Adieu mademoiselle, la défaite des femmes est un brûlot antiféministe qui se place sous la tutelle protectrice de la compagne de Jean-Paul Sartre. Audacieux, mais non dénué de contradiction, selon Zemmour, qui oppose à Eugénie Bastié, sa propre analyse. Laquelle n’est pas non plus dénuée de justes arguments [Figarovox du 6.04]. Controverse ? Pourquoi pas ? Une raison de plus de lire au plus tôt le livre d’Eugénie Bastié ! LFAR
Tout a été déjà écrit. Chaque nouvelle génération doit affronter cette loi d’airain. Et il faut un mélange d’audace et de présomption pour ajouter quand même son propre texte sur la pile. Eugénie Bastié ne manque ni de l’une ni de l’autre. Cette jeune femme a donc choisi d’inscrire son nom sur la liste – déjà longue – des féministes critiques. La tâche est aisée : les femmes peuvent seules critiquer le féminisme – mais la voie est encombrée : de l’inconvénient d’être née à la fin du XXe siècle.
Bastié rejette les Femen, la théorie du genre, Judith Butler et Éric Fassin, le mariage pour tous, la PMA, la GPA. Elle dénonce un « féminisme dévoyé » dont « l’horizon n’est plus l’égalité des droits, mais l’interchangeabilité des êtres », qui planifie la « déconstruction des identités » et pense « la différence comme une discrimination ». Cet ancien « garçon manqué » chante la joie d’être une « fille réussie ». Elle écrit ses plus belles pages pour repousser l’existence d’un « droit à l’avortement ». Elle s’inscrit dans la lignée des Élisabeth Badinter ou Sylviane Agacinski, auxquelles elle ajoute une pincée bienvenue de christianisme. Elle retrouve la pertinence de leurs analyses mais n’évite nullement l’écueil de leurs contradictions.
Elle ouvre son livre sur un hommage appuyé à Simone de Beauvoir. Notre auteur fait allégeance à l’icône : « Le lecteur sera-t-il tenté de jeter le bébé féministe avec l’eau de ce néoféminisme dévoyé. Il aurait tort de céder à cette mauvaise tentation… Est-il encore possible, en 2016, de se dire féministe en Occident ? L’ambition du présent essai est de montrer pourquoi et comment on peut répondre par la positive à chacune de ces questions. »
Sauf qu’elle n’y parvient pas. Elle fait avec le féminisme ce que les apôtres du « padamalgam » font avec l’islam, et ce que les compagnons de route du communisme ont fait avec le marxisme. Et c’est le même échec. Comme tout l’islam est dans le Coran, et tout le communisme dans Marx, tout le féminisme est dans Beauvoir, bon ou mauvais. Beauvoir est à Butler ce que Lénine fut à Staline, ou le Mahomet de La Mecque au Mahomet de Médine : un paravent rhétorique, un rideau de fumée, un pieux mensonge. Eugénie Bastié elle-même passe son temps à nous en fournir les preuves les plus accablantes. Tout le monde connaît le célèbre « On ne naît pas femme, on le devient » ; mais on évoque moins le « Je rêvais d’être ma propre cause et ma propre fin ». Et pourtant, ces deux phrases fondent la théorie du genre et autres queer theory de Judith Butler. Si on devient femme, comment ne pas le devenir ? Étape suivante, logique, irrécusable. Et déjà prévue par Beauvoir elle-même, qui avait bien compris que la spécificité féminine – celle dont tout découlait – était bien sûr la maternité : « son malheur, disait-elle en parlant de la femme, c’est d’avoir été biologiquement vouée à répéter la vie ». C’est pour cette raison qu’elle refusa d’avoir un enfant et n’a jamais caché son mépris pour « les pondeuses ».
Tout le reste est aussi dans Beauvoir : l’alliance des féministes avec les mouvements antiracistes naît dans la fascination de la compagne de Sartre pour le FLN et les Noirs américains. Une fascination qui a amené ces héritières au déni de Cologne! C’est le mâle blanc hétérosexuel qui est leur ennemi commun. Leur cible à abattre. Qui fut aussi le fondement de l’autre alliance décisive, celle des années 1970, entre les mouvements féministes et homosexuels. Et qui finira de la même façon en piège intégral, comme s’en lamente notre auteur : « Objectivement, femmes et homosexuels n’ont pas les mêmes intérêts… En faisant de la maîtrise des corps le critère de la libération, il (le féminisme) a désigné le corps féminin comme terrain d’expérimentation et futur cobaye. » Mais qui a défilé en criant « mon corps m’appartient » ? Qui s’est battu pour le droit au divorce, considéré comme une liberté pour les femmes ? « Les femmes sont les premières victimes de la dislocation de la famille occidentale. Ce sont les pères qui fuient. Ce sont elles qui restent seules à éduquer les enfants. Le droit a comme un arrière-goût amer. » Un goût de répudiation.
Un faux progrès qui se paye cher
C’était écrit d’avance. Le féminisme est un libéralisme qui ramène la gauche à ses sources. Il exalte l’individu et le contrat, au détriment de la famille et de la nation. C’est un faux progrès qui se paye cher. Par les femmes et les hommes. N’en déplaise à notre auteur, c’est Houellebecq qui a raison : la conversion à l’islam a pour source première la volonté des jeunes hommes de retrouver une virilité et une domination ruinées par quarante ans de féminisme. Au contraire de ce que pense Eugénie Bastié, nous subissons une féminisation de la société, qui s’affirme dans ses valeurs les plus sacrées : pacifisme, principe de précaution, négociation, consultation, psychologisation, hiérarchie délégitimée. Et dans les comportements de ces hommes occidentaux qui refusent de se battre, assument leurs sentiments et laissent couler leurs larmes, et préfèrent allumer des bougies et « refuser la haine » plutôt que de venger leurs femmes ou leurs enfants massacrés par les djihadistes.
Notre auteur touche juste lorsqu’elle pointe: « Le féminisme est devenu le refuge du nouvel ordre moral » ; mais elle ignore qu’il en a toujours été ainsi. Elle vante la féministe à l’ancienne George Sand ; mais on lui rappellera ce qu’en disait Baudelaire : « La femme Sand est le Prudhomme de l’immoralité. Elle a toujours été moraliste. Seulement elle faisait autrefois de la contre-morale. » Elle compare les obsessions grammaticales des féministes à la « novlangue » dans 1984 d’Orwell ; mais les femmes savantes de Molière contrôlaient déjà le langage de ces malotrus de mâles. « J’entends le rire de Beauvoir, et c’est à lui que je dédie ces pages », nous avait-elle lancé en guise de défi au début de son livre. À la fin, malgré ses tentatives talentueuses et culottées, elle a perdu son pari ; et j’entends le rire de Molière, le rire de Baudelaire, le rire de Bossuet, et son fameux rire de Dieu qui rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ; et c’est à eux que je dédie cet article. •
Adieu mademoiselle, la défaite des femmes, Eugénie Bastié, Éditions du Cerf, 220 p., 19 €.
Le «mystère des mystère» dira le socialiste Proudhon : «Je ne peux être ni spiritualiste, ni matérialiste, ni athée, ni humanitaire; et quand j’ai chassé tous ces mysticismes, je me trouve aux prises avec un mysticisme plus grand; la justice est le mystère des mystères.» (Carnets inédits. «Nova et vetera» 1934)
« » un faux progrés qui se paie cher » voilà qui est bien résumé et sans fioritures.
Le progrès pour les femmes c’est la » permission » d’accéder aux professions à tous les niveaux et celui de pouvoir engendrer quand elles choisisent .. , la facture c’est de perdre le respect l’aide et la protection que le plus fort doit au plus faible en oubliant amour courtois et galanterie . On ne peut pas tout avoir.
Maintenant que dans une société moderne on donne les mêmes droits à tous les citoyens ce n’est que justice et que les femmes se battent pour exister et s’affirmer qui peut les en blâmer ?
Mal compris mal digérés , les « droits des femmes » ont éffacé les « devoirs des hommes » et castrés certains. Toute la question est de savoir si le jeu en valait la chandelle. Oui pour certaines .. et non pour madame Bastié . « Fausse route » a dit E. Badinter
. Comme toujours le bon sens est dans la mesure.
Belle référence au vieux Proudhon. Si sa pensée avait prévalu sur celle de Marx, le XXe siècle n’aurait peut-être pas été un siècle d’hotreurs.
La femme à tous égards était plus libre au Moyen Age ou à la Renaissance, qu’elle ne le fut à l’époque de la révolution industrielle et du capitalisme naissant.