Par Camille Pascal
Au moment de baptiser le musée du Quai Branly du nom de l’ancien président, il est aussi temps de revenir sur un bilan en demi-teinte. Camille Pascal le fait avec une réflexion elle aussi en demi-teinte et qui est fort intéressante autant par ce qu’elle dit que par ce qu’elle hésite à dire ou par ce qu’elle sous-entend. Et qui est, justement, l’essentiel. Exemple : lorsqu’il écrit, à propos de Chirac : « cet héritier du petit père Queuille » , tout est dit. A l’heure du bilan, l’on pourrait ajouter au passif le criminel regroupement familial, décidé par Chirac bien avant d’être président de la République. Mais les réserves, elles aussi en demi-teinte, que Camille Pascal laisse poindre ici [Valeurs actuelles, 24.06], il est bien possible qu’elles seront un jour l’essentiel du bilan que l’histoire retiendra de Jacques Chirac. Sur ce dernier, il y a, d’ailleurs, des pages, des récits, des réflexions très éclairantes, dans le dernier ouvrage de Philippe de Villiers*. On ignore si Camille Pascal les a lues. LFAR
A l’heure où le gouvernement français vient de décider de donner au musée des arts premiers du Quai Branly le nom de Jacques Chirac, suivant en cela la tradition régalienne déjà bien installée qui a baptisé le Centre Georges-Pompidou et la BnF François-Mitterrand, la question de la place que le cinquième président élu de la Ve République doit occuper dans l’histoire de notre pays se pose désormais ouvertement.
C’est bien sûr un exercice délicat. Dans la mesure où Jacques Chirac est toujours de ce monde, les historiens ne peuvent pas encore revendiquer sa dépouille. Il n’en demeure pas moins qu’après les hommages plus ou moins intéressés qui vont se succéder dans les prochaines semaines, il faudra bien tirer le bilan de la longue décennie qui va de 1995 à 2007 et qui a marqué, chronologiquement tout au moins, le basculement de la France dans le troisième millénaire.
Deux élections présidentielles hors normes ont permis à Jacques Chirac d’être élu par deux fois président de la République au suffrage universel. La première fois en 1995, alors que, donné battu par tous les sondages et moqué par ces commentateurs dont le métier est de se tromper, il évinça Édouard Balladur et l’emporta contre Lionel Jospin auquel le même suffrage universel allait offrir deux ans plus tard une incroyable revanche ouvrant la voie à cinq ans de cohabitation. En 2002 enfin, tout le monde s’en souvient, le vieux lion balzacien, que l’on disait “usé, vieilli et fatigué”, bénéficia d’un véritable plébiscite contre un autre grand carnassier de la vie politique française.
La marque laissée par Jacques Chirac sur notre pays reste néanmoins assez difficile à discerner et ce, non seulement parce que le recul historique manque encore mais aussi parce que la ligne politique de cet héritier du petit père Queuille reste encore nimbée d’ambiguïtés.
C’est ainsi que si, dès le début de son premier mandat, Jacques Chirac affirma son attachement à la théorie gaullienne de l’indépendance stratégique de la France en ordonnant la reprise immédiate des essais nucléaires, sa décision de mettre fin, un an plus tard, à la conscription, qui, depuis 1798, était consubstantielle à la République française, a contribué, à n’en pas douter, à désarmer le pays face aux enjeux tant idéologiques que stratégiques qui sont ceux que notre pays doit aujourd’hui affronter. Non pas que le “service militaire” jouât encore, à la fin du siècle dernier, un rôle majeur dans une politique de défense mais parce qu’il était le creuset dans lequel les différences sociales, régionales et religieuses se fondaient pour donner naissance à des citoyens.
Il en va de même du refus obstiné que Jacques Chirac opposa à l’inscription des racines chrétiennes de l’Europe dans le nouveau projet de Constitution européenne. Il est certain qu’avec son entourage, à l’exception notable de sa femme, Bernadette, il fut sincèrement convaincu d’agir, là encore, en homme d’avenir. Il est à craindre que l’histoire ne vienne démontrer qu’il s’agissait là en réalité d’un réflexe du passé. •
* Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Albin Michel, , 350 p.
Une fois encore, Camille Pascal lève pour nous, avec talent, le voile, discret des réalités politiques. Curieux empressement, quelque peu indécent, de la part du gouvernement de donner maintenant le nom de Jacques Chirac au musée de son invention. En paraphrasant précisément Michel Audiard, dont il est question dans le même numéro de La Faute à Rousseau, on pourrait dire qu’on peut admettre le côté hommage, mais que côté exploitation, il y aurait à redire. Il est en effet d’usage d’attendre, pour l’honorer, de pouvoir parler d’un être, comme d’un cher disparu, ce qui n’est pas, le cas à ce jour de l’ancien Président de la République. Doit-on y voir la main conseillère, et charognarde, des « commu- niquants » de l’Élysée, pour permettre une récupération adéquate de l’image « petit père Queuille », de celui qu’on veut ainsi honorer ? On serait tenté de le croire, tant le personnage décevant, triste Hollande désemparé, qui hante maladroitement aujourd’hui l’ancien palais de la Pompadour, nous a habitué aux intrigues tordues et bâclées, des mauvais romans de gare, et aux soudaines amitiés intéressées. On fera remarquer toutefois que ces chewing-gums communicants ultra-mâchés, et collés sur une actualité fabriquée, pour servir les desseins d’un Machiavel de comptoir, n’ont guère profité à ce dernier jusqu’à présent, tant ils ont toujours senti le ragout politicien. Il ne suffit pas en effet de se rapprocher de quelqu’un sur une photo pour bénéficier de sa photogénie, c’est parfois tout le contraire, et c’est bien ici le cas, l’observateur ne trouvera dans une comparaison que bien peu de réelle ressemblance entre les deux présidents, et même une certaine nostalgie de celui qui s’éteint.