Ahmed KRIFLA, vue de la campagne marocaine – Huile sur bois
Par Péroncel-Hugoz
Notre confrère Peroncel-Hugoz, qui fut longtemps correspondant du Monde dans l’aire arabe, et a publié plusieurs essais sur l’Islam, travaille maintenant à Casablanca pour le 360, principal site de la presse francophone en ligne au Royaume chérifien. Il tient aussi son Journal d’un royaliste français au Maroc, dont la Nouvelle Revue Universelle a déjà publié des extraits. Nous en ferons autant désormais, en publiant chaque semaine, généralement le jeudi, des passages inédits de ce Journal. LFAR •
13 août 2006
13 août 2006, dans la Chaouïa, entre Rabat et Ben-Slimane (Camp-Boulhaut, lors de sa fondation par Lyautey), je m’arrête près de l’étal d’un fellah du coin, que je connais, comme fournisseur d’excellents légumes cultivés à l’ancienne, notamment des tomates, par lui et un de ses collègues mais qui n’est pas là aujourd’hui. Je demande des nouvelles de l’absent, et voici ce que me rétorque le paysan présent : « Oh ! ne t’inquiètes pas pour lui, il est au Tribunal, à la ville, mais il est innocent, c’est un mec qui marche toujours nichan (droit) comme un gaouri… » Un gaouri, c’est, en arabe nord-africain, un non-musulman, un mécréant, donc, bref un « Infidèle », comme disaient jadis les orientalistes, en parlant des musulmans, quand ils ne tremblaient pas d’être taxés de « racisme »…
Notre brave fellah primeuriste sait bien sûr que je suis chrétien, mais il me parle spontanément, sans calculs, et, sans doute, dans son esprit à lui, sa comparaison est flatteuse pour les Européens… Le maréchal Lyautey, résident-général de France en Chérifie, de 1912 à 1925, comprenait aussi les choses comme moi, j’ai l’impression. Au reste, son indigénophilie notoire était taxée d’ « indigénofolie » par certains qui auraient volontiers aboli la royauté et transformé l’Empire chérifien en département français, comme l’Algérie voisine… (1)
Une expression concernant les « gouers » (pluriel de gaouri) a d’ailleurs cours au Maroc depuis le Protectorat franco-espagnol, terminé en 1956) : « Un travail bien fini ne peut être que le fait d’un chrétien ! » (Nasrani, Nazaréen) : Lyautey, encore lui, avait coutume de dire que « le principal ennemi » du Maroc ce n’était pas les brigands de grands chemins ou les concussionnaires mais l’ « apeupréisme »… •
(1) Même le pied-noir algérien Jacques Berque, longtemps officier des Affaires indigènes au Maroc, et républicain marxiste notoire, se fendit en 1949 d’un rapport à la Résidence générale de France à Rabat où il préconisait carrément l’abolition par les Français de la monarchie marocaine…
Tout est affaire de conscience. La conscience du chrétien c’est la finitude qui aboutit au bien commun. La conscience du musulman c’est la mangitude qui aboutit à son estomac;
Le commentaire de Roumens Baudouin a les apparences et peut-être la réalité du manichéisme. En fait d’estomac, il n’est pas sûr que le chrétien mange moins que le musulman. C’est même plutôt le contraire. Ce qui expliquerait son apparent détachement du primum vivere.