Dans un premier essai passionnant, La guerre des mondes, Mathieu Slama analyse les ressorts de l’affrontement entre la Russie et l’Occident. Pour le jeune essayiste, ce sont avant tout deux visions du monde qui s’opposent. Et qu’il expose dans cet entretien – un peu long mais où beaucoup de choses essentielles sont dites – donné à Figarovox [25.05]. Nous prévenons les lecteurs de Lafautearousseau : ces réflexions sont importantes. Il faudra être attentifs désormais aux publications de Mathieu Slama ! LFAR
Pour quelle raison l’affrontement entre Vladimir Poutine et l’Occident est-il essentiellement idéologique ?
Ma thèse est que dans le conflit politique qui oppose l’Europe et les Etats-Unis à la Russie de Poutine, il y a un arrière-plan idéologique fondamental qui met en jeu deux grammaires du monde qui s’opposent en tout point. A cet égard, ce qui se joue dans cet affrontement est bien plus décisif qu’un simple conflit d’intérêts.
Mais il suffit d’écouter Poutine pour comprendre qu’il se situe lui-même sur le terrain idéologique. Ce fut particulièrement frappant à partir de 2013, lorsque les crises ukrainiennes et syriennes ont réellement marqué une rupture entre les Russes et les Occidentaux.
Dans plusieurs discours, Poutine s’en est pris à la « destruction des valeurs traditionnelles » et à « l’effacement des traditions nationales et des frontières entre les différentes ethnies et cultures », visant implicitement les pays occidentaux. A plusieurs reprises il a exalté « les valeurs spirituelles de l’humanité et de la diversité du monde », « les valeurs de la famille traditionnelle, de la vie humaine authentique, y compris de la vie religieuse des individus », faisant appel au grand philosophe conservateur russe Nicolas Berdiaev. Il y a aussi, dans le discours de Poutine, des attaques directes adressées aux pays occidentaux et notamment aux pays européens. « Les pays euro-atlantiques rejettent leurs racines », a-t-il expliqué dans un discours, « dont les valeurs chrétiennes qui constituent la base de la civilisation occidentale ». Utilisant des termes très violents comme « primitivisme », s’en prenant ouvertement aux légalisations en faveur du mariage homosexuel, Poutine accuse aussi régulièrement les pays occidentaux de vouloir exporter leur modèle libéral au monde entier, au mépris des particularités nationales.
Poutine est donc porteur d’une vraie vision du monde. Il se fait le défenseur des particularités nationales et des valeurs traditionnelles face à un Occident libéral, amnésique de ses fondements spirituels. Et surtout, et c’est peut-être la plus grande force de son discours, il s’en prend à l’universalisme occidental, à cette prétention qu’a une partie du monde de modeler à son image l’autre partie de l’humanité. C’est une manière pour lui de s’en prendre aux ingérences occidentales, que ce soit en Ukraine ou au Moyen-Orient.
Poutine dit ici quelque chose d’essentiel. L’Occident est persuadé que son modèle, la démocratie libérale, est le devenir inéluctable de l’humanité toute entière. Mais il y a dans le monde des nations qui tiennent à leurs traditions culturelles et qui n’ont absolument pas envie de s’ « occidentaliser » ! Il y a là un enjeu majeur, que l’un des plus grands penseurs du XXème siècle, Claude Lévi-Strauss, avait vu avant tout le monde : comment préserver les particularités culturelles dans un contexte de mondialisation politique, culturelle et économique croissante ? « Les grandes déclarations des droits de l’homme », expliquait Lévi-Strauss, énoncent « un idéal trop souvent oublieux du fait que l’homme ne réalise pas sa nature dans une humanité abstraite, mais dans des cultures traditionnelles ». Les démocraties occidentales n’ont de cesse d’exalter « l’Autre », mais ce n’est en réalité que pour annihiler son altérité et l’envisager comme un parfait semblable, c’est-à-dire un individu émancipé de tous ses déterminismes. L’Occident libéral est devenu incapable de penser et comprendre la différence culturelle. On le voit au Moyen-Orient aujourd’hui : nous ne célébrons l’Iran que parce qu’il s’occidentalise ; tout ce qui relève du traditionnel est perçu comme une barbarie amenée à disparaître. Il y a dans cette approche un mélange d’incompréhension et de mépris.
Soljenitsyne est l’un des fils rouges de votre livre. En quoi est-il représentatif d’une partie de l’âme russe ?
La figure d’Alexandre Soljenitsyne est intéressante à plusieurs égards. D’abord parce qu’il est étonnamment – et injustement – oublié aujourd’hui, alors qu’il est l’une des rares figures intellectuelles du XXème siècle à ne s’être jamais trompé dans ses combats politiques, ce qui est suffisamment rare pour le souligner.
Ensuite parce qu’il a fait, en effet, l’objet d’un grand malentendu en Occident. Ses œuvres « Une journée d’Ivan Denissovitch » (1962), « Le Premier cercle » (1968) et surtout « L’Archipel du Goulag » (1973), révélant au monde entier les atrocités commises par les soviétiques dans les camps, ont fait de lui la principale figure de l’opposition intellectuelle et politique au régime soviétique. Accusé de trahison dans son propre pays, il est parti en exil en Suisse puis aux Etats-Unis. Mais voilà, et c’est le cœur du malentendu dont je parle dans mon livre : Soljenitsyne ne s’opposait pas au régime soviétique au nom des droits de l’homme ou au nom du « monde libre ». Il n’avait pas choisi le camp occidental contre le camp soviétique. Il s’opposait à l’URSS parce qu’il s’agissait pour lui d’un régime corrompu, matérialiste, violent, niant la dimension spirituelle propre à chaque homme. Il s’y opposait au nom de sa foi orthodoxe et au nom de la grande histoire nationale russe.
Et c’est justement ce même attachement aux racines et à la dimension spirituelle de l’existence qui l’amena à s’opposer violemment au modèle libéral occidental à plusieurs occasions, notamment dans un célèbre discours devant les étudiants de Harvard en 1978 où il dénonça la dérive matérialiste de l’Occident, les ravages de son modèle capitaliste et surtout son obsession pour les droits individuels au détriment des valeurs traditionnelles comme l’honneur, la noblesse ou encore le sens du sacrifice. Soljenitsyne croyait à la possibilité d’une troisième voie entre le libéralisme occidental et les totalitarismes soviétiques ou fascistes, une troisième voie fondée sur l’enracinement et l’auto-restriction des hommes comme des nations. Il me semble qu’aujourd’hui, peut-être plus que jamais, ce message mérite d’être entendu.
Je note dans mon livre la réaction de Jean Daniel qui voyait dans L’Archipel « un panslavisme illuminé, des idées étranges sur le Moyen-âge et sur la Sainte Russie » ou encore de Bernard-Henri Lévy qui accusa au début des années 90 Soljenitsyne de défendre des idées « obscurantistes », « populistes », de peindre « une Russie rustique et primitive ». Ces réactions sont absolument passionnantes car elles révèlent selon moi une opposition fondamentale entre deux mondes qui sont aux antipodes l’un de l’autre. Les pays occidentaux n’ont pas compris Soljenitsyne tout simplement parce qu’ils ne parlent pas le même langage : les premiers tiennent le langage de la liberté individuelle, le second celui de la tradition et de la mystique communautaire. Il me semble que cet affrontement renaît aujourd’hui à la faveur des conflits qui opposent la Russie de Vladimir Poutine et les pays occidentaux. Et je trouve dans le discours de Poutine beaucoup de rémanences du discours de Soljenitsyne. C’est pourquoi j’ai voulu faire de ce dernier le fil rouge de mon livre.
La « révolution conservatrice » engagée par Poutine est-elle populaire en Russie ? Et ailleurs ?
S’agissant de la Russie, personne ne conteste aujourd’hui que Poutine est soutenu par une immense majorité de la population. Emmanuel Carrère avait émis l’hypothèse, dans un de ses romans, que le succès de Poutine était dû au sentiment des Russes d’avoir été humiliés à la chute du régime soviétique. Et qu’en somme, on n’avait pas le droit de leur dire que toutes ces décennies passées sous le joug communiste, « c’était de la merde ». L’échec de l’expérience « libérale » avec Boris Eltsine est aussi un atout pour Poutine. Mais c’est oublier un peu vite l’attachement encore prégnant des Russes pour les valeurs traditionnelles, pour l’âme de leur pays. Hélène Carrère d’Encausse expliquait que « l’idée que les choses puissent être relatives heurte profondément les Russes ». Poutine est très certainement en adéquation avec l’état d’esprit d’une grande partie de l’opinion publique russe.
Mais ce qui m’intéressait surtout dans mon livre, c’était de montrer que Poutine est devenu en quelque sorte le porte-voix de la cause conservatrice dans le monde, et notamment en Europe. Sa popularité auprès de beaucoup de partis conservateurs européens est le signe que Poutine a compris ce qui se jouait en Europe. Son génie est d’avoir permis la rencontre, au bon moment, entre ses idées et celles d’une partie de l’opinion européenne, de plus en plus hostile à la mondialisation et au multiculturalisme, de plus en plus attachée à ses racines et aux « protections naturelles » que sont les frontières nationales. De Viktor Orban en Hongrie à Marine Le Pen en France, en passant par Nigel Farage en Grande-Bretagne, ils sont tous animés d’une sympathie naturelle envers Poutine. Clairement, le « poutinisme » correspond à un certain esprit du temps, à une résistance de plus en forte des peuples vis-à-vis de la mondialisation.
Vous écrivez que le sens du sacré est une clef de compréhension indispensable pour comprendre la Russie actuelle – qui avait bu le communisme comme le buvard absorbe l’encre, avait rappelé Philippe Séguin dans son discours du 5 mai 1992. Y a-t-il une opposition entre le « messianisme russe » et le « rationalisme libéral européen » ?
J’essaie de comprendre la cassure idéologique fondamentale entre la Russie de Poutine et l’Occident, et il me semble que la question religieuse est un élément déterminant de cette incompréhension, du moins s’agissant de l’Europe. On le sait, Poutine dans ses discours lie très étroitement le destin de la nation russe avec celui de l’Eglise orthodoxe, et s’en prend à « l’approche vulgaire et primitive de la laïcité ». C’est une des armes essentielles de son combat idéologique, sans compter que cela lui permet d’asseoir son autorité dans son propre pays, où l’Eglise est depuis longtemps le constituant de la morale collective, comme l’a rappelé Hélène Carrère d’Encausse.
Pour illustrer l’opposition entre la Russie et l’Europe sur ce terrain, j’évoque un exemple qui me semble particulièrement parlant, celui des Pussy Riot et des Femen. Quand en février 2012 les Pussy Riot, groupe de rock ultra-féministe russe, débarquent dans la cathédrale de Moscou en hurlant « Marie mère de Dieu, chasse Poutine ! », elles font l’objet d’une réprobation quasi-unanime, et sont condamnées quelques mois plus tard à deux ans de détention, provoquant d’ailleurs des réactions indignées de la part des dirigeants européens. Un an après cet épisode, en France quand des membres du groupe féministe Femen s’introduisent à Notre-Dame et vandalisent une cloche, l’expression « pope no more » inscrite sur le torse, elles sont toutes relaxées.
En France, nous faisons du droit au blasphème un droit fondamental, un des piliers de la fameuse liberté d’expression, elle-même pilier des sacro-saintes libertés individuelles. On ne compte plus les défenseurs du blasphème sur le terrain médiatique. Il faut profaner, désacraliser absolument tout. Dieu est devenu une question dépassée, on le relègue à la sphère individuelle. On érige la profanation du sacré en droit fondamental sans même se poser la question de ce que peut bien nous apporter ce droit. En quoi moquer de manière vulgaire Jésus ou Mahomet est-il un progrès, une liberté nécessaire ? A force de libéralisme et d’individualisme, nous autres européens perdons de vue la dimension spirituelle de la vie humaine pour n’en retenir que la dimension proprement matérielle. Le phénomène djihadiste est venu nous rappeler que la question religieuse est encore loin, très loin d’être une question résolue.
La souveraineté nationale est-elle davantage défendue par la Russie que par les Etats-Unis ou les pays européens ?
La défense de la souveraineté nationale est en effet un aspect essentiel de la doctrine poutinienne. Voici ce qu’il disait en 2014 : « La notion de souveraineté nationale est devenue une valeur relative pour la plupart des pays » ; « les soi-disant vainqueurs de la Guerre froide avaient décidé de remodeler le monde afin de satisfaire leurs propres besoins et intérêts ». Et d’asséner cette attaque directe : « Si pour certains pays européens la fierté nationale est une notion oubliée et la souveraineté un luxe inabordable, pour la Russie la souveraineté nationale réelle est une condition sine qua non de son existence ». En ligne de mire : l’alignement quasi-systématique de l’Union européenne sur les positions américaines, comme récemment sur le dossier ukrainien. Poutine s’en prend également aux ingérences américaines et européennes au Moyen-Orient, qui ont conduit pour Poutine à une aggravation des conflits et à la propagation du chaos.
Le discours américain est très différent. Barack Obama n’a de cesse de répéter que l’Amérique a un rôle à jouer dans la défense des libertés : « Nous soutiendrons la démocratie de l’Asie à l’Afrique, des Amériques au Moyen-Orient, parce que nos intérêts et notre conscience nous forcent à agir au nom de ceux qui aspirent à la liberté ». Il s’agit ici d’une conception fondamentalement universaliste des relations internationales, semblable à celle que défendaient les néo-conservateurs sous George W. Bush. La question de la souveraineté n’est jamais abordée par Obama.
La Russie et les Etats-Unis défendent des conceptions géopolitiques qui servent leurs intérêts, écrivez-vous, souverainisme et multilatéralisme pour la première, universalisme pour les seconds. Quelle est la conception adoptée par les pays d’Europe ?
Les pays européens sont dans l’alignement quasi-permanent avec les positions américaines. On l’a vu sur les dossiers syriens et ukrainiens. Cela pose quand même un problème car peut-on dire que les intérêts américains et européens sont parfaitement alignés ? Je n’en suis pas certain. Est-ce dans l’intérêt de l’Europe de se brouiller avec son voisin russe ou avec l’Iran ? N’y aurait-il pas un intérêt à jouer une carte intermédiaire, qui ne soit ni celle des Etats-Unis ni celle de la Russie ? Je laisse le soin aux géopolitologues de répondre à cette question.
Comment la Russie de Poutine considère-t-elle l’exceptionnalisme américain ?
Une des thèses de mon livre est de dire que les modèles américains et russes sont moins éloignés qu’on veut bien le croire, au moins du point de vue idéologique et culturel. Les deux pays partagent un même sentiment national très affirmé, avec un rôle politique du religieux encore très fort. Des deux côtés, les communautés nationales s’appuient sur des mythes fondateurs très puissants. Et en effet, les deux pays se fondent sur une certaine idée de l’exceptionnalisme, c’est à dire qu’ils ont la conviction qu’ils jouent un rôle qui dépasse le cadre purement national.
Mais paradoxalement, Poutine a ouvertement attaqué l’exceptionnalisme américain, notamment dans une tribune publiée dans le New York Times en 2013. Voici en substance le propos de Poutine, qui réagissait à un discours d’Obama qui exaltait le rôle exceptionnel de l’Amérique dans le monde : il est très dangereux de se croire exceptionnel car cela va à l’encontre de la nécessaire diversité et égalité entre les nations. « Nous ne devons pas oublier que Dieu nous a créés égaux » rappelait Poutine en conclusion, dans un pied-de-nez adressé à Obama qui lui aussi avait, dans son discours, fait référence à Dieu pour justifier la défense des libertés dans le monde. Pour Poutine, l’exceptionnalisme américain n’est que le prétexte d’une domination morale imposée au monde, là où lui défend, nous l’avons dit, les souverainetés et les particularités nationales.
On pourra évidemment, non sans raison, considérer qu’il y a une contradiction entre ce discours et l’attitude de la Russie en Crimée, peu respectueuse de la souveraineté ukrainienne (sans nier les liens historiques profonds qui unissent l’Ukraine, notamment sa partie est, avec la Russie)…
Pourquoi les partisans de Vladimir Poutine en France sont-ils régulièrement brocardés comme étant des « extrémistes » ?
Vladimir Poutine reste, dans l’opinion publique française, un personnage autoritaire, brutal. Les morts suspectes d’opposants viennent aussi ternir considérablement son image.
Mais il ne faut pas oublier que Vladimir Poutine séduit bien au-delà du cercle des « radicaux ». Il y a en effet des politiques peu subtils qui font l’erreur inverse des atlantistes, c’est-à-dire qui se rangent constamment derrière la Russie quel que soit le sujet. Il y a aussi le Front national, financé par des investisseurs privés russes, qui voit dans Poutine une sorte de fantasme de ce qu’ils souhaitent pour la France. Il y aussi des gens comme Jean-Luc Mélenchon, dont l’amitié pour Poutine tient plus de l’anti-américanisme qu’autre chose (car quoi de commun entre le conservateur Poutine et le progressiste Mélenchon ?). Mais dans l’entre-deux, il y a des gens beaucoup plus raisonnables et de tous bords, comme Hubert Védrine, Dominique de Villepin, Henri Guaino ou François Fillon, qui défendent une relation plus apaisée avec la Russie et une plus grande indépendance de la France et de l’Europe vis-à-vis des puissances étrangères, notamment des Etats-Unis. Nul extrémisme dans ce positionnement-là.
Y a-t-il une différence de nature entre la stature de Vladimir Poutine et celle des dirigeants européens ? La notion de « chef d’Etat» est-elle mieux incarnée par le premier que par les seconds ?
« Il incarne ! », se moquait Louis-Ferdinand Céline du maréchal Pétain dans D’un château l’autre … Méfions-nous de ceux qui veulent « incarner », donc. Mais il est certain que le succès de Poutine doit beaucoup au fait qu’il représente une sorte d’animal politique disparu en Europe. Les démocraties libérales ont cette tendance naturelle, parce qu’elles se construisent – et c’est leur grande faiblesse – sur des fondements essentiellement juridiques, de faire émerger des dirigeants purement technocrates, très compétents mais incapables de prendre en compte la dimension symbolique, quasi-métaphysique, qu’impose l’exercice du pouvoir.
Un récent sondage montrait que 40% des Français étaient favorables à un gouvernement autoritaire. C’est une tendance de fond dans les sociétés démocratiques, où réside une sorte de nostalgie des grands hommes. Poutine représente aussi cette nostalgie-là. De Gaulle avait fondé une grande partie de sa légitimité sur le mythe qu’il s’était construit autour de sa personne : le grand stratège militaire, la résistance, la libération de Paris, le monarque républicain… Quels mythes fondent la légitimité de François Hollande, d’Angela Merkel, de Matteo Renzi ? Aucun.
J’aimerais conclure sur un exemple récent qui me semble tout à fait caractéristique de ce dont nous parlons ici. Il y a quelques semaines, la Russie a organisé, au sein de l’amphithéâtre de la ville de Palmyre libérée de l’Etat islamique, un concert symphonique où furent joués Prokoviev et Bach (un compositeur russe et un compositeur européen, ce n’est pas anodin). Quelques semaines plus tard, la France décidait d’organiser, à l’occasion de la commémoration du centenaire de la bataille de Verdun, un concert de rap, avant que la polémique n’oblige le maire de Verdun à annuler cette absurdité. D’un côté on a fait entendre ce que la civilisation a produit de plus noble et de plus élevé, de l’autre ce qu’elle produit de plus médiocre. La force de Poutine, c’est aussi cela : comprendre que la politique est aussi une affaire de symboles, de grandeur et d’élévation. Nous Européens avons oublié cela depuis longtemps. Céline, encore lui, avait prévenu : « Nous crevons d’être sans légende, sans mystère, sans grandeur ». •
Né en 1986, Mathieu Slama intervient de façon régulière dans les médias, notamment dans le FigaroVox sur les questions de politique internationale. Un des premiers en France à avoir décrypté la propagande de l’Etat islamique, il a publié plusieurs articles sur la stratégie de Poutine vis-à-vis de l’Europe et de l’Occident. Son premier livre, La guerre des mondes, réflexion sur la croisade de Poutine contre l’Ocident vient de sortir aux éditions de Fallois.
Entretien par Eléonore de Vulpillières
Ils n’ont pasl’air malins ceux qui pronostiquaient l’effondrement de Poutine, il y a un an ou deux. Même ici dans les commentaires. Mais LFAR voyait juste …