Vendée créole – La chouannerie en Martinique, Odile de Lacoste Lareymondie, Via romana, 2015, 89 pages, 15 euros
Quatrième de couverture :
Histoire inconnue du grand public et ignorée des manuels scolaires, la victoire de la Vendée créole contre la République en 1794 fut celle des blancs, mulâtres et noirs unis dans une même résistance à la barbarie révolutionnaire.
Mais quelles furent les motivations, les figures et les campagnes de cette armée fidèle à son Dieu, fidèle à son roi ? Qui connaît encore l’incroyable destinée de son chef, Bernard de Percin, le Charette de la Martinique, celle de Dubuc de Marcoussy le fier artilleur, de Sainte-Catherine et Montlouis Jaham à la tête de leurs compagnies d’hommes de couleur ?
Odile de Lacoste Lareymondie est la descendante directe de ce Percin-canon dont elle fait revivre l’épopée, ce « triomphe des humbles sur les chimères des coupeurs de têtes jacobins ».
Sa courte monographie se lit très facilement mais, surtout, très agréablement et très utilement, car elle rend bien compte de l’essentiel : dans une société raffinée, sur une île paradisiaque, dans un monde où tout respirait la joie de vivre, l’irruption foudroyante de la folie sanguinaire des idéologues.
On pense évidemment à Talleyrand : « Qui n’a pas vécu dans les années voisines de 1789 ne sait pas ce que c’est que le plaisir de vivre », mais aussi à ce passage de la correspondance entre Voltaire et Frédéric II de Prusse, que Gustave Thibon aimait à citer, dans lequel Frédéric écrit : « Nous avons connu, mon cher Voltaire, le fanatisme de la Religion; un jour, peut-être, connaitrons-nous celui de la Raison, et ce sera bien pire !… »
C’est ainsi que commence l’histoire contée par Odile de Lacoste Lareymondie : dans la douceur de vivre, l’insouciance, la légèreté. Puis, très vite, les choses s’accélèrent : de la métropole n’arrivent plus que des nouvelles de fureur, de Terreur; et, surtout, de sinistres représentants d’un pouvoir fanatique, intolérant, brutale et, très bientôt, sanguinaire… :
(page 78) « …Rochambeau est vainqueur (ci contre; il est le fils du Rochambeau envoyé par Louis XVI aux Amériques, ndlr). Il est maître de la Martinique, installe toutes les lois de la Convention nationale : tribunal révolutionnaire, guillotine, chasse aux clercs, fermeture des églises, confiscation des biens des émigrés.
Alors commence une chasse aux esclaves perdus ou enfuis, les nègres marrons, ceux qui n’ont plus de maîtres, plus de maison, et il les fait fermement rentrer dans leur état d’esclaves, et les répartit sur les habitations encore debout.
La Martinique s’enferme dans la Terreur révolutionnaire, coupée de ses voisins par un blocus décidé par Rochambeau, pour empêcher le retour des émigrés et des Anglais… »
Mais la Martinique ne va pas se laisser faire, et Bernard Percin va devenir le symbole de la résistance, dont le point d’orgue sera l’action dite « Bataille de l’Acajou », qui se déroula sur les deux jours des 24 et 25 septembre 1970…
(page 36) : « …Le 24 septembre 1790, un détachement de la garde nationale quitte Fort-Royal : ils sont vingt, commandés par Labarthe, un pharmacien, pour chercher des vivres, des hommes et des mulets… Prévenu par ses guetteurs (…) Bernard attend le signal chez son ami Barthouil, dans la plaine du Lamentin (ci contre) (…) Avec ses mulâtres, il fond sur le détachement. Tapis dans les marais, les hommes tirent et font mouche avec leurs fusils. Plusieurs révolutionnaires tombent; Bernard se réserve Labarthe. Il avance vers lui et, de ses deux pistolets, l’abat. Le reste de la petite troupe s’enfuit… »
Ensuite, Bernard va tendre un piège aux républicains, venus venger leurs camarades, et les attaquer, exactement comme le faisaient vendéens et chouans :
(pages 37 à 40) : « …Nous sommes le 25 septembre 1970, en pleine saison des pluies, et le niveau de la mangrove est assez haut (…) et l’ennemi arrive : 1.400 hommes sortent de Fort-Royal pour se diriger sur le Lamentin, puis le Gros-Morne. 600 hommes au Pain de Sucre, sur la côte atlantique, doivent les rejoindre au Gros-Morne sous les ordres de Bacquié. Chabrol, à la tête de 500 soldats, se sépare de la colonne et choisit un autre sentier pendant que Dugommier et ses 900 hommes avancent en direction de l’Acajou où ils doivent faire leur jonction. Les grenadiers sont en tête, quatre pièces d’artillerie suivent; tous ces hommes ont chaud, ils sont moites, et une grosse pluie tropicale s’abat sur eux.
Arrivés trempés à la Trompeuse, ils s’engagent sur le chemin encombré de débris d’arbres, de cocos, de palmes, d’arbres du voyageur éparpillés. Les habitants (surnom donné aux « locaux », face aux républicains venus de métropole, ndlr) laissent l’ennemi approcher, avancer au milieu de cette barricade, au pas, les chevaux hennissent, leurs pattes empêtrées dans ces obstacles, toute la troupe se retrouve dans ce dédale au ralenti.
Dugué, fils, les observe, tapi avec ses 150 hommes dans la végétation luxuriante qui marquait la frontière avec la mangrove. Il ouvre le feu sur la queue de la colonne, qui est décimée par les tirs.
Bernard de Percin, depuis les hauteurs de l’Acajou, assiste au début de l’offensive. Il se met en marche en direction de l’habitation Jorna de la Calle pour attaquer par le flanc et renforcer Dugué. Au grand galop, il tire sur le milieu de la colonne, à la tête de sa petite troupe. (illustration : Case-Navire d enos jours, où vivait Bernard de Percin)
Courville et Dugué père, à l’Acajou, sur l’habitation Levassor, attendent, prêts à recevoir la tête de colonne qui a pu s’extraire de la barricade. Ils l’accueillent par des décharges de fusil.
Les patriotes sont en situation critique, harcelés sur trois côtés. Les habitants et les hommes de couleur, tous habiles chasseurs, abrités derrière les arbres, tirent à coup sûr.
Dugommier crie ses ordres mais les patriotes sont affolés, fuient en désordre, c’est la mêlée puis le carnage. Bernard décharge ses deux pistolets à la fois sur tout ce qui bouge, il brise son épée en combattant puis se lance à la cravache sur les canons; corps à corps, les artilleurs défendent leurs pièces, Lacoste saute sur un soldat, Perrcin prend l’autre et lui casse la tête à coup de crosse de son pistolet puis s’empare du canon. Il le point contre l’ennemi et en abat 22.
Le chemin est inondé de sang, couvert de cadavres. La moitié de la colonne (470 hommes) reste sur le champ de bataille, l’autre a pris la fuite avec Dugommier… Dugué, Lacoste, Courville, Passerat de la Chapelle ont fait 70 prisonniers. Bernard donne l’ordre à ses hommes de ramasser fusils, sabres, munitions et, fier, avec son canon, remonte au Gros-Morne suivi des trois autres pièces d’artillerie.
Les canons en service dans l’armée royale, sous Louis XVI, étaient ceux dits « de Gribeauval », très certainement les meilleurs du monde en leur temps (voir notre Ephéméride du 9 mai)…
Le gouverneur en les voyant arriver avec leur trophée s’adresse à Bernard :
– Bernard, vous êtes le plus remarquable des chefs du parti de la campagne, grâce à votre courage, vous avez pris un canon, seul, à la cravache. Nous vous devons la victoire. Cette bataille de l’Acajou va galvaniser nos troupes.
– Vive Percin, vive Percin-Canon, crie la foule des femmes et des enfants.
Le camp, couvert de gloire, s’endort dans la nuit tropicale bruissante. Victoire et son père sont rassurés : Bernard est vivant, ils ont gagné, peut-être pourra-t-on rentrer à Case-Navire et reprendre la vie paisible d’avant ? (fin du chapitre, page 40).
Malheureusement, la guerre civile follement déclenchée en métropole par la folie sanguinaire des idéologues révolutionnaires totalitaires va s’exporter « aux îles »; et il va falloir se battre, encore, pour préserver la liberté de l’homme intérieur contre les fanatiques de la Raison…
(page 56) : « …Le 13 décembre 1792, l’Assemblée coloniale déclare la guerre à la France républicaine. Les colons et l’Assemblée, sous l’autorité du gouverneur Béhague, proclament :
« Autorisés par les princes, frères du roi, ils conserveront le pavillon blanc et ne recevront aucune li ni nouvelles forces de la métropole, jusqu’à ce qu’elle soit en paix, qu’en conséquence de l’état déplorable du royaume, ils ouvrent leurs portes à toutes les nations commerçantes d’Europe et d’Amérique. »
Bernard de Percin et Gallet de Saint-Aurin se regardent, amers, eux qui ont combattu avec leurs pères les Anglais pendant des années, ils sont obligés maintenant de faire appel à eux, pour se protéger de leur mère-patrie, la France, qui les trahit… »
A partir de là, tout va très vite : le 10vril 1793, les royalistes s’emparent du Fort de la Trinité, après avoir neutralisé les batteries du Fort du Marin, tenues par les républicains. C’est toujours l’héroïque et indomptable Bernard Percin, Percin-Canon, qui mène les assauts victorieux : « Si dans cent ans – dit-il – on exhume mes ossements et qu’on les heurte les uns contre les autres, le son qui en sortira sera celui de « Vive le Roi ! »… »
« …En quelques jours, ils se rendent maîtres de Case-Pilote, du Gros-Morne, de Trinité, du Robert, du François, du Lamentin et du Marin. Une grande partie de la population, restée très attachée aux Bourbons et au clergé, les soutient activement… »(page 66). Bernard Percin a choisi d’établir un camp fixe, où il concentrera ses nombreuses prises (armes, canons, munitions…) : ce sera le Camp-Décidé. Rochambeau vient l’attaquer. Il a fait prisonnier Jaham Desrivaux, fidèle compagnon de Bernard, et l’un des meilleurs parmi les royalistes. L’assaut de Rochambeau est un désastre pour lui : humilié, affaibli par la perte de tant d’hommes et de matériel, il se venge en faisant fusiller Jaham. Pourtant, Bernard Percin était prêt à se rendre, seul, en échange de la vie de son ami et lieutenant… « Au petit matin, on vit avancer sur la savane de République-ville Jaham Desrivaux, escorté d’un détachement de soldats. Sur sa figure régnait une expression sublime et héroïque car il venait de refuser la vie qu’on voulait lui conserver à la condition de renier son parti et ses opinions. Il tomba et mourut comme il avait vécu, brave, et dévoué à Dieu et au Roi… »
Héroïsme pur, noblesse de l’âme et du coeur, sommets du dévouement : face à la plus ignoble et à la plus implacable des barbaries qu’elle ait eu à connaître dans son Histoire, partout la France suscitait des modèles et des héros; ainsi s’accomplissait, ainsi se vivait cette sentence de saint Paul, « Où le péché abonde, la grâce surabonde… »
Peu de temps après, Rochambeau réussit un coup de main sur Vert-Pré : cette défaite obligera Bernard Percin à abandonner le Camp-Décidé. Il faudra même fuir temporairement vers Trinidad (dans une zone appartenant aux Anglais et aux Espagnols) : « …Rochambeau est vainqueur. Il est maître de la Martinique, installe toutes les lois de la Convention nationale : tribunal révolutionnaire, guillotine, chasse aux clercs, fermeture des églises, confiscation des biens des émigrés… La Martinique s’enfonce dans la Terreur révolutionnaire… »
Mais, heureusement, cela ne va pas durer, et les royalistes vont revenir, bien plus vite que n’aurait pu l’imaginer Rochambeau… Ce sera le 5 février 1794 : les Anglais, contre qui les Français ont si souvent combattu, naguère, et qu’ils ont si souvent vaincus, aident cette fois-ci les royalistes à revenir « chez eux », où Rochambeau ne dispose plus que de 900 hommes, qu’il a fractionnés en trois parties égales.
« …A peine une année, et les voilà, émus, à nouveau sur leur terre… »
Il faudra malgré tout quarante-trois jours de siège pour venir à bout du dernier des trois fortins, où s’est retranché Rochambeau : son nom est tout un symbole, Fort-La-Convention ! : « …Ce 22 mars 1794, la Martinique se met sous la protection des Anglais, avec l’accord des colons. Elle garde le drapeau blanc des Bourbons. Cette protection durera sept ans, jusqu’à la paix d’Amiens, où Napoléon Bonaparte signera la paix avec les Anglais et récupèrera ainsi la Martinique.
« …Grâce à cet épisode, que l’on a appelé la « Vendée créole », et grâce à son chef Bernard de Percin, la Martinique n’aura pas connu longtemps les troubles révolutionnaires. Les idées républicaines n’auront pas eu le temps d’imprégner les esprits… C’est ainsi que, contrairement à la Guadeloupe, la Martinique a gardé pendant tout le XIXème siècle, et longtemps après, des habitudes et coutumes d’Ancien Régime. La plupart des colons ont pu rester sur place, et y sont encore. Cela fait le charme de cette île à l’atmosphère un peu Vieille France… »
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