« Je veux une monarchie pour maintenir l’égalité entre les différents départements, pour que la souveraineté nationale ne se divise pas en souveraineté partielle, pour que le plus bel empire d’Europe ne consomme pas ses ressources et n’épuise pas ses forces dans des discussions intéressées, nées de prétentions mesquines et locales ; je veux aussi, et principalement une monarchie, pour que le département de Paris ne devienne pas, à l’égard des 82 autres départements ce qu’était l’ancienne Rome à l’égard de l’empire romain… Je voudrais encore une monarchie pour maintenir l’égalité entre les personnes, je voudrais une monarchie pour me garantir contre les grands citoyens ; je la voudrais pour n’avoir pas à me décider un jour, et très prochainement peut-être, entre César et Pompée; je la voudrais pour qu’il y ait quelque chose au-dessus des grandes fortunes, quelque chose au-dessus des grands talents, quelque chose même au-dessus des grands services rendus, enfin quelque chose encore au-dessus de la réunion de tous ces avantages, et ce quelque chose je veux que ce soit une institution constitutionnelle, une véritable magistrature, l’ouvrage de la loi créé et circonscrit par elle et non le produit ou de vertus dangereuses ou de crimes heureux, et non l’effet de l’enthousiasme ou de la crainte… Je ne veux pas d’une monarchie sans monarque, ni d’une régence sans régent, je veux la monarchie héréditaire…» Et il poursuit : «Je veux une monarchie pour éviter l’oligarchie que je prouverais, au besoin, être le plus détestable des gouvernements ; par conséquent, je ne veux pas d’une monarchie sans monarque et je rejette cette idée, prétendue ingénieuse, dont l’unique et perfide mérite est de déguiser, sous une dénomination populaire, la tyrannique oligarchie ; et ce que je dis de la monarchie sans monarque, je l’étends à la régence sans régent, au conseil de sanctions, etc… Dans l’impossibilité de prévoir jusqu’où pourrait aller l’ambition si elle se trouvait soutenue de la faveur populaire, je demande qu’avant tout on établisse une digue que nul effort ne puisse rompre. La nature a permis les tempêtes, mais elle a marqué le rivage, et les flots impétueux viennent s’y briser sans pouvoir le franchir. Je demande que la constitution marque aussi le rivage aux vagues ambitieuses qu’élèvent les orages politiques. Je veux donc une monarchie ; je la veux héréditaire ; je la veux garantie par l’inviolabilité absolue ; car je veux qu’aucune circonstance, aucune supposition, ne puisse faire concevoir à un citoyen la possibilité d’usurper la royauté. » •
Choderlos de Laclos
Journal des Amis de la Constitution, organe officiel des Jacobins, 12 juillet 1791, n° 33
Belle profession de foi en effet, qui nous semble tellement actuelle, qu’on serait tenté d’y applaudir. Et pourtant, notre « monarchie républicaine » remplit en grande partie ces critères, sans pour autant être satisfaisante le moins du monde sur beaucoup de sujets. Il est vrai qu’elle rassemble bien des défauts que Choderlos de Laclos voulait éviter, Dans les faits, le pouvoir est le reflet à la fois des mandants et des mandataires, aucune barrière si haute soit-elle ne pourra empêcher la médiocrité de tirer à elle les bienfaits et avantages, que confère la puissance, car aucun homme ne peut gouverner seul et son entourage est forcément divers, et sinon influençable, souvent intéressé, ne serait-ce que par le désir de garder cette fraction de considération que confère l’exercice d’un magistère, fusse-t-il conféré par un Roi héréditaire, ou un monarque républicain élu. La réflexion politique, car c’est de cela qu’il s’agit, doit aujourd’hui prendre en compte la dissémination des moyens de communication et d’expression, qui s’accorde assez mal avec la centralisation, pourtant nécessaire, des décisions, héritée de l’Histoire, et dont l’exercice a conduit à la concentration de la puissance entre peu de mains, en raison de la complexité de son élaboration et de la vitesse nécessaire à sa mise en œuvre. Au-delà de la réflexion, toujours passionnante, sur la séparation des pouvoirs, et plus encore, la distinction si importante entre la légalité et la légitimité d’un pouvoir à laquelle en filigrane, on distingue la référence, dans le texte de Choderlos de Laclos, il est aujourd’hui une réflexion à conduire pour le dessin de nos Institutions : Celle de l’inclusion dans l’avenir dans notre système politique, de l’intelligence artificielle, de nos jours déjà présente dans les algorithmes d’ aides à la décision, et qui sera de plus en plus importante, jusqu’à ce que la décision elle-même, soit dans un premier temps partagée entre l’homme et les machines, puis laissée de plus en plus à ces dernières, mais le seront-elle encore, pour des raisons qui seront devenues incontournables de complexité et de rapidité, voire d’efficacité. La dimension du pouvoir personnel des hommes en sera modifiée, et les systèmes politiques profondément changés, puisqu’aucun individu n’aura plus la possibilité de contrôler le tout, ce qui est d’ailleurs déjà en partie le cas dans les faits aujourd’hui, mais que l’expression politique cache, par crainte de perdre, l’aura qu’elle diffuse au moyen du rêve, afin de garder son pouvoir. L’homme ne pourra jamais arrêter de monter l’échelle de la complexité, celle-ci est comme le temps, du moins au niveau macroscopique, sa flèche ne s’inverse pas, même si, parfois en bégayant l’Histoire donne à croire à une telle possibilité. Ce n’est pas le temps qui passe, c’est nous qui passons, et nos systèmes avec nous. Nous ne bâtissons pas de monuments plus durs que l’airain, même si notre désir d’absolu nous incite à le proclamer, car l’entropie est le grand maitre des systèmes érigés par les mortels, la force de l’homme réside dans sa capacité d’adaptation, jusque et y compris dans ses systèmes politiques qui ne brident pas par leur nature, mais par leur rigidité.
Ce commentaire remarquable nous rappelle que les civilisations, sociétés, régimes, et mëme les monuments, comme nous-mêmes, sont mortels.
En attendant qu’ils disparaissent, il faut bien qu’ils vivent et c’est ce qu’ils tentent, en vertu de la tendance de l’ëtre à persévérer dans son ëtre. Comme nous-mêmes vivons chaque journée comme si c’était pour l’étrrnité.
Alors qu’en conclure pour cette période plus ou moins éphémère pendant laquelle nous sommes en vie ? . Nous, la France, l’Europe, notre civilisation ?
Avez-vous oublier que ce général sadico-érotique fut d’abord un des suppôt du jacobinisme ?
Personne n’oublie rien. Seulement, nous avons là un texte. Un texte d’autant plus intéressant qu’il émane de l’homme que vous dites. Le reste est intéressant mais hors sujet. On nous donne un texte. Lisons-le avant de nous en évader.