Mathieu Bock-Côté
a publié sur son blog [27.07] une réflexion profonde qui nous intéresse particulièrement, nous qui devrions être classés parmi les opposants fondamentaux au système dominant. Mathieu Bock-Côté est, selon l’expression de Michel de Jaeghere, « mieux qu’un réactionnaire, un antimoderne », lorsqu’il constate « le caractère illusoire de la démocratie dans laquelle on pense évoluer ». Et lorsqu’il ajoute : « On s’imagine qu’en démocratie, le peuple est souverain. C’est de plus en plus faux. » Ainsi, comme jadis Bainville ou Maurras, Mathieu Bock-Côté dissipe les nuées qui nous enveloppent. Il faut en être reconnaissant, selon nous, à ce jeune intellectuel brillant, mais surtout perspicace et profond. Il n’est pas le seul de sa génération. Et c’est une grande chance. Lafautearousseau
Le référendum sur le Brexit a été un formidable révélateur du caractère illusoire de la démocratie dans laquelle on pense évoluer. On s’imagine qu’en démocratie, le peuple est souverain. C’est de plus en plus faux. On constate ces jours-ci ce que veut dire évoluer dans un système idéologique qui se prend pour le seul visage possible de la réalité – un système idéologique qui s’incarne dans un régime politique avec des capacités coercitives variées et bien réelles, et qui prétend mater le peuple au nom de la démocratie. Autrement dit, derrière les institutions démocratiques, il y a une idéologie à laquelle nous devons obligatoirement adhérer. Et ceux qui n’y adhèrent pas pleinement sont sous surveillance. Ce qui m’intéresse, ici, c’est le statut réservé à l’opposition dans le système idéologique dans lequel nous vivons. Je distinguerais, essentiellement, deux figures possibles de l’opposition.
Les opposants modérés
Il y a d’un côté les opposants « modérés », « respectables », « responsables » : ce sont les opposants qui ne contestent pas les principes même du système dans lequel nous vivons mais qui demandent seulement qu’on les applique avec modération, qu’on évite les excès idéologiques. Devant l’enthousiasme progressiste, ils n’opposent pas une autre philosophie. Ils opposent généralement leur tiédeur, ou à l’occasion, un certain scepticisme sans dimension politique. Mais fondamentalement, ils évoluent dans les paramètres idéologiques et politiques prescrits par l’idéologie dominante : ils n’en représentent qu’une version plus fade. Évidemment, les êtres humains ne sont pas toujours parfaitement domestiqués par le système idéologique dans lequel ils vivent. Si de temps en temps, les opposants modérés se rebellent un peu trop contre l’idéologie dominante, on les menace clairement : ils jouent avec le feu, flirtent avec l’inacceptable et seront relégués dans les marges du système politico-idéologique, avec une vaste compagnie d’infréquentables.
Par ailleurs, le système idéologique dominant n’est pas statique : il a tendance à toujours vouloir radicaliser les principes dont il se réclame. Un système idéologique a tendance, inévitablement, à vouloir avaler toute la réalité pour le reconstruire selon ses préceptes. D’une génération à l’autre, le progressisme étend son empire et tolère de moins en moins que des segments de la réalité s’y dérobent. Ce qui veut dire que l’opposition « modérée » doit s’adapter si elle veut demeurer « modérée » et dans les bonnes grâces du système idéologique : ses positions aujourd’hui considérées modérées seront peut-être demain considérées comme inacceptables puisque le consensus idéologique dominant aura évolué. Ce qui encore hier était toléré peut être aujourd’hui inimaginable ou simplement interdit. Par exemple, la défense de la souveraineté nationale est devenue une aberration idéologique aujourd’hui. Celui qui s’entête sur cette position encore hier tolérable mais aujourd’hui disqualifiée moralement deviendra un extrémiste malgré lui, même si ses convictions fondamentales n’ont jamais varié.
En gros, l’opposition « modérée » et respectable, celle qui a mauvaise conscience d’être dans l’opposition mais qui s’y retrouve pour différentes raisons, doit toujours être vigilante et sur ses gardes pour parler le langage du système idéologique. Il lui suffit d’un écart de langage pour d’un coup subir une tempête médiatique en forme de rappel à l’ordre. Elle devra aussi de temps en temps donner des gages de soumission en partageant les indignations mises en scène par le système idéologique dominant : fondamentalement, l’opposition doit toujours rappeler qu’elle voit le monde comme le système idéologique dominant veut qu’on le voit, et se contenter de faire quelques petites réserves mineures qui souvent, même, passeront inaperçues. Dans son esprit complexé, il lui suffira à l’occasion de déplacer une virgule dans une phrase pour se croire emportée par la plus admirable audace.
Les opposants « radicaux »
Il y a une deuxième catégorie d’opposants : appelons-les opposants « fondamentaux » : ils ne sont pas seulement en désaccord avec l’application plus ou moins heureuse des principes du système idéologique dominant. Ils les remettent en question ouvertement. En d’autres mots, ils remettent en question un aspect fondamental du système et par là, son économie générale : ils se situent à l’extérieur du principe de légitimité qui traverse les institutions sociales et politiques et le système médiatique. Le système les désigne alors non pas comme des opposants respectables avec lesquels on pourrait discuter mais comme des radicaux, des extrémistes, des fanatiques, et en dernière instance, comme des ennemis du genre humain (ou du progrès humain). Ils sont disqualifiés moralement, on les présente comme les représentants d’une humanité dégénérée, avilie par la haine. Les sentiments qu’on leur prête sont généralement mauvais : nous serons devant la part maudite de l’humanité et on les associera aussi aux pires heures de l’histoire.
Je note qu’on les désigne souvent d’un terme dans lequel ils ne se reconnaissent pas eux-mêmes. Ainsi, les partisans de la souveraineté nationale dans le débat sur le Brexit ne seront pas désignés comme des souverainistes, ni même comme des eurosceptiques, mais comme des europhobes – cette phobie référant aussi évidemment aux autres phobies qu’on leur prêtera par association. Mais c’est qu’il faut leur coller une étiquette bien effrayante pour faire comprendre au peuple qu’on se retrouve devant des mouvements ou des courants politiques peu recommandables et franchement détestables. S’il doit à tout prix en parler, le système médiatique devra faire comprendre à tout le monde que ceux dont ils parlent ne sont pas des gens respectables. Plus souvent qu’autrement, on les diabolisera. Dans certains cas, on les censurera moralement. Ou même légalement. Tous les moyens sont bons pour éviter que les opposants fondamentaux ne sortent des marges et quittent la seule fonction tribunicienne dans laquelle ils étaient cantonnés.
Évidemment, il arrive que les événements débordent du cadre dans lequel on voulait les contenir. Il arrive que l’imprévu surgisse dans l’histoire : tout était supposé se passer d’une certaine manière, puis le peuple inflige une mauvaise surprise aux élites. Il arrive que le peuple s’entiche d’un vilain. Si jamais les opposants fondamentaux se rapprochent du pouvoir, on mobilisera la mémoire des pires horreurs de l’histoire humaine pour alerter le peuple contre ces dangereux corsaires. Et si jamais, par le plus grand malheur, ils parviennent à gagner politiquement une bataille, même en suivant les règles prescrites par le système idéologique, par exemple un référendum visant à sortir leur pays de l’Union européenne, on cherchera à neutraliser leur victoire, à la renverser et on fera preuve d’une immense violence psychologique et médiatique à l’endroit du peuple qui se serait laissé bluffer par les démagogues.
De ce point de vue, on l’aura compris depuis le 24 juin, les Brexiters sont considérés comme des opposants fondamentaux, contre qui tout est permis. Leur victoire a frappé le système idéologique dominant dans ses fondements. Il faut donc annuler le référendum, le désamorcer politiquement, mettre en place un récit qui transforme un choix démocratique en aberration référendaire qui ne devrait pas hypothéquer l’avenir. Dans les prochains jours, dans les prochaines semaines, on peut être assurés que nos élites feront tout pour mater ce qu’il considère comme une rébellion inadmissible de la part de ceux qu’ils tenaient pour des proscrits et des malotrus. Pour nos élites, le référendum n’est qu’un accident : c’est un mauvais moment à traverser. Ne doutons pas de leur résolution à faire tout ce qu’il faut pour reprendre la situation en main. •
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’ Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007). Son dernier livre, Le multiculturalisme comme religion politique, vient de paraître aux éditions du Cerf.
L’analyse faite par M. Bock-Côté me paraît assez juste dans l’analyse de la différence que le « système » établit entre la bonne opposition et la mauvaise. Mais je crois que la réalité est pire que cela. En fait, ce n’est pas le dissident qui se détermine dissident ; c’est le système qui prononce ou pas une condamnation au bannissement comme cela se pratiquait jadis.
Ce bannissement a les mêmes conséquences qui est de vouloir faire disparaître le dissident. En clair, il ne doit plus exister et sera donc éliminer de facto des espaces sociaux comme l’édition, la presse, la télévision, la radio, les manifestations artistiques, culturelles, les salles de conférence des grandes écoles, des universités….
Le banni continue de vivre mais il est socialement mort. S’il tente de survivre et malgré tout de continuer ses activités de dissidence, le « système » lancera alors ce qui peut s’apparenter à une condamnation à mort sociale judiciaire qui mettra en branle toutes les forces de coercition comme la police, la justice, ou le fisc et dont l’objectif commun sera de harceler et d’épuiser financièrement le dissident et de le jeter dans la pauvreté et d’en faire un clochard.
Il n’est pas rare qu’au bout du compte, le banni accepte finalement son sort et sa sentence et quitte le pays.
Pour revenir plus précisément à la question du « Brexit » je crois que nos « élites » sont bien plus préoccupées sur le vote lui-même c’est-à-dire la possibilité donnée aux britanniques de donner leur avis. Pour les eurocrates, il s’agit d’interdire à présent la possibilité juridique du référendum sur les questions européennes.
La caste veut concevoir un nouveau Traité non pas pour relancer l’Europe mais pour rendre une évasion du système impossible par référendum. Par sa proposition de référendum sur le nombre de parlementaires, Sarkozy a levé le voile sur les intentions de l’oligarchie.
L’Europe est un sujet trop sérieux et trop important pour le soumettre à un vote par référendum ; seuls des gens sérieux c’est-à-dire les experts et les élus seront autorisés à s’exprimer à ce sujet. On va donc laisser au peuple les questions accessoires comme le nombre de fauteuils à occuper dans les assemblées parlementaires ; çà l’occupera.
En fait, MBC ést allé au fond des choses au fil d’une analyse tout à fait juste.
Sur le Brexit tout a été dit, maintenant, particulièrement ici sur LFAR.
Peut-ètre un point supplémentaire à souligner, qu’apporte l’actualité. C’est la façon très traditionnelle par laquelle le nouveau cabinet vient d’être constitué : bataille à Westminster, au sein du parti majoritaire, pour se donner un chef, démission du Premier Ministre vaincu par les urnes, nommination d’un nouveau Prime Minister par la reine. Quant à la prétendue « fuite » des leaders du Brexit on a su dès hier soir ce qu’il en était. Les médias français ont affabulé. Ils n’entendent rien au fonctionnement tradititionnel des institutions britanniques. Et les royalistes français pas davantage. Pour la plupart.
tres bien,
Il n’est pas raisonnable d’attribuer le succès du Brexit britannique au sens « profond »,qu’auraient instinctivement nos voisins insulaires, de la démocratie et de sa grandeur ! C’est ce que veut exprimer MBC-,de manière fort subtile .
Les promoteurs de ce résultat-finalement malheureux-pour l’archipel britannique-ont immédiatement fui, peu honorablement, devant leurs responsabilités. Mrs.May(naguère eurosceptique elle-même) a intelligemment rappelé Boris Johnson à l’ordre, en le mettant devant les conséquences de sa politique utopique !
Celle-ci est en fait un retour en arrière-bien inconsidéré-à l’époque victorienne,à l’ère chérie de l’Impératrice des Indes ! Epoque où le monde entier vivait à l’heure de Westminster.
Mais les Anglais savent s’imposer avec ténacité à tout l’archipel depuis des siècles-grâce, plus récemment, aux oeuvres pragmatiques d’une dernière dynastie étrangère (imposée par la reine Ann pour faire pièce à la France royale et à l’Eglise romaine). Cette dynastie, ayant appris et utilisé les symboles et les rites populaires efficaces pour durer-,saura inciter ses gouvernements et son peuple consentant et uni à tout faire-vous verrez-pour que rien ne change dans leur goût ancestral pour la domination;et cela avec l’aide intéressée de leurs anciennes colonies d’Amérique.
Ces deux pays ont pour excuse irréfragable que le référendum n’a jamais été dans leurs gènes constitutionnels,qu’ils ont pour eux la force, les matières premières,la finance, et par-dessus le marché le relativisme calviniste(depuis Henry VIII) pour lequel comptent d’abord les apparences.De surcroît,l’église anglicane de même que la franc-maçonnerie de l’archipel sont dans la main de la Couronne.
II y aura bien entendu des résistances à attendre du côté de l’Ecosse,de l’Irlande du Nord,et des sujets récemment immigrés,mais on saura les calmer avec l’aide de l’oncle Sam.
Avis donc aux partisans d’un « Frexit »suicidaire(parce qu’utopique et étriqué à la fois),lesquels feraient mieux de militer pour un renforcement du « Marché commun »d’origine ! Hélas,il est douteux que la république soit capable d’une telle ambition à laquelle elle préfère le déclin commode, et la lutte des classes à la Hidalgo ! Pourtant,ce serait sans doute un moyen d’exalter nos jeunes, en partance pour l’étranger car ils n’ont plus confiance dans l’avenir d’ une France si mal gouvernée !
Et la France pourrait retrouver ainsi une souveraineté-européenne même-que la république lui a fait perdre.
Très intéressant commentaire de Patrick Haizet pour ce qu’il contient d’informations et de remarques venant, semble-t-il, d’un connaisseur; mais commentaire finalement un peu décevant pour ce qu’il a d’alambiqué et de tortueux dans son mode de raisonnement.
Très simplement, je crois que les Anglais ont avant tout voulu rester Anglais. Ils ne veulent pas abdiquer leur souveraineté en des mains extérieures à leur île ni qu’on leur impose l’accueil de masses de migrants dont ils ne veulent pas ou plus, parce qu’à la longue ils dénatureraient la société britannique.
Ce Brexit ne rendra pas le Royaume-Uni moins européen qu’il ne l’est dans son fond, au contraire. Je crois l’Angleterre encore capable de se redéployer en Europe de façon très efficace et peut-être davantage qu’au sein des carcans de l’UE. L’Angleterre selon moi réussira son Brexit, renforcera ses liens avec l’Europe et y trouvera son compte.
Peut-être même, face à un certain impérialisme allemand renaissant et se renforçant du fait du Brexit, allons-nous assister, par la force des choses, à une certaine renaissance de l’Entente Cordiale.
Non, l’Histoire ne devait pas se terminer dans une Union Européenne construite sur de faux et médiocres principes. C’est à quoi nous assistons en ce moment, en fait dans toute l’Europe. Et je ne crois pas qu’il faille s’en inquiéter, mais plutôt s’en féliciter.
Excellents MBC et Ribus qui se completent parfaitement! Pratiquement tout est dit. J’ajouterai pourtant une petite reflexion sur le propos de Boris Johnson (Qui , comme Donald Trump,est peut-etre un peu fou ,mais surement moins que ce que nous en disent nos honnetes medias…….) qui a mis le doigt sur la plaie béante des eurocrates : « Sortir de l’Union Européenne n’est pas sortir de l’Europe! » C’est simple et beau comme l’oeuf de Colomb. Tellement évident que tout ce que nous dit le Système depuis le Brexit vise a le masquer……….Boris a dit que le roi était nu : il existe un ensemble historique,culturel aux potentiels politiques et économique a redefinir dans la droite ligne de sa tradition pluri-millénaire ,et qui n’a rien a voir avec l’UE que l’on nous impose. Merci Boris! Ainsi les plus puissants monarques avaient un fou qui était souvent autorisé a dire le Vrai et meme chargé de le faire……
Je note avec satisfaction que je ne suis pas d’accord avec un certain M. Valin(?), dont l’argumentaire repose sur son sens de « l’alambiqué » et du « tortueux »(notions purement subjectives ,mais commodes faute d’arguments sérieux sur un sujet peu connu de l’auteur).
Même remarque pour M.Portier-inconnu,lui aussi-bien qu’il fasse un honneur(mérité,certes) à Christophe Colomb !