Le Printemps républicain a été lancé le 20 mars à Paris. Pour Vincent Coussedière, la souveraineté ne suffit pas à définir une République, laquelle réside dans la légitimité populaire |Figarovox – 8.04]. Une autre façon, en fait, de contester cette république idéologique qu’est spécifiquement la république française et ses non moins idéologiques valeurs. Une autre façon, aussi, de réaffirmer la prééminence de la nation sur tel ou tel régime particulier et celle de son peuple défini par son histoire, par ses mœurs et par l’attachement qu’il leur porte. Ainsi se fonde en effet une souveraineté légitime, aujourd’hui perdue. Faut-il l’incarner par l’élection ? Son arithmétique barbare, les divisions qu’elle creuse entre Français, les ambitions qu’elle remue, l’espace qu’elle ouvre tout grand à l’interventionnisme des puissances d’argent, la démagogie avilissante à laquelle elle conduit les candidats, la négation qu’elle perpétue de toute pérennité et de toute transcendance du Pouvoir, qu’elle rend ainsi éphémère et terriblement faible, la disqualifient, selon nous, comme mode de désignation du Chef de l’Etat. Il n’est pas sûr que – sans envisager encore le recours monarchique auquel nous pensons – nombre d’esprits qui réfléchissent sur le malaise de notre démocratie n’en soient pas déjà arrivés à ce type d’analyse et de conclusion. Lafautearousseau
Un refrain bien connu commence d’être entonné à l’approche des élections présidentielles, une chanson douce qui vient bercer les rêves de nos intellectuels. Une fois encore, on nous fait le coup du retour à la République et à ses fondamentaux. Jean-Pierre Chevènement est invité sur tous les plateaux de télévision, on le consulte pour savoir qui sera son « successeur ». L’hebdomadaire Marianne propose sa énième pétition pour refonder la république et la laïcité. On nous annonce un « printemps républicain », réunissant intellectuels et acteurs de la société civile, bien décidés à peser à gauche sur l’élection de 2017.
Soit, mais comment nos républicains entendent-ils reconstruire cette fameuse laïcité qu’ils présentent comme un « ciment » seul capable de faire de nouveau « vivre ensemble » les Français ? Possèdent-ils la formule chimique de cette laïcité qui apparaît de plus en plus comme une potion magique apte à faire renaître le village d’Astérix ? En réalité les ingrédients de cette formule restent toujours les mêmes depuis que le druide du républicanisme français, Jean-Pierre Chevènement, les a formulés dans les années 80 : l’État, la Loi, l’Ecole. Ces trois ingrédients, à condition d’être habilement dosés, constituent la potion magique républicaine. Chacun peut alors se presser autour du chaudron pour s’en abreuver : l’enfant comme la femme, l’étranger comme l’autochtone, le gouvernant comme le gouverné, il subira alors la transmutation magique et deviendra un invincible citoyen.
Si par malheur un esprit chagrin s’aventurait à faire remarquer à nos sympathiques républicains que l’État, la Loi, l’Ecole, se sont justement montrés singulièrement impuissants, depuis 30 ans, à produire un sursaut républicain et citoyen, et qu’il serait peut-être bon, du coup, de s’interroger sérieusement sur le logiciel « républicain », il ne pourrait espérer les faire douter aussi facilement. La réponse serait toute prête et elle claquerait comme un coup de fouet : Souveraineté. Ici se marque la véritable supériorité des druides républicains, qui savent non seulement reconnaître les ingrédients nécessaires pour confectionner leur potion magique, mais qui disposent aussi du critère permettant de s’assurer de leur fraîcheur indispensable. Seul un Etat souverain, une Loi souveraine, une Ecole souveraine pourraient nous faire retrouver, diraient-ils, notre être de citoyens unis dans une même nation.
Mais comment, insisterions-nous encore naïvement, faire retrouver à l’État, à la Loi et à l’Ecole, leur souveraineté perdue ? Là encore nos interlocuteurs n’hésiteraient pas longtemps, et nous expliqueraient que c’est une affaire de volonté. Ecoutons par exemple la parole de cet autre grand druide républicain, Régis Debray: « Il faudrait un volontarisme de fer, à contre-courant des valeurs les plus chères à notre soi-disant société civile et aux tendances majoritaires de notre environnement géographique pour oser faire renaître un Etat, une Ecole, une République. »*
Vouloir la souveraineté de l’État, de la Loi, de l’Ecole, tel est au fond le programme de nos républicains, celui qu’ils répètent depuis 30 ans sous la forme d’une sorte de catéchisme. Ils sautent sur leur chaise comme des cabris en répétant « souveraineté », «souveraineté », pensant ainsi s’opposer suffisamment à ceux dont de Gaulle se moquait déjà et qui eux répètent, « Europe, Europe ».
Mais la souveraineté ne suffit pas à définir une République, laquelle réside dans la légitimité populaire de cette souveraineté. De quel peuple la souveraineté qu’on prétend réinstaurer tire-t-elle sa légitimité ? Du peuple français s’il s’agit de la république française, du peuple américain s’il s’agit de la république américaine, etc. Et cette souveraineté qui est effectivement nécessaire pour parler de république n’exprime que l’indépendance et l’autorité d’une décision non le contenu de celle-ci. Dans le cadre d’une république le contenu de la décision souveraine doit être légitimé par le peuple (ce qui ne veut pas dire obligatoirement voté) car c’est le peuple qui est souverain. On ne voit pas alors en quoi la souveraineté protégerait à elle seule la laïcité par exemple, puisque celle-ci renvoie à la décision commune de donner une certaine forme aux mœurs. Un peuple peut très bien décider souverainement de renoncer à la laïcité si celle-ci est pensée sur le seul plan de la Loi et de l’État.
Non, décidément, la République ne pourra se refonder elle-même en se tirant de son marasme par les cheveux comme le baron de Münchhausen des sables mouvants. Elle a besoin d’une mystique qui ne sera pas produite ex nihilo par une poignée d’intellectuels, car cette mystique n’est rien d’autre que l’attachement de tout un peuple à ses mœurs, dont les lois ne sont que l’expression consciente et volontaire. Elle a besoin de ce peuple et de son populisme actuel, qu’elle doit comprendre comme un attachement profond à une forme de mœurs appelée nation. Elle a besoin de se dégager de son recouvrement libéral pour affirmer son sous-bassement national, lequel ne réside pas dans le « citoyennisme », mais dans des mœurs qui donnent une certaine forme à la vie la plus quotidienne. Ce qui sous-tend la laïcité c’est cette forme de vie et non un kantisme abstrait du respect de la volonté libre.
Revenons aux sources, revenons à Rousseau, qui, dans sa Lettre à d’Alembert, nous mettait ainsi en garde: « Mais ne nous flattons pas de conserver la liberté en renonçant aux mœurs qui nous l’ont acquise. ». ♦
Une hirondelle républicaine ne suffira malheureusement pas à faire un printemps français.
* Régis Debray: Revue Le Débat n°185.
Agrégé de philosophie, Vincent Coussedière a été révélé au grand public avec son premier livre Eloge du populisme. Son second opus, Le retour du peuple, An I, vient de paraître aux éditions du Cerf.
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