Le farouche républicanisme des Français s’accommode d’un attrait certain pour les dynasties étrangères. Une contradiction qui pourrait renvoyer à un transfert inconscient.
PAR JEAN SÉVILLIA *
Etrange, étrange. Les Français sont républicains, et le proclament sur tous les tons. Leurs pensées sont républicaines, leurs institutions sont républicaines, tout comme leur devise nationale. Dans ce pays, tout doit être républicain pour bénéficier d’une vraie légitimité politique, intellectuelle et morale. Le seul ordre valable est l’ordre républicain, la seule bonne école est l’école républicaine, les seuls partis autorisés à gouverner sont les partis républicains. C’est le triomphe, et même l’apothéose, de la République.
Ces mêmes Français, néanmoins, sont émus lorsque la princesse Kate met au monde un nouvel héritier de la Couronne d’Angleterre, fascinés par la beauté de la reine des Belges et sensibles à la sympathie qu’inspire le jeune roi d’Espagne., Étrange.
Dans son essai Être (ou ne pas être) républicain (Cerf, 2015), l’historien du droit Frédéric Rouvillois a montré comment l’usage intempérant du mot « république » a fini par renvoyer à un concept indéfinissable.
L’apparente contradiction entre le farouche républicanisme des Français et leur intérêt avéré pour les dynasties étrangères, fût-ce sous l’angle glamour, pourrait renvoyer de même à un concept indéfinissable : étant républicains chez eux mais attirés par les monarchies étrangères, les Français ne sont pas des républicains à l’état pur, mais des monarcho-républicains. Il est à cet égard permis de se demander si l’attrait qu’exercent les têtes couronnées d’Europe chez nos compatriotes ne procéderait pas d’un transfert inconscient : le roi de France n’étant plus, l’instinct royaliste national s’exercerait en quelque sorte par procuration, en s’appliquant à des princes d’ailleurs.
Hors catégorie apparaît ainsi Élisabeth II. Ses anniversaires, ses chapeaux et ses châteaux : la presse française, et pas seulement la presse people, ne cesse de scruter les faits et gestes de celle qui a dépassé la durée de règne de la reine Victoria. Et nul de nos médias, par ailleurs si prompts à rappeler à temps et à contretemps les « grands principes » (républicains), ne s’offusque de l’insolente popularité, chez nos voisins britanniques, de cette souveraine qui a enterré on ne sait combien de présidents de la République chez nous. Personne, en France, ne prendrait le risque de réclamer l’abolition de la monarchie anglaise. Pourquoi ? Le républicanisme français serait-il donc à géométrie variable ? Les monarchies belge, espagnole, luxembourgeoise ou nordiques bénéficient également d’un capital de sympathie même s’il varie de pays à pays. De quel tréfonds monarchique est issue cette sympathie ?
Si l’on se tourne vers l’histoire, le phénomène est également frappant : les Romanov ou les Habsbourg, sujets de multiples livres, remportent un vif succès, attisé par la compassion que suscitent les malheurs subis par ce% dynasties détrônées.
Permettra-t-on une dernière question ? Chez les catholiques, en dehors de la reconnaissance de la fonction pétrinienne et du légitime respect que tout membre de l’Église romaine doit au Saint-Père, n’y a-t-il pas, dans l’attention portée au pape, une part provenant d’un réflexe monarchiste ? Décidément, les Français sont d’étranges républicains. •
* Jean Sévillia publie le 22 septembre aux éditions Perrin Écrits historiques de combat, qui rassemble pour la première fois en un volume Historiquement correct, Moralement correct et le Terrorisme intellectuel, revus, actualisés et enrichis d’une préface inédite.
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