Manifestation à Nantes contre la loi Travail |17.03] Crédits photo : LOIC VENANCE/AFP
Par Alexandre Devecchio
Au-delà des cortèges de l’UNEF, Alexandre Devecchio voit une nouvelle génération conservatrice émerger. Elle ne veut pas changer le monde, mais empêcher qu’il se défasse. Conservatrice, est-ce le mot juste ? On sait qu’il commence mal et que du monde de la postmodernité il n’y a plus grand chose à conserver. Mais au delà des mots, il y a les choses mêmes, les réalités, les aspirations de la jeunesse dont traite ici Alexandre Devecchio. Où elle peut se reconnaître. LFAR
Les jeunes sont-ils devenus des « vieux cons » ? Une fois n’est pas coutume, François Fillon et Nicolas Sarkozy sont d’accord sur ce point. Les moins de 20 ans, en particulier ceux qui se mobilisent contre la loi Travail, seraient déjà « conservateurs ». Dans la bouche des anciens président de la République et premier ministre, l’adjectif sonne comme un « gros mot », voire une injure.
« Tous dans la rue pour que rien ne bouge : voilà le message de ces conservateurs qui n’ont pourtant pas encore 20 ans », raille le député de Paris. « Les lycéens sont au mieux une marge de manœuvre utilisée par des conservateurs qui plongent le pays dans une crise dont il ne se redressera pas », persifle le patron des Républicains. Voir deux des principaux représentants de la droite française fustiger ainsi «le conservatisme » est pour le moins paradoxal. Cependant, sans le vouloir, les deux hommes mettent le doigt sur une vérité profonde de l’époque. Oui, une partie non négligeable de la jeunesse devient « conservatrice ».
Tandis que les politiques contemporains de gauche comme de droite, enfants de Mai 68, sont majoritairement acquis à l’idéologie libérale-libertaire, les enfants de Fukuyama rêvent d’un retour du vieux monde. Le monde nouveau dont ils ont hérité n’est pas celui de la fin de l’Histoire et de la globalisation heureuse, mais celui de l’identité malheureuse, de la crise, de l’indifférenciation et du terrorisme. Ils sont en quête de repères, de racines et de limites. Comme l’écrivain George Orwell, quand on leur présente quelque chose comme un progrès, ils se demandent avant tout s’il les rend plus humains ou moins humains. Certes, une certaine jeunesse ultraconnectée et privilégiée, celle qui anime la « Macronmania », s’épanouit dans un univers globalisé. Mais ils ne forment qu’une minorité. Et depuis un vendredi sanglant de novembre 2015, eux aussi savent que l’Histoire est tragique.
Le lien avec la jeunesse est rompu
Ce conservatisme nouveau prend différentes formes. Sur le plan économique, au-delà du militantisme professionnel des apparatchiks de l’Unef et des traditionnelles foucades lycéennes aux premiers rayons de soleil, la mobilisation contre la loi El Khomri traduit le réel malaise d’une jeunesse précarisée. Cette génération pigeon, endettée dès la naissance, en a assez des stages, des CDD et des chambres de bonne. Elle ne veut plus vivre dans la peur du lendemain. « Justement, cette loi travail rendra plus facile d’accès le CDI et relancera l’emploi des jeunes », assurent la bouche en cœur les « élites » politiques dirigeantes. Peut-être, mais le lien avec la jeunesse est rompu.
Dans la France périphérique, l’angoisse économique se double d’une insécurité culturelle. La nouvelle génération n’a pas connu les usines de ses parents, mais veut préserver ce qui lui reste : son identité. Elle rêve de rétablir les frontières et de rebâtir l’État-nation. Cette jeunesse-là n’emmerde plus le FN, mais le plébiscite à chaque nouvelle élection. Enfin, une troisième jeunesse qui a notamment peuplé les rangs de la Manif pour tous, se bat pour préserver la vie dans un futur qui s’annonce digne du Meilleur des mondes. À l’heure du transhumanisme et de l’intelligence artificielle, elle considère que le progressisme est devenu fou. Cette jeunesse prône l’écologie intégrale et veut retrouver le sens des limites.
Au sens où l’entendait Albert Camus, cette génération est bien conservatrice. Elle sait qu’elle ne refera pas le monde, mais sa tâche consiste « à empêcher qu’il se défasse ». •
Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro en charge du FigaroVox. Chaque semaine, il y observe le mouvement des idées. Passionné par le cinéma, la politique et les questions liées aux banlieues et à l’intégration, il a été chroniqueur au Bondy blog. Il est également co-fondateur du Comité Orwell. Retrouvez-le sur son compte twitter @AlexDevecchio
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