Par Anne-Sophie Letac
Une très belle réflexion, dans une tribune d’hier sur Figarovox, qui confirme en termes vivants et avec profondeur ce que nous-mêmes écrivions ce 18 juillet. Anne-Sophie Letac y constate que les médias en général et davantage encore les réseaux sociaux servent de caisse de résonance aux attentats. Le risque est alors grand de suivre la « voie étroite et faussement vertueuse de l’indignation et de l’émotion collective ». Nous n’avons rien à ajouter à cette très exacte analyse. LFAR
En 1973, le premier film de Steven Spielberg, le thriller allégorique Duel, mettait en scène un camion semi-remorque personnifié par ses gros phares globuleux, qui poursuivait sans visage ni raison la voiture d’un voyageur de commerce au nom métaphorique, David Mann, afin de l’écraser. Mann, l’Homme, faible et sans défense, se trouvait confronté à une version déshumanisée et arbitraire du mal, dont il finissait par triompher dans une confrontation directe avec la machine, le David à la petite voiture rouge acceptant le duel et projetant dans l’abîme le Goliath de tôle et d’acier. Dans l’attaque terroriste de Nice, le camion criblé de balles et l’homme abattu ne sont en revanche qu’un triomphe piteux sur la machine aveugle, puisque le camion frigorifique, version quatre saisons et maraîchage niçois de Duel, lancé par la volonté démoniaque d’un conducteur parfaitement identifié, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, a réussi à broyer les os de 84 êtres humains. Pourtant, Duel a quelque chose à voir avec cette épouvante. Le choix du camion relève certes en partie d’un terrorisme «artisanal», d’une réponse à l’injonction de l’Etat islamique de tuer les «méchants et sales Français» de « n’importe quelle manière », y compris en les égorgeant au couteau ou en les écrasant en voiture. Mais sa transformation en machine de mort prouve aussi que le terrorisme islamiste appartient pleinement à la civilisation technologique et déshumanisante que dénonçaient Spielberg dans Duel ou Georges Lucas dans l’un de ses premiers films, THX1138. La machine porteuse de progrès retournée contre l’homme, voici ce qu’incarne l’attentat de Nice.
Si la technologie nourrit généreusement le terrorisme, celui-ci est aussi enkysté comme un parasite dans une civilisation de l’image dont nous maîtrisons aussi mal les conséquences que celles du nucléaire. L’attentat terroriste est conçu pour être vu et filmé, ou du moins pour que ses effets le soient, et nous obéissons docilement à cette injonction implicite. Les journaux sont pleins d’images de badauds qui « smartphonent » l’horreur. Le téléphone qui filme un être humain en train de mourir ou une panique de rue pose la question morale de l’obscénité du geste, la question juridique de la non-assistance à personne en danger, mais aussi plus froidement la question de la complicité inconsciente de toute une civilisation. Le rituel d’après attentat est sinistrement bien rodé : les réseaux sociaux transmettent rapidement les informations, partagent les vidéos amateurs, les avis de recherche et autres safety check, laissant les médias traditionnels pédaler derrière. L’onde de choc se propage, générant l’effroi et son corollaire, l’empathie, la résonance compassionnelle, le règne du hashtag mobilisateur.
En effet, la compassion est mise en scène selon un rituel qui crée, à peine les traces de sang effacées, des lieux de mémoire instantanés. L’émotion collective est canalisée par des fleurs et des bougies, des cellules psychologiques, des marches blanches. L’exigence d’immédiateté conduit au pire : les journalistes interviewent des gens qui viennent de perdre leur enfant, on emploie l’horrifiante expression « commencer à faire son deuil » associée à « se reconstruire » quelques heures après le drame, ou celui de « tragédie » (qui renvoie à une situation indépendante de la volonté humaine) au lieu de l’approprié « crime de masse ». De manière révélatrice, on confond systématiquement le choc immédiat et le traumatisme, syndrome de longue durée et imperceptible dans l’instant. Parce que c’est télégénique, les victimes se doivent d’être immédiatement « traumatisées », alors que le vrai traumatisme ne survient, que le vrai deuil ne se vit, on le sait fort bien, que des mois plus tard, dans l’indifférence générale. L’obscénité des intérêts financiers est à peine masquée : un représentant des hôteliers de Nice affirme ainsi que continuer à faire du tourisme est un acte citoyen, des experts psychiatres crédibilisent l’inanité de l’analyse instantanée. Les grandes chaînes d’information bavardent, relayant sans filtre le frère tunisien qui dédouane le meurtrier, les voisins plus sceptiques mais pas plus crédibles, ou l’avocat de l’épouse commis d’office pour la défendre.
L’omniprésence de l’image, la cacophonie de la parole nous intiment de regarder l’événement comme on visionnerait un film d’horreur, et de le mettre à distance aussi rapidement qu’il nous a été présenté. Il ne nous laisse, si nous ne nous en défendons pas, que la voie étroite et faussement vertueuse de l’indignation et de l’émotion collective. Assuré que l’indignation est « unanime », que l’hommage est « pudique », que les badauds sont « bouleversés » et que la terreur « n’épargne pas ceux qui l’ont côtoyée » (sic), le spectateur flotte dans une téléréalité impitoyable qui empêche de nommer l’ennemi. Ainsi, encore plus téléréel que nous, encore plus immédiat, vient d’apparaître sans crier gare le fast muslim, le radicalisé à grande vitesse, qui à peine la dernière pute baisée et le dernier verre avalé, rachète instantanément sa vie par un meurtre de masse. •
Agrégée d’histoire, ancienne élève de l’Ecole normale supérieure, Anne-Sophie Letac enseigne la géopolitique en classes préparatoires au Lycée Lavoisier et à Intégrale. Elle anime le blog La passoire et les nouilles et tient une chronique sur FigaroVox.
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Ce nouveau massacre montre aussi que le « système » médiatique soutenu par les politiques et toute la classe dirigeante ne change pas de méthode. Après l’émotion, le recueillement, on tente de nous refaire le même coup de l’incompréhension.
La propagande de nature particulière cherche en quelque sorte à « fixer » l’opinion le plus longtemps possible pour éviter toute réaction critique forcément hostile à l’encontre d’un pouvoir impuissant car compromis.
Dans le traitement médiatique de Charlie hebdo, le Bataclan et Nice, il n’ y a aucune différence ; tout est normé et cadencé de la même manière. Ils auraient pu récupérer les premiers reportages et les réutiliser en changeant juste le nombre de morts.
Finalement, cet attentat survient au bon moment puisqu’après les funérailles des victimes, tout ce beau monde va partir en vacances au mois d’Août. Entre temps, on aura droit à une seule décision : faire une loi qui ne servira qu’à surveiller encore davantage le citoyen sans histoire mais sans aucun effet sur le terrorisme puisqu’on refuse de nommer l’ennemi.
Le Premier ministre va plus loin puisqu’il nous dit qu’il faut juste attendre notre tour avant de nous faire massacrer. Les étrangers sont tous chez eux ; nous, on n’est plus chez nous mais c’est tout à fait normal.
On nous explique même que le stationnement de ce camion à cet endroit avant son utilisation meurtrière n’était pas anormal. Apparemment, personne ne s’est interrogé sur sa présence, n’a cherché à l’identifier ou à l’ouvrir. Il pouvait donc être chargé d’explosif sans que le moindre flic ne lève le sourcil. Très bien, c’est donc que notre sécurité est assurée.
La purée médiatique qui nous est proposée depuis des mois n’est pas sans intérêt. Il convient de conserver ces preuves de la honteuse propagande du début du XXIè siècle. Cela servira plus tard, pour les historiens qui pourront – peut-être – dire à quel point nous étions abreuvé et gavé d’une fausse information dont le seul but est d’éviter la révolte d’un peuple.
Où s’arrête l’information???où commencent la complicité et l’apologie??????????
Hashtag et non hastag, chers rédacteurs de LFAR!
Et en français, ça signifie quoi, ce atchtague ?
Wikipedia dixit:
Le hashtag (également mot-dièse1 ou mot-clic2 au Québec) est un marqueur de métadonnées couramment utilisé sur Internet où il permet de marquer un contenu avec un mot-clé plus ou moins partagé. Composé du signe typographique croisillon3 « # » (appelé hash en anglais), suivi d’un ou plusieurs mots accolés (le tag, ou étiquette), il est particulièrement utilisé sur les IRC et réseaux sociaux.
À la suite de sa croissance et de son utilisation mondiale depuis la fin des années 2000, le mot hashtag est désormais intégré au dictionnaire anglais de Oxford, mais également au Petit Larousse et au Petit Robert depuis mai 20144.
Pour en savoir plus, https://fr.wikipedia.org/wiki/Hashtag
restons français s’il vous plait merci vive la FRANCE ET FOUTEZ NOUS LA PAIX AVEC LES AUTRES