Alain de Benoist se livre ici à une remarquable analyse de la situation actuelle du journalisme français [Boulevard Voltaire 22.06]. Il y a déjà trente ou quarante ans, Marcel Jullian nous annonçait la disparition de la censure, devenue inutile, pour les raisons actualisées qu’expose ici Alain de Benoist. Mais, sur un plan plus vaste, ce sujet nous renvoie à L’avenir de l’Intelligence, cet immense petit livre qui prophétisait dès 1905 notre âge de fer. Y-a-t-il aujourd’hui de nouvelles perspectives de cette réaction des intellectuels à laquelle Maurras appelait comme un élément essentiel d’une possible renaissance ? La réponse est oui, sans-doute. LFAR
La presse, en France tout au moins, se porte de plus en plus mal. Pourquoi ?
La mauvaise santé de la presse, longtemps maintenue sous perfusion étatique et subventions publicitaires, est aujourd’hui à peu près générale : baisse du tirage et de la diffusion, plans sociaux et licenciements, réductions de la pagination, cessions de titres, concentrations tous azimuts. Avec l’explosion du numérique, les gens lisent de moins en moins. Mais la principale raison de la crise est que la presse est discréditée. Les gens ne croient plus ce qu’ils lisent, parce qu’ils constatent un trop grand écart avec ce qu’ils constatent autour d’eux. Ils ont cessé de croire les journalistes comme ils ont cessé de croire les hommes politiques. Alors, ils arrêtent de lire – sans pour autant cesser d’être vulnérables. Dans L’Enracinement, Simone Weil écrivait déjà : « Le public se défie des journaux, mais sa méfiance ne le protège pas. »
La France n’arrive plus qu’en 45e position au classement sur la liberté de la presse publié depuis 2002 par Reporters sans frontières (RSF), où l’on n’hésite plus à parler de « disparition du pluralisme ». Cela vous étonne ?
Autrefois, la pensée unique, c’était un journal unique publié sous le contrôle d’un parti unique. Aujourd’hui, même s’il ne faut pas généraliser (il y a toujours des exceptions), il y a une foule de journaux, mais qui disent tous plus ou moins la même chose. On peut en dire autant des chaînes de radio ou de télévision. L’emprise déformante des médias résulte en grande partie de cette unicité de discours, qui trouve son parallèle dans le recentrage des discours politiques. La raison en est que la plupart des journalistes appartiennent au même milieu, où l’information, la politique et le show-business s’interpénètrent. Ils y multiplient les relations incestueuses, si bien que leurs opinions, plus ou moins identiques, se renforcent mutuellement.
Nous ne sommes plus, par ailleurs, à l’époque où les journaux étaient dirigés par des journalistes, et les maisons d’édition par des éditeurs. Aujourd’hui, les grands journaux sont dirigés par des banquiers, des hommes d’affaires, des industriels de l’armement, tous personnages qui ne s’intéressent à l’information que parce qu’elle leur permet d’orienter les esprits dans un sens conforme à leurs intérêts. L’homogénéité mentale des journalistes est en adéquation avec les bases matérielles de la production. Le pluralisme n’est plus, dès lors, qu’affaire d’apparence. Un seul exemple : au cours de son récent voyage en Israël, Manuel Valls était interviewé par quatre journalistes différents (Paul Amar, Christophe Barbier, Laurent Joffrin et Apolline de Malherbe) représentant quatre médias différents : i24news, BFM TV, L’Express et Libération. Or, ces quatre médias ont un seul et unique propriétaire : Patrick Drahi !
Les gens sont de plus en plus conscients de la désinformation. Mais ils l’interprètent mal. En dehors de quelques désinformateurs professionnels, généralement payés pour faire passer des informations qu’ils savent être mensongères, la grande majorité des journalistes est parfaitement sincère. Elle croit ce qu’elle dit, parce qu’elle est prisonnière de ce qu’elle propage. Les journalistes sont persuadés d’être toujours dans le vrai parce qu’ils sont eux-mêmes victimes des stratégies de persuasion qu’ils relaient.
Il n’y a que la droite la plus ringarde pour croire que les journalistes sont des « gaucho-communistes » ou d’affreux « trotskistes ». L’immense majorité d’entre eux adhèrent en fait à la vulgate libérale-libertaire, ce mélange d’idéologie des droits de l’homme, d’antiracisme de convenance, de « progressisme » niais, de révérence au marché et de politiquement correct. Ils en reprennent tous les mantras, unanimes à condamner le populisme, le protectionnisme, l’identité, la souveraineté, tous persuadés que les hommes sont partout les mêmes et que leur avenir est de se convertir au grand marché mondial. Résultat : alors que dans la plupart des pays les journalistes sont les premières victimes de la censure, en France ils en sont les vecteurs.
Le journalisme n’est pas un métier facile. Il demande de l’humilité. Aujourd’hui, c’est un surcroît de prétention qui y règne. Il suffit de voir l’arrogance des journalistes face aux hommes politiques et leur complaisance face aux vedettes du star system pour comprendre que l’idée s’est répandue chez eux que la fonction qu’ils occupent leur donne une supériorité intrinsèque sur leurs interlocuteurs et un droit absolu de diriger les consciences. Ingrid Riocreux décrit très bien cela dans son livre, La Langue des médias.
Tandis que la presse papier se vend de moins en moins, les médias alternatifs, de Mediapart à Boulevard Voltaire, connaissent de plus en plus de succès sur Internet. Est-ce à dire que l’avenir de la « réinformation » passe par le numérique ?
Marcel Proust écrivait, dans Jean Santeuil : « Les journalistes ne sont pas seulement injustes, ils rendent ceux qui les lisent injustes. » La contre-information, ou réinformation, que l’on trouve sur Internet constitue certes un utile contrepoids au « faux sans réplique » (Guy Debord) de la propagande officielle. Mais ce contrepoids s’exerce trop souvent par recours à une propagande en sens inverse, où le besoin de vérité ne trouve pas son compte. Un parti pris et son contraire, cela fait deux partis pris. Le grand problème des médias alternatifs est que, sur Internet, il n’y a pas de responsabilité de la part de ceux qui écrivent, et que le scepticisme peut y être facilement exploité par des détraqués : les réseaux sociaux sont un amplificateur naturel de fausses nouvelles. La « réinfosphère » vise à satisfaire ceux qui refusent la partialité des médias dominants, mais elle ne donne pas plus que les grands médias la possibilité de vérifier les informations qu’elle propose. Cela ne peut satisfaire ceux qui aspirent, non pas seulement à trouver quelque part le reflet de ce qu’ils pensent, mais à l’existence d’une vraie presse d’information. •
Entretien réalisé par Nicolas Gauthier
Chaque médium est porté, en raison de ses déterminations propres, à privilégier une vision du monde, et donc une idéologie sociale. Mais il ne faut pas oublier que l’information n’est jamais donnée de manière brute. Les journalistes sélectionnent, consciemment ou non, les informations selon qu’elles correspondent ou non à leur grille, c’est-à-dire à la vision du monde que les médias leur imposent.
Vous lancez un débat tout à fait passionnant. Nous abordons tous la lecture d’un journal écrit avec nos convictions, valeurs et certitudes. J’apprécie la lecture d’un journal qui respecte les miennes sans pour autant s’en faire le serviteur zélé et partial. Avant tout, j’apprécie que la substance d’un article de journal révèle un travail sérieux et honnête du journaliste, en résumé son professionnalisme, même si sa conclusion implicite ou explicite va à l’encontre de ce que je pense a priori. Je ne partage pas toujours, loin s’en faut, les a priori politiques de mon quotidien favori mais j’apprécie la qualité de ses articles. Souvent, le public associe, à tort, l’opinion d’un journal aux points de vue exprimés dans des chroniques ou tribunes écrites par des personnalités extérieures. Certes, le choix de donner une place à une personnalité extérieure plutôt qu’à une autre révèle le biais d’un journal. Le lecteur ne doit pas être dupe et il lui appartient de juger la qualité de ce qu’il lit. Il se doit de démasquer la mauvaise foi qui n’est pas toujours flagrante.
Liberté de la presse
Ayant demandé un jour à un de mes amis qui avait lancé une publication aux USA, à quel niveau de conceptualisation du contenu il pensait la situer pour pouvoir trouver un public qui l’achèterait, sa réponse fut immédiate et sans appel : « Le niveau d’intelligence du plus bête, divisé par le nombre d’acheteurs ». Certes, nous ne sommes pas aux USA et nos media subventionnés auraient pu échapper à ce théorème, si seulement ceux promotionnés par le socialisme étatiste, avaient comporté la moindre trace de vérité, mais à l’évidence c’était faux, ainsi qu’il l’ont amplement démontré. Aujourd’hui, 60% d l’information des média à direction du grand public est composée de faits divers, où l’émotion remplace volontairement la réflexion, permettant ainsi d’orienter le lecteur vers les deux mamelles du contrôle des comportements, la sociologie politique et le marketing. Par ailleurs les messages se font faits plus courts, en raison de leur cout, et de la simplification du langage ainsi que des images afin de déclencher le réflexe comportemental adéquat. Le fait que parallèlement l’Etat ait troqué sa tutelle juridique, pour celle moins visible des subventions, n’a fait que renforcer cet état de fait. En effet, les finances des media ont fini par se dégrader par manque de public, en raison de ce qui fut présenté comme la primauté dite intellectuelle des sociétés de journalistes sur les détenteurs, au nom de la liberté, et donc détachés des contraintes matérielles réputées vulgaires,ou « révisionnistes », alors que la dite pensée se résumait progressivement à des slogans politiques ou marketing, c’est selon, qui ne concourent pas à la rentabilité des publications, mais seulement à leur survie. Ceci permet de maintenir par les subventions, les malades la tête hors de l’eau, et en fait, bien opportunément, des obligés. La segmentation des lectorats/ auditeurs/spectateurs cibles aura fait le reste pour combler en terme d’efficience, les vides de clients disparus. Dans le même temps, la logique des systèmes a favorisé la mise en place de hiérarchies, ou plus simplement de cooptation soit en matrix soit en vertical, de personnels de mêmes orientation, voire de même gouts, aidée naturellement en cela par les maitres des subventions, qui logiquement souhaitent des gens dociles, ou plus simplement commodes, en place, sans avoir à les imposer de manière trop visible. Le système s’entretient tout seul comme une sorte de machine von Neuman qui aurait à sa disposition la garantie d’une autonomie subventionnée par la publicité et la fiscalité, ainsi que la matière avec les journalistes. Dans ces conditions, il est patent qu’un tel système ne peut que veiller primordialement à sa survie par la surveillance constante de la pérennité de la garantie de son état, tout en souffrant lentement d’entropie favorisant une dégénérescence de ses capacités. Les individus, dans le système, ne se rendent même pas compte de leur sujétion, ils trouvent des compensations dans l’idéalisation de leurs tâches, la croyance dans des slogans, qui pour ne pas refléter la réalité de leur travail, n’en sont pas moins vécus comme des idéaux à atteindre, auxquels ils sont persuadés de concourir par l’exercice de leur métier, toujours auréolé des qualités de défenseurs de la liberté, quand beaucoup d’articles commencent aujourd’hui à être écrits, dans une certaine presse, par des ordinateurs, à l’aide d’algorithmes. Il est temps que le journalisme reprenne le chemin de sa raison d’être, la liberté de pensée, d’analyser, de décrire sans déformer, les faits, et de séparer ceux-ci, du commentaire et de l’interprétation. Toute une éthique à refonder, en somme, ce que tentent les nouvelles formes de media, avec bien évidemment des résultats inégaux, mais le monde ici-bas est bien loin d’être parfait, et pourtant il progresse, qu’ils en soient remerciés.