Une analyse d’Alexandre Devecchio
« Les veilleurs » ont été chassés de Nuit debout à Paris par des « antifa » ultra-violents. Derrière cet épisode, Alexandre Devecchio voit l’émergence d’une « génération zombifiée » qui donne libre cours à ses pulsions nihilistes. Derrière l’anecdote, une réflexion intéressante … LFAR
Des morts assoiffés de sang s’attaquent aux vivants. C’est le scénario aussi simple qu’efficace de La Nuit des morts vivants. Sortie en 1968, ce film d’épouvante signé George Romero connaît un succès critique et public immédiat, devient culte et ouvre la porte à une véritable saga. Derrière les scènes gore se cache un discours subversif : la métaphore d’une humanité déshumanisée, la critique d’une Amérique zombie capable de basculer à tout moment dans l’ultraviolence. Le second épisode de la série, justement intitulé Zombie (1978) est encore plus politique. L’histoire se déroule dans un centre commercial assiégé par une armée de morts-vivants. Les zombies qui s’agglutinent aux vitres évoquent la cohue des soldes et le film sonne comme une charge contre la société de consommation.
Ce mercredi 8 juin, Nuit debout a pris des allures de nuit des morts vivants. Alors que le mouvement fête son « 100 mars », le « grand soir » annoncé se transforme en crépuscule morbide. Les Veilleurs, mouvement de réflexion né de la Manif pour tous, sont venus pour échanger, naïvement persuadés de partager avec les noctambules un même combat contre le néo-libéralisme mondialisé. Mais les « coucous » catholiques ne sont pas davantage les bienvenus que les philosophes trop curieux. Comme Alain Finkielkraut, il y a quelques semaines, le petit groupe est chassé de la place de la République désormais privatisée par les prétendus contempteurs de la loi de la jungle du marché. Réfugiée sur une passerelle du Canal Saint-Martin, quai de Valmy, la petite troupe tente d’insuffler un peu de poésie dans ce monde de brutes. Assis à même le sol, une vingtaine de Veilleurs, de tous les âges, entonnent des chants, lisent des textes de Bernanos ou de La Fontaine.
Le répit est de courte durée. Une autre nuit debout commence alors : les yeux exorbités, le visage déformé par la haine, une horde sauvage de punks à chien, armée de barres de fer, de tessons de bouteilles, et de poings américains, débarque pour en découdre. Les intrus, qui tentent de résister pacifiquement, sont rapidement encerclés, et pour certains, en particulier les plus âgés, roués de coups. Les journalistes présents qui tentent de prendre des photos sont immédiatement menacés. Les passants, indifférents profitent du « spectacle » en sirotant une bière comme devant un match de foot, tandis que la police arrive après la bataille. Certains observateurs jugent l’épisode anecdotique et renvoient dos à dos « Veilleurs » et « antifa ». C’est faire fi de la brutalité effrayante des assaillants. La scène, loin d’être insignifiante, témoigne au contraire de la déliquescence d’une partie de la jeunesse et de la gauche.
Derrière des slogans aussi élaborés que « Cassez-vous les fachos ! » ou «connards d’homophobes ! », ces militants radicaux qui se revendiquent de Nuit debout cachent mal leur vacuité idéologique. La déconstruction soixante-huitarde s’est muée en désintégration. L’anarchie joyeuse de la génération Cohn-Bendit en rage destructrice de la « génération radicale ». Le gauchisme culturel en inquisition vociférante. Au nom de la liberté, ces sans-culottes post-modernes font régner leur terreur. Au nom de l’antifascisme, ces résistants autoproclamés imposent leur loi. Leur combat politique n’est qu’un prétexte pour donner libre cours à leurs pulsions de violence. S’ils ne sont pas armés de kalachnikovs, leur mélange de fanatisme et de nihilisme est le même carburant que celui des pantins de Daech, décérébrés par le consumérisme et manipulés par les salafistes. Pascal Bruckner ne disait pas autre chose quand dans Le Figaro il s’inquiétait de la jonction éventuelle entre « les casseurs » et « les fous de Dieu ». Nous en sommes heureusement très loin, mais cette « nuit des morts-vivants » témoigne de la fragmentation inquiétante de la jeunesse française et de l’émergence d’une génération « zombifiée ». •
Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro en charge du FigaroVox. Chaque semaine, il y observe le mouvement des idées. Il est également co-fondateur du Comité Orwell. Retrouvez-le sur son compte twitter @AlexDevecchio
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