Hommage traditionnel des camelots du roi à Jeanne d’Arc, en mai 2015. Le mouvement royaliste né en 1898 recrute une nouvelle génération militante
PAR LOUIS LORPHELIN
ENQUÊTE. L’Action française, le mouvement royaliste né en 1898 dans le contexte de l’affaire Dreyfus, retrouve un nouveau dynamisme. Son prestige historique et sa qualité doctrinale attirent toute une jeunesse désireuse de s’investir pour des convictions dont la première se résume en un mot : le roi.
« Pour que vive la France, vive le roi » Ces derniers mois, Libération, L’Obs, Le Figaro ou Causeur ont consacré enquêtes et reportages au phénomène : l’Action française, qui revendique à l’heure actuelle 3 500 adhérents, recrute à tour de bras. Et le mouvement royaliste fait à nouveau parler de lui. À son colloque annuel, le 7 mai dernier, près de 600 personnes, des jeunes en majorité, sont venus écouter Marion Maréchal-Le Pen et Robert Ménard, invités à débattre sur le thème « Je suis royaliste, pourquoi pas vous ? ». Une affluence qui rappelle les heures de gloire d’un mouvement habitué aux coups d’éclats militants.
« Les secousses qui parcourent le pays réel sont tellement fortes que beaucoup de gens, en particulier chez les jeunes, sont en attente de quelque chose. L’AF répond à ce besoin d’une espérance politique neuve » explique le secrétaire général du mouvement, François Bel-Ker. Et, en effet, le mouvement fondé par Charles Maurras n’a jamais été aussi fort que quand il a su tisser des réseaux actifs en période de crise. C’est lu qui organisa les contre-manifestations en 68, « récupérée ensuite par les gaullistes », comme le regrettent encore les vieux militants. Plus tard, il prit sa part dans le combat pour l’école libre et trouva une nouvelle vigueur militante dans l’essoufflement général du mitterrandisme. Références encore vivantes pour la jeune génération, des actions spectaculaires de royalistes furent organisées pour perturber les célébrations officielles du bicentenaire de la Révolution française, en 1989.
LE VIVIER MANIF POUR TOUS
Depuis trois ans, c’est surtout grâce aux forces vives de la Manif pour tous que l’AF grossit ses rangs après le passage à vide des années 2000. D’autant plus que certains cadres de la Manif, comme son premier président, Guillaume de Prémare, proviennent de ses rangs. Mais si 2013 fut le temps de l’activisme (l’AF prit part au Printemps français), le mouvement royaliste a transformé l’essai en inscrivant l’engagement militant dans la durée et en fidélisant les jeunes désireux de s’engager pour leurs convictions. Ce défi auquel est périodiquement confrontée l’AF semble aujourd’hui en passe d’être relevé. La preuve ? En 2009, seule une section, à Paris, peinait à exister pour toute la France. On en compte actuellement une trentaine dans l’hexagone et même une en… outre-mer. Des sections ont aussi vu ou revu le jour dans des bastions de la gauche comme Rennes ! « Nous allons multiplier les lieux et forme de contestation du régime en place en promouvant le projet capétien pour la France », a promis François Bel-Ker, lors du dernier hommage traditionnel à Jeanne d’Arc. Message reçu 5 sur 5 par des camelots du roi qui défendent autant « l’écologie intégrale » que l’enracinement local, la lutte contre « l’otanisme » que le combat contre « l’invasion migratoire ».
DIVERSITÉ DES PROFILS DES MILITANTS
Ce qui frappe d’emblée dans une réunion d’AF, c’est la diversité des profils de cette nouvelle génération militante. On y trouve des « droitards », sarkozystes repentis issus de l’UNI ou des jeunes pop’, venus « s’encanailler » tout en cherchant une formation doctrinale solide. De jeunes nationalistes, tendance identitaire, côtoient quelques musulmans patriotes proches des associations Fils de France ou Égalité et Réconciliation (E&R). Des « TMPR » (tradi-mili-pêchu-royco) venant du scoutisme et du catholicisme traditionnel se mêlent à des jeunes anarchistes, rebutés par la gauche progressiste et libérale-libertaire. Ce patchwork improbable cohabite dans une ambiance joyeuse de camaraderie militante. Lors des banquets d’AF, les chants résonnent et le vin coule à flot ! Mais lycéens, étudiants et jeunes professionnels sont aussi attirés à l’AF par la qualité de la formation qui y est dispensée. Institutions, écologie, subsidiarité, démocratie directe, syndicalisme, corporatisme, questions sociales, tous les grands thèmes sont abordés. L’encadrement du mouvement est aujourd’hui assuré par d’anciens militants issus, pour la plupart, de la mythique « génération Maurras », celle de la fin des années 80, début des années 90. Mais l’AF s’enorgueillit également de la collaboration d’universitaires, professeurs en faculté ou à Sciences Po, qui apportent une touche « scientifique » à la formation intellectuelle des jeunes militants. À tel point que la réputation de cette dernière dépasse largement les frontières du monde royaliste. Lors du colloque du 7 mai dernier, des membres des Républicains seraient même venus prospecter les rangs des camelots du roi dans l’espoir de recruter quelques jeunes cadres pour le parti de la droite parlementaire…
JETER DES PONTS
Gros bras, grosse tête : le mythe du camelot du roi a donc repris du poil de la bête. Ce qui est tout bénéfice pour certains mouvements amis. Ainsi, le nouveau groupe pro-vie Les Survivants, pour son premier happening, a fait appel à la section parisienne afin d’assurer le service d’ordre qui s’est d’ailleurs colleté avec des antifas venus en découdre. L’AF a également assuré la sécurité des Veilleurs lors de leur veillée nationale du 24 juin dernier. Politique d’abord, comme disait Maurras : la notion de « compromis nationaliste » est remise au goût du jour lorsque les intérêts convergent avec d’autres formations politiques. À l’université de Lyon, gudards et camelots ont ainsi fait front commun pour repousser les gauchistes qui voulaient saccager la faculté. A Marseille, le FN a fait appel à la section Provence pour ses campagnes électorales.
L’AF jette ainsi des ponts, notamment par le biais des conférences organisées par les différents cercles de réflexion (Cercle de Flore à Paris, Cercle Jean-Baptiste Lynch à Bordeaux…). Les échanges et débats filmés du cercle Henri Lagrange, éditant les cahiers du Cercle, Proudhon, spécialisés dans les questions économiques et sociales, permettent de créer des liens avec l’univers soralien d’E&R. La Librairie de Flore diffuse quant à elle la pensée maurrassienne et contre-révolutionnaire à un large public.
L’objectif du mouvement est la royalisation du pays, rappelle François Bel-Ker. Pour la jeune génération militante, il s’agit d’ébranler les dogmes républicains et, en particulier, le jacobinisme abstrait et centralisateur afin de promouvoir, d’une part, ce que les maîtres du royalisme français appelaient le « nationalisme intégral » la défense rationnelle de la nation – et, d’autre part, la priorité de l’ordre politique qui conduit à la remise en cause des institutions républicaines au profit de l’institution royale. Utopique diront certains ? « Tout désespoir en politique est une sottise absolue » répondait Charles Maurras. En témoigne cet éloge du vice à la vertu, signé Edwy Plenel : « Ce laboratoire idéologique de la réaction, hélas non dénué de talent, […] poursuit son travail de subversion ». ■
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