par Louis-Joseph Delanglade
Petit coup d’accélérateur diplomatique au Proche-Orient. Tous bien conscients de leurs intérêts respectifs, Turquie et Israël semblent décidés à renouer après quelques années de brouille tandis qu’Egypte et Arabie Séoudite jettent un pont sur la Mer Rouge. On sait par ailleurs que le monarque séoudien vient d’être reçu à Ankara comme il se doit par M. Erdogan, que l’Egypte reste le pays arabe pionnier de la paix avec Israël (traité de 1979), que ce même Israël n’a pas protesté contre la cession par l’Egypte à l’Arabie Séoudite des îles Tiran et Sanafir pourtant assez proches de son territoire : plus de doute donc, on assiste bien à la mise en place d’un axe israëlo-sunnite qui ne dit pas son nom ; M. Lavergne, directeur de recherche au C.N.R.S. estime même qu’il s’agit « presque [d’]un renversement d’alliance ». L’explication qui revient le plus souvent est l’attitude des Etats-Unis, jugés trop « naïfs » dans leurs nouveaux rapports avec l’Iran.
L’ennemi commun, c’est en effet l’Iran : l’Iran parce qu’il est chiite et au coeur du « croissant chiite », parce qu’il entend jouer son rôle de grande puissance régionale, parce qu’enfin il est susceptible de se doter de l’arme nucléaire. Les choses paraissent donc simples mais se compliquent du fait que Russes et Américains ne peuvent rester insensibles à ce qui se passe en raison de la géographie et de leur propre antagonisme – dont la dernière illustration est, mardi 12 avril, le survol répété par des appareils russes d’un navire de guerre américain dans les eaux internationales de la mer Baltique, survol qualifié d’« agressif », voire d’ « attaque simulée » par l’US Navy ; survol que l’on doit interpréter comme une manifestation de l’exaspération de Moscou face à l’attitude hostile des Etats-Unis sur sa frontière terrestre occidentale. On sait aussi que, si Turcs et Américains sont membres de l’OTAN, Turcs et Russes s’opposent indirectement, par clients interposés, dans le différend Arménie-Azerbaïdjan et plus directement par leurs options en Syrie, comme l’a montré l’incident du 24 novembre – deux F-16 turcs abattant un SU-24 russe qui rentrait d’une mission de combat en Syrie.
On ne peut certes pas (pas encore ?) faire de comparaison avec la situation qui prévalait en Europe à la veille de la Première Guerre mondiale, quand deux grandes alliances militaires (Triple-Alliance et Triple-Entente) étaient en place ; on doit quand même admettre que, une fois éradiquée – ou à tout le moins fortement réduite – l’implantation géographique de l’Etat islamique (contre lequel l’engagement français, si minime soit-il, reste justifié au regard des répercussions en France même de l’existence de Daesh), il faudra bien prendre en compte la nouvelle donne géopolitique. C’est toute une politique étrangère, toute une diplomatie qu’il faudra repenser. Que veut la France ? Que peut-elle ? Où sont ses intérêts ? Comment manoeuvrer ? Faudra-t-il choisir un camp ?
Voilà qui demande une vision politique d’Etat que n’ont certes pas partagée la plupart des ministres qui se sont succédé au Quai d’Orsay depuis quelques années. Le droit-de-l’hommisme (« une politique de remplacement », selon M. Védrine) aura finalement prévalu pendant les quinquennats de MM. Sarkozy et Hollande. Concernant le Proche-Orient, l’intérêt politique de ce genre de discours est à peu près nul. •
Hollande poursuit dans la voie idéologique que vous critiquez à juste titre. Il vient de faire la leçon à Al Sissi au Caire : « Les droits de l’homme sont une façon de lutter contre le terrorisme ». Le président égyptien, légitimement agacé, l’a envoyé sur les roses.
Merci L-J D pour ce tour de piste synthétique et précis.
Les changements de lignes de force en cours doivent retenir toute notre attention. La tentation est grande d’insister sur la perte d’influence des États-Unis. Sans la négliger, je ne parierai pas sur un renversement durable qui pourra très bien être remis en cause si tel est l’intérêt de Washington. Pour l’heure ils ont redonné à l’Iran le rôle de gendarme du Golfe. S’attirant la défiance de Riyadh, qui met en avant l’exemple tout frais du lâchage du maréchal égyptien.
Une Perse consciente de l’ancienneté de sa civilisation, a fait capoter hier la réunion de Doha, en refusant de réduire sa production d’hydrocarbure, indépendance affichée contre tous les autres producteurs.
Dans un opuscule de Mars 2013, «l’islam contre l’islam, l’interminable guerre des sunnites et des chiites», Antoine SFEIR décrit l’antagonisme historique entre les deux dogmes de l’islam, dès la succession du prophète.
Ce qui nous rappelle que le temps ne se mesure pas avec la même horloge dans l’islam et chez René Descartes …
Et LJD ne manque pas de souligner la décadence de notre Quai d’Orsay. Triste spectacle, et gémissons. Notre pays ne mérite vraiment pas de voir fondre ainsi notre poids historique dans cette région du monde. Mais reconnaissons que cette décrépitude trouve sa source dans les années Sarkozy.