Ancien membre du cabinet de l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali, Paul-Marie Coûteaux* rend hommage à l’intellectuel francophile que fut cet ancien secrétaire général de l’ONU, dans une intéressante tribune pour Figarovox.[26.02]. On pourra en discuter certains points et, sans-doute, en apprécier le fond. LFAR
Après tant et tant de voyages, de combats et d’épreuves, Boutros Boutros-Ghali eut l’ultime consolation de mourir au Caire, dans son pays, parmi les siens ; malgré les atteintes de l’âge, il était toujours, à 94 ans, débordant d’esprit, de cœur et d’un goût insatiable pour le travail, qui firent de ce grand scribe d’apparence frêle et d’une impeccable élégance, une personnalité connue et respectée dans le monde entier, en particulier dans l’univers francophone, en France et bien entendu en Egypte.
Copte (ce mot, désignant les Chrétiens d’Egypte veut dire en fait Egyptien – en grec Aeguptios), il eut pour grand père un Premier ministre (Pacha) qui, seul de ses coreligionnaires à occuper de si hautes fonctions, se signala par sa francophilie, introduisant notamment des pans entiers du code civil français dans la législation égyptienne avant d’être assassiné par un fanatique musulman ; son père, Youssef, élevé chez les dominicains de Sorèze, appartenait à cette génération où, en signe d’indépendance, on s’adressait au mandataire anglais en français. Boutros fit des études de droit, en bonne partie à Paris, avant de devenir professeur d’université puis ministre d’Etat aux Affaires étrangères sous la présidence d’Anouar El Sadate qu’il aida à mener une politique de paix avec Israël, enfin vice-Premier ministre. En 1991, le soutien des pays non alignés qui appréciaient qu’il se soit fait, de conférences internationales en colloques de juristes, le chantre d’un monde bipolaire, celui de la plupart des pays d’Afrique et de la France lui valurent d’être élu Secrétaire général des Nations Unies ; ceci à la barbe des Anglo-Saxons, pris par surprise grâce à l’habilité d’une diplomatie française plus vigilante qu’on ne croit – et notamment à l’action de l’ambassadeur de France Alain Dejammet. Après un mandat ambitieux mais tumultueux au cours duquel, profitant de la fin de la guerre froide qui l’avait longtemps bloquée, il tenta de donner à l’Organisation universelle un rôle conforme à sa Charte, et après s’être heurté à de multiples reprises à la politique de Washington et son intraitable ambassadrice Madeleine Albright, il fut le seul Secrétaire général auquel un second mandat fut refusé : en 1996, alors que 14 des 15 membres du Conseil de Sécurité votèrent pour sa réélection, un contestable véto états-unien en décida ainsi.
A 75 ans, cet infatigable travailleur que les distractions ne distrayaient guère, ne posa pas pour autant son sac : élu en octobre 1997 Secrétaire général de l’Organisation de la Francophonie, organisation trop mal connue qui pourrait jouer un grand rôle si seulement la France la prenait (et se prenait elle-même) au sérieux, il s’attacha à en faire un ensemble politique capable de faire entendre sur la scène internationale, en une autre langue, une autre voix. C’était le prolongement naturel et l’on pourrait dire familial d’une des missions qu’il se donna à l’ONU qu’il voulut arracher à l’unilinguisme – pour avoir eu l’honneur d’être sa plume à New-York, où il s’appliquait, à la différence de biens des officiels français, à parler « dans l’autre langue de travail » aussi souvent qu’il le put, je témoigne que cet engagement faisait plus que grincer les dents locales… Sur l’enjeu de la bataille linguistique dont j’ai alors vu chaque jour l’acuité, l’Egyptien avait dit l’essentiel à l’écrivain Peroncel-Hugoz : « Le français est la langue du non-alignement ».
Il est regrettable que la France, déplorablement peu représentée à ses obsèques le 18 février, ne se soit pas davantage associée au touchant hommage que lui rendit une Egypte arrachée à la dictature islamiste soutenue par les Etats-Unis et actuellement remise sur sa voie nationale par le général Sissi. Car c’est sans nul doute la grandeur d’un personnage que tout, l’héritage familial, la stature de grand juriste international et la culture très parisienne prédisposaient à incarner une troisième voie, celle du « tout politique » opposée à la fois au « tout religieux » et au « tout marché » dont les excès conjugués mettent le feu à la terre entière – troisième voie qui est aujourd’hui tout l’enjeu de la francophonie et serait, si elle le voulait encore, la mission de la France dans le monde. Copte, il éprouva très tôt le fanatisme religieux, que seuls contiennent la raison, la démocratie et le droit. Juriste, fait professeur honoris causa par 18 universités sur quatre continents (aucune aux Etats-Unis), il crut au droit pour régler les relations entre les nations. Dans un mémorable discours prononcé non sans audace au Québec en 1992, il affirma que les souverainetés nationales (protégées, mais aussi coordonnées, pour ce qui dépasse leurs marges d’action, par une Organisation universelle, et par ce qu’il nommait « les ententes régionales », sujet de sa thèse) demeuraient la pierre angulaire d’un monde en ordre, et autant que possible en paix : on le vit dans le grave épisode de l’établissement de relations diplomatiques avec Israël, qu’il relate dans un de ses livres, « Le Chemin de Jérusalem » où l’on voit sa confiance, que nous avons bien tort d’avoir perdue, en une solution politique au conflit israëlo-arabe, contre les divers faucons et les fondamentalismes, deux fanatismes qui ne sont qu’apparemment des adversaires. Penseur, mais aussi artisan infatigable de l’équilibre mondial qui le porta à défendre sur toutes les scènes le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sans peur d’affronter droit dans les yeux la super-puissance, il fut une sorte de gaulliste mondial. Sur cet immense et multiforme effort pour humaniser le monde, lisons la très complète biographie que lui a consacrée l’an dernier Alain Dejammet (éd. Alain Bonnier), et saluons la mémoire d’un vieux scribe égyptien qui fut l’une des plus belles incarnations du rêve français. •
Paul-Marie Coûteaux est directeur des Cahiers de l’Indépendance. Il fut le conseiller de Boutros Boutros-Ghali de 1991 à 1993.
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