par Jérôme Leroy
Un billet de Jérôme Leroy comme on les apprécie – pour leur élégance, leur style et leur pertinence. Qui plus est sur un auteur qui fut, on le sait, en quelque sorte de notre famille d’esprit et de goût. [Causeur 28.06]
Il ne faut laisser dire à personne que 25 ans est le plus bel âge de la mort. La preuve par Antoine Blondin, disparu le 7 juin 1991 à son domicile de la rue Mazarine. Il est aujourd’hui réduit à une légende et c’est toujours ennuyeux pour un écrivain. Une légende dispense de vous lire. Quelques clichés d’une panoplie littéraire pour néo-néo-néohussards continuent à circuler comme des mots de passe bien sympathiques mais, à la longue, ils feraient oublier que Blondin était d’abord un grand écrivain et, de surcroît, un grand écrivain détruit par l’alcool. Il n’a d’ailleurs jamais voulu faire l’apologie de l’ivresse comme il le déclarait lui-même à propos d’Un singe en hiver : « Il ne s’agit pas ici d’un plaidoyer pour la boisson ni même de lui fournir une justification. À la rigueur, j’admets que j’ai peut-être voulu expliquer certains mécanismes qui induisent des êtres à boire. »
Faire de lui le Socrate vieillissant des bars du 6e arrondissement, le saint buveur qui recherchait les « verres de contact », selon sa jolie expression, c’est refuser de voir d’abord une déchéance dont les témoins furent nombreux et, pour les plus honnêtes d’entre eux, nous laissent une vision beaucoup moins lyrique. Le 21 mai 1993, Michel Déon, qui formait avec Blondin, Nimier et Laurent le noyau historique de ceux que Bernard Frank avait appelés les hussards pour mieux les assassiner, déclarait : « L’homme avili que j’ai croisé ce jour-là rue Mazarine, le presque clochard à demi édenté, au visage déformé par l’alcool, à la démarche titubante et au vin mauvais, ce n’était pas Blondin. » Même son de cloche, sur ces dernières années, de la part de Christian Millau qui se souvient dans son Galop des Hussards : « Je ne m’en sens pas autrement fier mais j’avoue que plusieurs fois, l’apercevant près de la Seine ou à Saint-Germain-des-Prés, pressé de regagner l’un de ses abreuvoirs, j’avais lâchement traversé la rue pour l’éviter. »
Autre exemple de cette fausse postérité qui est celle de Blondin, c’est le succès que rencontra au cinéma l’adaptation par Henri Verneuil en 1961 d’Un singe en hiver, son roman de 1959 qui reçut le prix Interallié. Deux monstres sacrés, Jean-Paul Belmondo et Jean Gabin y jouaient les rôles principaux sur des dialogues de Michel Audiard, propulsant le film dans le panthéon populaire du cinéma français où il siège encore en bonne place aujourd’hui. En soi, la chose est plutôt plaisante, sauf quand on en oublie le livre qui en est à l’origine.
Qu’on me permette une anecdote personnelle à ce sujet. Alors que je feuilletais le roman à une terrasse de bistrot dans la perspective de cet article, mon voisin me demanda très gentiment ce que je lisais. Je lui montrai la couverture du livre, il fronça un instant les sourcils dans un effort de mémoire puis son regard s’illumina et il dit : « Mais c’est pas le film avec Bebel et Gabin, ça ? », avant de fredonner « Nuit de Chine, nuit câline ! », la chanson entonnée par les deux héros en pleine dérive nocturne. Et je m’aperçus alors que moi-même, j’étais inconsciemment obligé, depuis le début de cette relecture, de faire un effort pour ne pas me laisser imposer le visage des acteurs sur celui des personnages afin de redonner au roman sa fraîcheur originelle.
Retrouver Blondin écrivain, et seulement écrivain, n’est donc pas chose aisée. C’est pour cela qu’on est reconnaissant à Alain Cresciucci, déjà auteur d’une biographie de référence de Blondin en 2004 où lui aussi nuançait fortement cette héroïsation factice de l’ivrognerie, de nous donner, pour fêter le quart de siècle dans l’au-delà de celui qui disait comme Hugo, « Je suis un homme qui pense à autre chose », Le Monde (imaginaire) d’Antoine Blondin, un essai vif, documenté, précis sur une œuvre finalement méconnue. •
Jérôme Leroy
Ecrivain et rédacteur en chef culture de Causeur.
J’ai écrit plusieurs fois à Antoine Blondin, aux temps où, avec François Davin, je rencontrais des écrivains, des artistes, des historiens pour « Je suis Français » ; il ne m’a jamais répondu. Sans doute était-il déjà entré, au début des années 80 dans ce long tunnel de la déchéance…