PAR RAPHAËL DE GISLAIN
REPORTAGE. Le prince Jean d’Orléans vit depuis plusieurs années au château de Dreux, entré dans sa famille au XIXe siècle, avec son épouse Philomena et ses enfants. À l’occasion de la naissance du prince Joseph, l’héritier des rois de France nous ouvre les portes de ce lieu chargé de sens…
Arrivé devant la grille, on reste un moment ébloui. Bâti à flanc de colline, le château de Dreux offre à son visiteur, comme une préface à sa longue et tumultueuse histoire, une vue à couper le souffle sur la ville qui s’étend en contrebas, précieux vitrail d’ardoises et de tuiles qui invite à la contemplation. Entre terre et ciel, la propriété des Orléans, confisquée à la Révolution et rachetée en 1815, possède ce charme contre lequel les vicissitudes du temps n’ont pas d’emprise. La silhouette du prince se précise. jean d’Orléans nous ouvre et nous accueille avec une bienveillante simplicité. Les yeux toujours rivés sur le paysage, nous remontons l’allée principale, tandis que le duc de Vendôme nous indique les principaux monuments de Dreux, l’église Saint-Pierre, à la flèche indécise et l’Hôtel-Dieu dont on perçoit, malgré la distance, l’élégante architecture Renaissance. Nous le suivons jusqu’à une nouvelle porte de pierre, intrigué de découvrir comment vit en son domaine le descendant des rois de France.
UN PRINCE EN FAMILLE
Jean d’Orléans se tourne vers nous : « Vous savez, c’est un réel bonheur pour moi de vivre ici. J’y ai tant de souvenirs, j’y ai passé tant de vacances… Je me suis installé en 2011 avec Philomena mon épouse ; il n’y avait pas de meilleur cadre pour construire notre famille. » Nous pénétrons dans une cour en longueur donnant sur le vide, comme un balcon suspendu. Au fond, s’y trouve un petit poulailler. Le prince recompte rapidement les poussins, pour s’assurer qu’il n’en manque pas d’autres que celui que son fils Gaston, du haut de ses 7 ans, a écrasé par mégarde quelques jours auparavant. Puis nous entrons dans le bâtiment de gauche, en partie remanié, où nous découvrons son bureau dans la tour. Les deux grandes travées offrent une vue imprenable : « Je viens m’y retirer quand j’ai besoin de calme, pour travailler bien sûr mais aussi pour lire ou voir des films. » Grand amateur d’histoire, Jean d’Orléans nous fait part de son enthousiasme pour une biographie de Louis XI qu’il vient d’achever : « Il s’agit d’un roi méconnu alors qu’il a contribué à l’unification du peuple français et à la création de l’État moderne. Avec Louis-Philippe, le roi de la famille, il fait partie des souverains que j’admire particulièrement. » Quant à connaître ses goûts en matière de cinéma, le prince cultive l’éclectisme, aimant le cinéma américain contemporain et les X-men, dont il n’a pas trouvé le dernier volet à la hauteur. Nous passons devant de nombreux trophées de chasse – une autre de ses passions avec le golf – avant de rejoindre la maison principale.
C’est dans cette élégante longère du XVIIe siècle de calcaire et de briques rouges que vivent Jean d’Orléans, sa femme et ses quatre enfants. La maison, qui a vu naître, en 1726, Francois-André Danican Philidor, célèbre compositeur et théoricien du jeu d’échecs, a fait l’objet en 1978 d’une importante restauration pour permettre à la duchesse de Montpensier et ses cinq enfants d’y séjourner les week-ends et pendant les vacances. À peine avons-nous le temps de nous installer dans la salle à manger, qu’Antoinette, petite brune malicieuse de 4 ans, accourt et se jette sur les genoux de son père, vite imitée par Louise-Marguerite de deux ans sa cadette. Le visage de Jean d’Orléans s’illumine lorsque nous nous lui demandons comment se porte son dernier fils Joseph, né le 2 juin 2016 : « Il va très bien, sa mère aussi. » La princesse, qui se remet de sa maternité, n’est pas encore rentrée à Dreux.
UNE VIE BIEN REMPLIE
Le duc de Vendôme prend ensuite le temps de nous parler de sa vie quotidienne et de ses activités : « Les journées commencent tôt. Nous démarrons vers 7 heures et à 7h3o, nous ouvrons les fenêtres pour entendre l’angélus et prier pour la journée qui vient. Puis il faut conduire Gaston à Chartres, où nous l’avons mis à l’école Saint-Joseph, un établissement hors contrat. De retour, je rentre travailler sur l’un des nombreux projets qui me tiennent à cœur. Essentiellement au niveau local, parce que je crois que l’action a plus de force lorsqu’elle a des racines. » Jean d’Orléans nous parle de ses engagements avec la municipalité, avec Gens de France, notamment d’une étude visant à rapprocher cités de banlieues et cités royales, mais aussi de son travail avec la paroisse pour faire connaître la chapelle royale Saint-Louis, du développement des visites. Il est aussi président d’honneur des Monarchs, l’équipe de football américain de la ville dont il suit attentivement l’évolution. L’après-midi est souvent consacrée à l’écriture de discours, pour de fréquentes commémorations ou dans le cadre de ses déplacements. Ainsi s’est-il rendu récemment en Syrie pour soutenir les Chrétiens d’Orient et en Chine. Enfin, il lui reste à gérer le domaine et particulièrement les forêts, qu’il possède en nombre dans le nord de la France.
« VIVRE CONFORMÉMENT
À CE QUE NOUS SOMMES »
Un rayon de soleil nous invite à visiter le parc. Nous voilà dehors, rejoints par l’affectueuse Lady, terre-neuve à la robe auburn qui gambade à son aise. Les enfants sont partis déjeuner avec leur nounou. Le prince nous montre la deuxième partie du château, appelée « l’évêché », un pavillon à tourelles édifié en 1.844 par Louis-Philippe où la famille de France donne encore des réceptions ; puis nous suivons l’allée le long de la pelouse bordée d’arbres, où scintillent des myriades de marguerites, comme dans une tapisserie aux mille-fleurs du Moyen Âge. L’ensemble inspire un profond sentiment de romantisme, peut-être un peu trop au goût du prince : « Il faudrait lancer une vaste campagne de restauration, confie-t-il. Beaucoup d’éléments se dégradent et la tempête a fait périr bien trop d’arbres. » De façon originale, les tours en ruine ont été reconverties en fabriques. Elles rythment le chemin de ronde d’autrefois, que nous remontons en direction de la chapelle. Plus loin, sous des feuillages, on entrevoit les restes du vieux donjon, effectivement en piteux état.
D’un style néo-gothique d’une pureté sans faille, la chapelle royale Saint-Louis nous apparaît dans toute sa splendeur, joyau absolu de l’art du XIXe siècle et preuve éclatante de la grandeur artistique de ce siècle longtemps méprisé. Érigée en 1816 à l’emplacement de l’ancienne forteresse des comtes de Dreux, le premier édifice fut d’abord élevé dans un style néo-classique par la duchesse d’Orléans, avant d’être agrandi et redessiné par son fils Louis-Philippe. Nous entrons par la crypte, qui abrite les sépultures de la famille de Bourbon-Orléans. Le prince nous montre au passage où repose sa grand-mère et son oncle François. On le sent très ému. Impressionnant, l’alignement des gisants se poursuit le long du déambulatoire, dans une alternance de style néo-classique ou romantique qui n’entame pas l’harmonie de l’ensemble et dont le mausolée du roi et de la reine Marie-Amélie, face à la chapelle de la Vierge, constitue le point d’orgue. Parvenu au choeur, on apprécie pleinement la perfection du plan en croix, coiffée d’une coupole inspirée du Panthéon romain. La qualité sculpturale triomphe dans chaque détail décoratif, qu’il s’agisse des caissons ou des bas-reliefs. Au sol, le dallage de marbre introduit un jeu de polychromie qui fait merveille dans la lumière bleuie des vitraux, exécutés d’après Flandrin ou Delacroix. Sur le conseil du prince, nous admirons au retour d’exceptionnelles glaces peintes de Larivière illustrant la Passion du Christ.
Encore étourdi par la majesté du lieu, nous regagnons la terrasse ; par-delà le pont, derrière la nécropole, le parc s’étire en une clairière battue par le vent, gardée par une émouvante vierge de pierre. Il serait bien agréable d’y deviser encore longuement avec notre hôte mais il est l’heure de faire quelques photos et de le laisser à son oeuvre princière. En nous quittant, il se penche vers nous : « Dreux représente quelque chose d’essentiel pour nous. Il nous permet de vivre de façon conforme à ce que nous sommes, en accord avec nos aspirations profondes. » ■
« Depuis notre reportage, la duchesse de Vendôme et le petit prince Joseph sont rentrés de la maternité pour la maison familiale de Dreux »
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Espérance en un retour prochain