deal avec le pouvoir. Ils partagent avec l’État la rente pétrolière et sont introduits dans les rouages de l’administration: certains islamistes sont députés ou ministres. En parallèle, ils investissent le domaine culturel et social. Le terrain économique leur permet également de « faire beaucoup d’argent» avec l’Arabie saoudite, Dubaï ou la Turquie. Cela participe à l’internationale islamiste comme à la reconstitution de leurs forces en Algérie. Bouteflika leur a cédé la « gestion » du peuple. Dans les petites villes et les villages, ils sont maîtres du jeu et font régner leurs règles théocratiques terrifiantes. Ces seize dernières années, il s’est construit plus de mosquées dans le pays que durant tout le siècle dernier.
Justement, que pensez-vous de la construction de la nouvelle grande mosquée d’Alger, Djamaa El Djazaïr ?
D’abord, cela traduit la stratégie d’équilibre des pouvoirs de Bouteflika. Pour ne pas être totalement dépendant des militaires, il a ouvert la porte aux islamistes. La future grande mosquée d’Alger est un gage donné à ces derniers. Le gigantisme du projet traduit également la mégalomanie de Bouteflika. C’est pour lui, une manière de marquer l’Histoire, quitte à livrer le pays aux fondamentalistes.
La guerre civile algérienne peut-elle faire son retour ?
Le chaos est presque inéluctable. Bouteflika a fait le vide politique autour de lui et beaucoup vont prétendre à sa succession. Les islamistes voudront gouverner au nom de l’islam. Les militaires, humiliés durant son règne, voudront prendre leur revanche. Il y a aussi une oligarchie économique et financière avide et insatiable qui gouverne par le truchement de Saïd Bouteflika, frère cadet du chef de l’État. Ce contexte d’éclatement général ouvre la porte à toutes les aventures. La Kabylie, qui est marginalisée et persécutée, pourrait être tentée par une proclamation d’indépendance. Le Sud est dans une situation explosive, avec des tensions séparatistes notamment chez les Touaregs. Et, en ce moment même, la région du Mzab est le théâtre de guerres tribales. Enfin, la question de la jeunesse est préoccupante. Les jeunes représentent 35 à 40 % de la population et ne sont la clientèle ni des uns, ni des autres. Quel sera le comportement de ces électrons libres dans une situation où tous les grands verrous vont sauter ? Si tous ces mouvements coagulent, il y aura un printemps algérien sur fond de vengeance et de ressentiment. Celui-ci sera suivi d’un hiver islamiste.
Quelles peuvent être les conséquences d’une explosion sur l’Europe ?
L’Occident a perdu son influence et n’a plus de politique à l’égard du monde arabe. Sur la défensive, il ne peut que subir. S’il y a une explosion de l’Algérie, le Maroc et la Tunisie seront déstabilisés. L’Europe sera confrontée à un mouvement migratoire de masse qu’elle ne pourra pas maîtriser. Le problème de Calais apparaîtra bien minuscule en comparaison.
Dans 2084, vous allez jusqu’à décrire un empire islamiste mondial…
Depuis les indépendances, la religion musulmane ne cesse de s’affirmer. La seule force profondément installée dans la société arabo-musulmane est la religion. Le mouvement islamiste au sens large occupe l’espace et empêche l’émergence de toute autre idéologie. Il y a, certes, une compétition entre islam salafiste et islam traditionnel, entre chiites et sunnites. Cependant, on constate aujourd’hui que les différences s’estompent à l’intérieur du monde sunnite tandis que la confrontation a lieu entre chiites et sunnites. Mais, là aussi, des alliances stratégiques se nouent. Peu à peu, le monde musulman se reconstruit et retrouve ses ambitions premières et sa volonté hégémonique. La frontière avec l’Occident commence à être abolie puisque maintenant l’islam politique s’ouvre des espaces à Londres, à Paris et à Bruxelles. On peut imaginer que dans trente ans l’islam gouvernera l’ensemble du monde musulman qu’il aura unifié. Dans soixante ans, il partira à la conquête de la civilisation occidentale. •
Entretien par Alexandre Devecchio
Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Twitter : @AlexDevecchio
Ambigu, Boualem ? Diantre.
S’il était catégorique, que dirait-il de plus, et comment le dirait-il plus clairement ?
Trés juste! Le discours de Sansal est trés clair et d’une justesse imparable. Sauf a la fin :l’Islam est DEJA parti a la conquete de la civilisation occidentale avec le soutien d’une »cinquième colonne » politique,médiatique et culturelle qui detient l’essentiel du pouvoir.et l’exerce au profit des maitres dont il a accepté,voire applaudi la domination future(YannMoix,Sarkozy/Qatar entre autres), meme si en son sein quelques « traitres » ont fait defection ,ebranlant son hégémonie jusqu’ici écrasante (Houellebecq,Onfray,Finkielkraut) et si une resistance se fait jour ,a la fois dans le Peuple et dans les élites. On y trouve ainsi,au premier rang,le Séfarade Zemmour et la Beur Malika Sorel……..une vraie coalition de racistes…..
Le personnage Sansal est « ambigu »? Du temps ou les Pieds Noirs comme moi exercaient leur effroyable oppression sur le malheureux peuple algerien ils disaient (avec l’accent) : »une histoire arabe ,c’est une histoire que quand il a fini de te l’expliquer tu la comprends moins bien que quand il a commencé….. ». Sansal EST une histoire arabe,mais son propos non……..
Fin 2015 l’Ambassadeur de France en Algérie s’était félicité dans la presse algerienne de la modernisation informatique de ses services qui allaient permettre de delivrer 300000 visas par an. Avec la catastrophe algerienneue ce seront seulement des touristes ,on vous le jure,avec l’Islam renaissant et conquerant pour Loi et au coeur les paroles violemment anti-françaises de l’hymne algerien……Youpi!