Par Eric Zemmour
Un expert en stratégie dénonce avec pertinence les insuffisances dans la réponse des autorités. Mais son réquisitoire tourne vite à la sérénade bien-pensante. Tel est du moins le point de vue qu’expose Eric Zemmour dans cette excellente recension du livre que publie François Heisbourg. LFAR
Il faut se méfier des experts. Pas seulement pour le style, souvent ampoulé et pédant. Mais leur science, incontestable, dans leur domaine d’excellence, les persuade qu’ils ont la même légitimité sur un terrain plus politique. Ils confondent science et idéologie et croient qu’ils assènent des connaissances alors qu’ils ne font que défendre des convictions.
François Heisbourg n’est pas n’importe qui. Il est conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique; préside l’International Institute for Strategic Studies de Londres et le Centre de politique de sécurité de Genève. Il a participé à la rédaction des livres blancs sur la défense pour les trois derniers présidents de la République. Quand il aborde les attentats qui ont ensanglanté Paris en 2015, notre auteur sait de quoi il parle. La raison sans doute pour laquelle il parle aussi de ce qu’il ne veut pas savoir. François Heisbourg n’a pas l’habitude qu’on lui dise non. Il ne s’est visiblement pas remis du refus – par Manuel Valls – de convoquer une commission nationale – à l’exemple des Américains après le 11 septembre 2001 – pour tirer les leçons des attentats. Il a décidé de tenir sa convention nationale à lui tout seul. D’où ce livre.
Son texte est bref, concis, efficace. Découpé sur le modèle des dix commandements, transformés en dix erreurs à éviter. Erreurs dont on a déjà commis la plupart ! Erreurs d’anticipation et de réaction. Il reproche ainsi à Sarkozy la fusion de la DST et des RG, qui a dépouillé notre police de ses informateurs de proximité. Il oublie seulement qu’il est plus facile pour un policier français d’infiltrer un parti politique ou un groupuscule gauchiste qu’une mouvance islamique qui repose sur les liens des fratries et de la religion.
L’assaut à Saint-Denis qui a suivi l’attentat du 13 novembre lui paraît disproportionné. Cela a pourtant tué dans l’œuf un autre massacre prévu.
Et puis notre expert passe de la pratique à la théorie, des actes aux mots. Comment nommer l’ennemi ? Califat ou Daech. Heisbourg félicite Hollande de parler de Daech car « c’est le nom que Daech déteste ». Notre spécialiste ne se demande pas pourquoi on interdirait aux djihadistes – avec un mépris gourmet – l’autoproclamation d’un califat alors que notre propre Histoire regorge d’autoproclamations comme la déclaration d’indépendance américaine ou la République française de 1792. Dans la foulée, Heisbourg comme d’autres glosent sur le concept de « guerre » employé à foison par nos gouvernants. C’est alors que notre expert découvre ce qui est tu ou nié : « Bombarder Raqqa dans le cadre de la guerre contre Daech est une chose, mais quid de Molenbeek ou du « 93 » ? Y faire la guerre au sens militaire du terme – armée contre armée – serait absurde ; mais cela est pourtant implicite dans le discours non métaphorique sur la guerre à Daech puisque les forces que celui-ci lance contre nous sont « de chez nous » et frappent chez nous. La guerre serait donc aussi une guerre civile ? »
Le livre alors change d’âme. Affolé par sa découverte, l’expert se mue en prédicateur. Aucun poncif, aucun lieu commun sur la France des Lumières et des droits de l’homme ne nous seront épargnés. L’esprit du padamalgam règne en maître sur notre maître.
Heisbourg en appelle à l’esprit de la Résistance pour mieux renouer avec les réflexes pacifistes de la politique « d’apaisement » qui menèrent à la collaboration.
La déchéance de nationalité promise aux djihadistes binationaux (à laquelle Hollande a dû renoncer) provoque l’ire de notre auteur. Tous les habituels arguments de la bien-pensance sont ressassés. Il n’est pas venu à l’idée de notre expert que si l’égalité sacro-sainte était bien rompue, c’était au bénéfice des binationaux qui ont deux nationalités. Abondance de biens ne nuit pas. Si une égalité devait être rétablie en ces temps de nécessaire rassemblement national contre l’ennemi, ce serait plutôt par la suppression de la binationalité qui obligerait chacun à choisir : partager le destin français ou pas.
Heisbourg ridiculise l’éventuel rétablissement des frontières parce qu’on peut toujours les passer. Mais alors pourquoi interdire le vol et le meurtre puisqu’on peut toujours transgresser ces lois en volant ou en tuant ?
Il condamne la « dérive » de l’état d’urgence au nom de l’État de droit. Et si c’étaient les dérives laxistes de l’État de droit qui avaient conduit à notre tragique situation ?
Il reprend sans aucune distance l’antienne convenue sur « les discriminations au logement et à l’embauche » qui alimentent le « vivier de Daech ». Il est vrai que les millions de Français « de souche » qui végètent dans le périurbain deviennent tous trafiquants de drogue puis djihadistes, qu’Oussama Ben Laden était miséreux et que les frères Kouachi n’avaient pas bénéficié de tous les généreux bienfaits de la République sociale…
« Ce seront toujours les peaux mates qui appelleront les contrôles d’identité un peu virils, les portes des maisons mal situées qui seront forcées à coups de bélier. » On croit entendre le refrain de la chanson parodique de Coluche : « Misère, misère, pourquoi t’acharnes-tu toujours sur les pauvres gens ? »
Il nous explique avec des accents apocalyptiques que l’échec de Schengen serait un « retour à l’Europe d’avant l’Union européenne et une belle victoire pour les djihadistes qui ne rêvent que de nous voir renier nos valeurs et revenir sur nos réalisations ». On ignorait qu’Oussama Ben Laden avait fait campagne pour le non à Maastricht !
Il refuse de voir que l’Union européenne est un handicap dans la lutte contre nos ennemis puisqu’elle a laminé les souverainetés nationales sans forger une souveraineté européenne.
Mais il est temps de conclure, impérieux et grandiloquent : « L’Histoire jugera durement ceux qui choisiront de persister dans l’incompétence et le contresens. » François Heisbourg a raison : l’Histoire jugera durement ceux qui ont choisi de persister dans l’aveuglément et le déni de réalité… •
Comment perdre la guerre contre le terrorisme. François Heisbourg. Stock. 119p., 15 €.
Le flamboyant Heisbourg est il crédible ? Il n’est plus à présenter, et nous n’oublions pas son rôle contestable comme « expert » dans le livre blanc de Sarkozy en 2008, avec ses deux compères Tertrais et Thérèse Delpech (paix à son âme), relais permanent d’un atlantisme forcené et en l’espèce des néoconservateurs américains. J’ai écouté son intervention pour présenter son opuscule dans cette émission très inégale du Samedi matin sur BFM Business (Good morning Week End, Fabrice Lundy), le 23 Avril dernier, et je suis beaucoup plus critique que ne l’est E.Z. qui est tout à fait fondé à être réservé sur ce survol très incomplet de notre incurie. Heisbourg a raison sur un point : les évènements justifiaient mille fois une commission d’enquête parlementaire très publique et très large, et non ce pis-aller conduit par la seule opposition. Que craint le gouvernement ? Le défaut de la cuirasse censée protéger la France est la destruction de nos Services de Renseignement. Et là monsieur Heisbourg est très mal placé pour gémir. Car pour ce fameux Livre Blanc il était aux premières loges pour voir les inepties mises en place par le Sarkozy de l’époque. Il a beau jeu de condamner aujourd’hui la fusion DST – RG (je ne suis pas Zemour sur ce point, il s’agit d’un cuisant échec). Nous avons eu une succession de décisions fantasques justifiées par la seule névrose de monsieur Sarkozy. Une faute gravissime fut la création d’un supposé coordinateur des Services positionné à l’Élysée. Une autre, cette détestable habitude d’impliquer le chef de l’Etat dans la décision d’abattre des terroristes cernés, plutôt que de les capturer (Sarkozy dans le kidnaping de deux ingénieurs au Niger – Janvier 2011, Sarkozy contre Merah à Toulouse, Hollande contre les fous assassins d’une salle de rédaction). A qui peut on expliquer que tous ces cinglés peuvent se balader en Europe, usant de fausses identités pour louer locaux et véhicules, avec leur artillerie dans leur sac à dos ? Que l’on se souvienne que l’assassin du musée juif de Bruxelles fut interpellé à Marseille sur un contrôle aléatoire de routine par la douane ! Tout cela relève d’un sordide amateurisme … Une fois que l’on a dit que l’on a mis notre pays à risque par une diplomatie chaotique, sans fil conducteur, simple suivisme sans cervelle des décisions américaines, on n’a pas créé les moyens de se protéger ; ce que souligne l’excellent XavierRaufer, le gouvernement est comme un lapin sur une route la nuit aveuglé par des phares. Comme a dit Alain de Benoist « nous leur faisons la guerre, ils nous font la guerre ». Mais je ne suis vraiment pas sûr que Heisbourg soit le mieux placé pour disserter sur ce sujet … Dans cette même émission je l’ai entendu relayer les accusations etatsuniennes contre Bachar Al-Assad, « assassin de son propre peuple » jetant le chiffre de 400.000 tués par l’armée syrienne. N’hésitons pas à charger la barque. On ne sait évidemment pas d’où viennent ces affirmations fantaisistes. Détruire des organisations qui ont fait leur preuve pendant des dizaines d’années est très facile et rapide, reconstruire prendra beaucoup de temps.