Comment notre religion des droits de l’homme favorise la conquête silencieuse de l’islam. Démonstration implacable d’un grand juriste. Et une remarquable recension d’Eric Zemmour [Le Figaro – 18.05]. Est-il vraiment utile de souligner sa proximité avec ce que l’école d’Action française a professé de tous temps, comme, d’ailleurs, les divers penseurs de la contre-révolution ? LFAR
C’est le débat politique qui vient. Débat philosophique, idéologique, juridique. Débat existentiel. Débat qui revient. Dès 1980, Marcel Gauchet avait, le premier, annoncé que la conversion des démocraties occidentales à la politique des droits de l’homme les « conduirait à l’impuissance politique ». En 1989, Régis Debray avait brocardé « la doctrine des droits de l’homme, la dernière de nos religions civiles ». Mais la question a pris une tout autre ampleur. Il ne s’agit plus seulement de disserter doctement sur les limites désormais reconnues par tous d’une politique étrangère qui ne se soumettrait plus aux canons de la realpolitik. Il ne s’agit même plus de pointer les risques de désagrégation d’une citoyenneté républicaine minée par un individualisme démocratique revendicatif.
Les Cassandre ont eu raison. Au-delà même de leurs craintes. Les droits de l’homme sont bien devenus notre seule religion civile, la seule identité à laquelle nos élites nous autorisent d’identifier la Nation. La religion des droits de l’homme est allée au bout de sa logique nihiliste. Mais l’enjeu est désormais encore plus vital. Dans ses décombres, et sous sa protection, on assiste impuissant à l’émergence, sur des parcelles de plus en plus nombreuses du territoire français, d’un nouvel ordre politico-juridique et d’un nouveau peuple dans le peuple, façonnés et unifiés par l’islam. Cette rencontre des droits de l’homme et de l’islam évoque celle du nitrate et de la glycérine. Elle est en train de faire exploser notre pays. Il fallait pour décrire cette collusion tragique à la fois un juriste et un théologien. Jean-Louis Harouel est notre homme. Agrégé de droit, professeur à Assas, et spécialiste de l’histoire des religions en général et du christianisme en particulier. Derrière un style parfois pesant d’universitaire, son scalpel est acéré. D’un côté, il nous démontre, après bien d’autres, que « c’est une erreur de considérer l’islam seulement comme une religion », car « l’islam est à la fois religion et régime politique ». L’islam est une loi implacable qui ne tolère aucune contestation : « La déclaration sur les droits de l’homme en Islam adoptée au Caire en 1990 interdit d’exprimer toute opinion en contradiction avec les principes de la charia ». De l’autre côté, il nous retrace la généalogie religieuse, idéologique et juridique de notre folle conversion aux droits de l’homme : « Les droits de l’homme sont la religion séculière qui a pris le relais de la religion séculière communiste… la promesse de perfection sociale ne réclame plus la suppression de toute propriété mais la négation de toute différence entre les humains. » Harouel est particulièrement passionnant lorsqu’il nous conte les origines chrétiennes de ces droits de l’homme. Reprenant la célèbre formule de l’écrivain anglais Chesterton, sur les « idées chrétiennes devenues folles », il la nuance et la corrige, en y voyant plutôt l’influence d’hérésies du christianisme, la gnose et le millénarisme : « le gnostique est un homme-Dieu au-dessus des lois et de la morale ordinaire du Décalogue… Le millénarisme annonce la promesse terrestre du royaume de Dieu alors que Jésus l’avait déplacé vers les cieux… La gnose et le millénarisme ont en commun le refus de considérer que le mal peut résider en l’homme. »
On remarquera avec notre auteur que la gnose et le millénarisme étaient déjà aux sources du communisme et de ses pratiques totalitaires ; et que les militants de gauche, guéris du communisme, sont devenus les militants les plus fanatisés des droits de l’homme. Pendant un siècle et demi, les droits de l’homme n’étaient pas du droit, mais un ensemble de principes guidant l’action politique. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, et le traumatisme nazi, que la Convention européenne des droits de l’homme en 1950 instaura le « culte des droits de l’homme » et transforma les grands principes en droit positif et les juges en une « nouvelle prêtrise judiciaire ». Le professeur de droit Georges Lavau dira, sévère, que « les hauts magistrats se sont arrogé, en créant des règles nouvelles au nom des principes généraux du droit, une fonction de type prophétique ». Les droits de l’homme n’étaient plus les droits de l’homme : ils passaient de la défense des libertés pour protéger les individus d’un État trop puissant au principe de « non-discrimination » qui empêche l’État de protéger et défendre son peuple menacé d’éviction et de destruction sur son propre territoire.
La boucle était bouclée. Celle qui tourne des droits de l’homme à l’islam. D’une religion à l’autre. D’un ordre totalitaire qui empiète sur la sphère privée (le principe de non-discrimination) à un ordre totalitaire qui nie la distinction entre sphère privée et sphère publique (l’islam). Les peuples européens sont coincés entre le marteau et l’enclume, menacés de mort: « Le millénarisme immigrationniste est de nature totalitaire… Il a remplacé le combat communiste pour la destruction des bourgeoisies par le combat pour la destruction des nations européennes. » L’analyse est implacable, le constat accablant, l’impasse totale. L’issue radicale. « Il est indispensable de discriminer… Soumettre l’islam à un statut dérogatoire pour le contraindre à se limiter à la sphère privée… S’inspirer du modèle discriminatoire suisse… La France ne peut espérer survivre qu’en rompant avec son culte de la non-discrimination. »
Les droits de l’homme ou la vie. On connaît d’avance la réponse de nos élites politiques, intellectuelles, médiatiques, culturelles, artistiques, économiques : les droits de l’homme. Au nom des grands principes et des grands sentiments. Et aussi des petits calculs et petits intérêts. D’un amour de l’Autre jusqu’au mépris et la haine de soi. C’est la reprise de la célèbre formule de Robespierre: « que l’Empire périsse pourvu que les principes demeurent ». Sauf que l’Empire, c’est la France et les Français. Les deux camps vont dans l’avenir se conforter, s’insulter, s’affronter. Les droits-de-l’hommistes contre les populistes. Chacun flirtant avec sa propre caricature et ses certitudes. Chacun prétendra agir pour éviter « la guerre civile » qui vient. En vain. •
Les droits de l’homme contre le peuple. Jean-Louis Harouel, Desclee de Brouwer, 140 p., 14 €
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