PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-BAPTISTE D’ALBARET
ENTRETIEN. Plus la chose publique se délite et plus les Français se passionnent pour leur histoire, explique l’historien, journaliste et écrivain, Frank Ferrand*
Comment expliquez-vous la passion des Français pour l’histoire ?
La matière a toujours passionné un large public, au moins depuis le xixe siècle. De grands noms comme Aubry, Lenotre, Castelot, Decaux ont contribué à la rendre populaire et accessible au plus grand nombre. Il n’y a guère que chez les Britanniques que s’observe un même appétit pour l’histoire et, en particulier, pour l’histoire nationale. Nostalgie d’anciens empires coloniaux ? C’est probable. Angoisse sous-jacente, très contemporaine, d’une perte d’identité ? C’est possible. L’histoire est un réconfort, une possibilité de s’évader de la grisaille du quotidien. Pour ma part, je pense qu’elle peut aussi fournir matière à réflexion pour aider à savoir qui nous sommes et où nous allons. Malheureusement, je ne suis pas certain que nos dirigeants aient conscience que l’on construit une conscience collective sur des réussites et non sur des culpabilités.
Vous faites allusion au culte de la repentance pratiqué par un certain nombre de nos dirigeants… N’y a-t-il pas là un paradoxe alors que les Français éprouvent un réel engouement pour l’histoire ?
Ce paradoxe n’est qu’apparent. Une grande majorité des Français s’intéresse aux heures de gloire de notre pays, à sa grandeur, aux « rois qui ont fait la France », mais une petite élite, par prisme idéologique, pratique volontiers l’anachronisme et s’ingénie à dénigrer le passé national ou à moquer son génie propre. C’est dommage. je dirais même que c’est dangereux. Les références collectives nécessaires pour former une véritable communauté nationale ne peuvent se bâtir sur le ressassement de crimes commis dans le passé ! Par ailleurs, je regrette que l’école des Annales ait « ringardisé » la légende du roman national. Contrairement aux apparences, le fait d’apprendre « nos ancêtres les Gaulois » à tous les jeunes Français aurait du sens. Ce serait une façon de réunir tout le monde, quelle que soit son origine, dans une filiation commune et dans l’acceptation d’un destin commun.
Surtout à l’heure où l’enseignement de l’histoire à l’école est très défaillant…
Au-delà même du contenu, beaucoup d’élèves se plaignent de l’ennui qu’ils éprouvent à suivre des cours d’histoire théoriques, abstraits et conceptuels. Je reçois très régulièrement des messages d’adolescents qui me disent en substance qu’ils « n’aiment pas l’histoire » mais qu’ils « aiment mes émissions ». Il est bien évident que ce n’est pas la matière qu’ils rejettent mais la pédagogie en vigueur à l’école, la manière de transmettre. Les gens ont besoin de rêver en écoutant de belles histoires, divertissantes, rassurantes même, surtout dans la période de morosité ambiante. C’est ce qu’ont compris les patrons de l’audiovisuel et les éditeurs qui s’attachent à promouvoir une histoire chronique, narrative, incarnée – celle que certains appellent avec dédain « l’histoire-bataille». D’où l’actuelle recrudescence de l’intérêt des Français pour les émissions, les livres et les spectacles historiques. ■
* Franck Ferrand anime les émissions « Au coeur de l’histoire », du lundi au vendredi de 14h00 à 15h00 sur Europe 1 et « L’Ombre d’un doute », le lundi à 20h45 sur France 3. Son dernier livre s’intitule François Ier roi de chimères (Flammarion, 2014).
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